La recherche médicale sur Covid-19 est venue avec son lot de bonnes et de mauvaises nouvelles, ces derniers jours. Tandis que les effets secondaires s’accumulent pour l’hydroxychloroquine qui n’a toujours pas prouvé son innocuité ni son efficacité, les essais sur l’antiviral Remdesivir ne sont pas non plus concluants pour l’instant — même si les résultats ne sont toutefois pas encore définitifs. En revanche, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a rendu publics, lundi 27 avril 2020, des résultats très encourageants au sujet d’un médicament qui n’a jusqu’ici jamais été très médiatisé comme solution potentielle : le tocilizumab.
Même si les recherches restent préliminaires, les conclusions restent plus solides et prometteuses que celles d’autres études très largement diffusées, mais qui ne prouvaient rien du tout d’un point de vue scientifique. L’étude relayée par l’AP-HP sur le tocilizumab consiste en une série d’essais randomisés contrôlés multicentriques ; appartenant à une initiative plus large appelée CORIMUNO-19. Cela signifie que ce travail de recherche a été fait dans les règles de l’art, puisqu’il respecte plusieurs critères essentiels pour que les résultats aient du poids :
- Essai randomisé : il y a un tirage au sort sur les patients, répartis en deux groupes. « Pour que l’on s’assure d’avoir des groupes comparables sur tous les points, on fait un tirage au sort », nous expliquait le méthodologiste scientifique François Séverac dans un article dédié à la méthode scientifique. On s’assure grâce à cela qu’il n’y a pas de biais dans le profil des patients : le groupe auquel on administre le traitement a la même répartition hasardeuse de départ que le groupe sans le traitement.
- Essai contrôlé : cela signifie que le traitement est comparé à d’autres solutions de référence. Cela peut être une façon classique de traiter les patients. On s’assure grâce à cela que les possibles effets du traitement testé sont bien imputables à ce traitement, et non à une guérison naturelle, entre autres.
- Multicentriques : en l’occurrence, l’étude a été menée dans 13 centres différents. Les potentielles particularités de chaque centre, dans la façon de traiter les patients, sont alors normalement prises en compte.
L’étude a par ailleurs lieu sur un laps de temps assez long, puisque les essais cliniques ont démarré le 27 mars dernier. L’AP-HP prévient toutefois que les résultats évoqués concernent une étude « ouverte » : il n’y a pas de double-aveugle, les médecins comme les patients sont au courant du traitement qu’ils prennent ou non. L’étude n’a pas non plus été relue, pour l’instant, par un comité de lecture.
Qu’est-ce que le tocilizumab ?
Le tocilizumab est bien connu de la communauté médicale, depuis une dizaine d’années. Il n’est pas dépourvu d’effets secondaires, qui sont plutôt bien compris. Il est habituellement utilisé contre traitement contre la polyarthrite rhumatoïde, une maladie auto-immune se traduisant par une inflammation du système immunitaire. Le médicament bloque des récepteurs de l’interleukine 6, une protéine clé lors d’une réponse inflammatoire au sein du système immunitaire. Son efficacité en la matière est prouvée.
Le tocilizumab sert à inhiber (freiner) le choc cytokinique : lorsqu’un agent pathogène attaque le système immunitaire, celui-ci peut surréagir en libérant alors une surdose de cytokines, dont l’interleukine 6 que nous citions précédemment fait partie. Cela se traduit par une grave inflammation, dangereuse pour les malades. Le terme anglais permet de bien imager le phénomène, puisqu’on parle de cytokine storm, un orage cytokinique.
Pourquoi pourrait-il répondre à Covid-19 ?
Les médecins suspectent justement, depuis quelque temps déjà, que la maladie Covid-19 provoquée par le nouveau coronavirus est à l’origine d’une hyperinflammation, un choc cytokinique. Dans un article paru le 16 mars 2020 dans The Lancet, les médecins écrivent que « des preuves accumulées suggèrent qu’une partie des patients souffrant de Covid-19 sévère pourraient avoir un syndrome d’orage cytokinique. » Ils ajoutent : « Nous recommandons l’identification et le traitement de l’hyperinflammation en utilisant des traitements existants et approuvés, à l’innocuité prouvée, pour faire face au besoin immédiat de réduire la mortalité ».
Au sein de cette étude parue dans la prestigieuse revue médicale, le tocilizumab était cité parmi les traitements existants potentiels. Cela s’inscrit donc dans une certaine continuité dans la recherche médicale.
Une amélioration « significative » du pronostic
Ce sont 129 patients qui ont été tirés au sort pour l’étude évoquée par l’AP-HP : un premier groupe de 65 personnes recevant du tocilizumab en plus des traitements symptomatiques habituels ; un second groupe de 64 personnes ne recevant que le traitement habituel. Dans tous les cas, le stade de la maladie chez ces patients était à un niveau moyen ou sévère. Afin d’évaluer l’efficacité du traitement à base de tocilizumab, le critère de jugement était le besoin de ventilation (l’aggravation de la maladie menant à la nécessité d’une assistance respiratoire) ou bien le décès à J+14 à partir du début de l’étude.
« Le critère de jugement principal a été atteint chez une proportion significativement plus faible de patients dans le bras tocilizumab », se réjouit l’AP-HP dans le communiqué. Cela signifie que, d’après cette étude, le médicament tocilizumab « améliore significativement le pronostic des patients avec pneumonie COVID moyenne ou sévère ».
Ces résultats sont parmi les plus encourageants du moment, à la fois par des conclusions visiblement très significatives, mais aussi par la durée et la solidité de l’étude elle-même. Malheureusement, et même si d’autres études moins solides présentent des résultats similaires, cela ne suffit pas à en arriver à la conclusion que le médicament est pleinement efficace contre Covid-19. Afin d’être en présence d’un faisceau de preuves suffisant, de nouvelles études indépendantes complètes doivent être menées.
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