Des chercheurs pointent l’existence d’un double mécanisme : un léger accroissement de certaines populations d’invertébrés, mais un large déclin d’autres groupes majoritaires.

Les insectes disparaissent. Si vous étiez enfant il y a encore dix ou vingt ans, vous vous rappelez sans doute que, sur les routes, ils venaient s’« écraser » sur les pare-brises, sur le chemin des vacances. Plus l’on roulait, plus les vitres de la voiture en étaient constellées. Dans une majorité de lieux, ce n’est plus le cas. Ce que les entomologistes appellent le « syndrome du pare-brise » traduit la réalité d’une disparition particulièrement massive. Et pourtant, ils constituent le réseau d’êtres vivants le plus vaste sur Terre : ils ne pèsent pas moins de 80 % de toutes les espèces du monde.

Ils représentent donc le cœur battant de la nature. Chacun d’entre eux apporte un ingrédient essentiel au maintien des écosystèmes. Raison pour laquelle le célèbre biologiste Edward Osborne Wilson écrivait : « Si l’humanité venait à disparaître, le monde se regénérerait à l’état riche et équilibré qui existait il y a des dizaines de milliers d’années. Si les insectes venaient à disparaître, l’environnement s’écroulerait dans le chaos. » Il n’y a rien de métaphorique dans tout cela, les insectes remplissent des fonctions vitales. Les coléoptères contribuent à recycler les nutriments dans le sol ; les fouisseurs comme les fourmis créent des tunnels en créant alors des canaux pour l’eau ; les abeilles ou les papillons pollinisent. Ne serait-ce que ces trois exemples sont des éléments cruciaux pour que les plantes puissent pousser.

Les abeilles et bourdons font partie des espèces menacées. // Source : Pixabay

Les abeilles et bourdons font partie des espèces menacées.

Source : Pixabay

Ce 24 avril 2020, une étude parue dans Science a rassemblé 166 autres études à long-terme — dont les premières démarrent en 1925 — et provenant de 1 700 lieux différents. Il s’agit de l’un des travaux de recherche les plus vastes jamais réalisés. Le résultat montre que ce sont 25 % des espèces d’insectes qui ont disparu en 30 ans. Et, selon les auteurs, le taux de disparition a tendance à augmenter en Europe. Si certaines données restent incomplètes dans des régions comme l’Asie du Sud ou l’Afrique du Sud, les chercheurs estiment que l’urbanisation croissante, dans ces lieux aux études manquantes comme ailleurs, est une évidente menace contre cette biodiversité.

L’intérêt de cette étude n’est pas seulement d’enfoncer la porte ouverte d’une extinction des insectes. Ce déclin est une certitude. Elle montre en revanche que celui-ci est plus complexe qu’il n’y paraît : le taux de disparition varie du tout au tout selon les espèces et les localités, ce qui prouve que davantage de travaux exhaustifs sont nécessaires pour bien saisir la réalité de la situation.

Les populations déclinent ou s’accroissent

L’étude parue dans Science montre une estimation globale de la disparition légèrement inférieure à d’autres travaux se concentrant exclusivement sur le déclin et qui pointaient des chiffres comme 40 à 50 %. Il y a toujours eu des désaccords scientifiques sur l’étendue exacte de l’extinction (malgré, encore une fois, un consensus sur l’extinction elle-même). L’apport de ce travail de recherche se situe plutôt dans d’autres chiffres plus précis qu’il fournit : les tendances dans les évolutions de la biomasse d’invertébrés dépendent de leurs écosystèmes respectifs.

Les chercheurs montrent en effet que les insectes dont le mode de vie implique d’être la majeure partie du temps dans ou sur les points d’eau fraîche ont plutôt tendance à voir leur population augmenter. Il s’agirait d’une augmentation d’environ 11 % par décennie. En revanche, les invertébrés au mode de vie essentiellement terrestre connaitraient un déclin de 9 % par décennie. Il y a donc une tendance au déclin ainsi qu’une tendance à l’accroissement selon le milieu naturel.

Les invertébrés dont la population augmente ne sont toutefois qu’une petite portion de la totalité

La différence entre les deux groupes est toutefois que les invertébrés d’eau douce ne représentent qu’à peine plus de 2 % du total des espèces d’insectes. De fait, la tendance générale est bel et bien au déclin. Mais les nuances et la complexité globale qu’apporte cette étude sont importantes. Les auteurs insistent sur le fait qu’il est crucial d’étudier la biomasse des insectes et son évolution comme une totalité, et de ne pas porter les recherches exclusivement sur le déclin.

« C’est en continuant à relever le défi de démêler les différentes tendances en matière de biodiversité des insectes que nous serons mieux à même de prévoir les conséquences de ces tendances sur les fonctions et services qu’ils fournissent aux écosystèmes, tels que la pollinisation, la décomposition et la lutte contre les parasites », écrivent-ils. Les mécanismes d’accroissements et de déclins des populations d’insectes sont similairement importants pour mieux comprendre l’extinction et potentiellement agir pour préserver cette biodiversité. Les 11 % d’augmentation chez les invertébrés d’eau douce apportent aussi de l’espoir : la planète est résiliente et les insectes en tant que groupe global ne disparaitront jamais complètement, anthropocène ou non.

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