Le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 n’en finit pas de nous dérouter, notamment à cause des multiples symptômes très différents qu’il peut causer chez les personnes qu’il infecte. Depuis fin avril, des témoignages de médecins ainsi que des rapports et des études scientifiques signalent une caractéristiques parmi d’autres de la maladie Covid-19 : l’hypoxie silencieuse. Le principe est que le patient semble aller bien en apparence, il respire correctement, il est plutôt alerte, la maladie apparaît plutôt légère, mais en arrière-plan il manque bel et bien d’oxygène… et sévèrement. Lorsque le sentiment d’un manque respiratoire se ressent enfin, la situation clinique de la personne infectée est déjà grave.
S’il est logique que Covid-19 s’attaque aux poumons, puisqu’il s’agit de son principal foyer en tant que pneumonie, cela ne présageait pas forcément un tel symptôme. Un médecin rapportait les premières observations de celui-ci dans le New York Times le 20 avril 2020 : « Ces patients n’ont signalé aucune sensation de problèmes respiratoires, même si leurs radiographies thoraciques ont révélé une pneumonie diffuse et que leur taux d’oxygène était inférieur à la normale. Comment est-ce possible ? ».
Il expliquait alors que la communauté médicale découvrait tout juste que cette pneumonie peut provoquer au début « une forme de privation d’oxygène que nous appelons ‘hypoxie silencieuse’ — ‘silencieuse’ en raison de sa nature insidieuse et difficile à détecter ». Un constat confirmé entre autres par l’American Thoracic Society, qui observe dans différents hôpitaux ce symptôme atypique comme une « dissociation entre la mécanique relativement bien préservée des poumons et la sévérité de l’hypoxémie ».
Qu’est-ce que l’hypoxie silencieuse ?
On trouve un rapport complet de médecins norvégiens dans lequel ils présentent un cas de patient typique de détection tardive de Covid-19 en raison d’hypoxie silencieuse. L’homme d’une soixantaine d’années était confiné chez lui depuis neuf jours, car atteint de la maladie, dans une version peu sévère. En téléconsultation, il semblait aller de mieux en mieux, et sa famille relevait qu’« il souriait et regardait la télévision », par exemple. Il manquait quelque peu de respiration mais pas à des niveaux anormaux. En bref : aucune détresse respiratoire à signaler.
Mais les médecins ont senti qu’ils passaient à côté de quelque chose, alors ils lui ont rendu visite pour l’examiner : « À l’examen, le patient était cyanosé [son sang était mal oxygéné, ce qui crée des marques sur la peau, ndlr] mais souriait courageusement. Il était calme, coopérait bien et ne semblait pas particulièrement tendu. » Finalement, après auscultation, ni l’état général du patient ni son degré de détresse respiratoire n’étaient proportionnels à ses mesures physiologiques réelles : une véritable hypoxie sévère.
La fréquence respiratoire augmente tandis que la saturation en oxygène baisse
Alors qu’il semblait respirer normalement, sa fréquence respiratoire était en réalité de 36 cycles par minute. Une respiration normale d’un adulte se traduit plutôt par 12 à 16 cycles par minute. L’hypoxie se définit aussi par une baisse importante de la saturation en oxygène. En temps normal, elle est autour de 95 %. Les cas d’hypoxie silencieuse montrent des situations qui chutent en-deçà de 80 % en arrière-plan d’un état qui ne le présage pas. Pour l’homme dont il était précédemment question, cette saturation était par exemple de 66 %. Le médecin qui témoignait dans le NY Times notait avoir observé des baisses allant jusqu’à 50 % d’oxygénation seulement.
Les causes et les effets de cet état
La plupart des patients admis à l’hôpital après une hypoxie d’abord silencieuse sont placés en réanimation, c’est-à-dire sous respirateur artificiel. Mais la façon exacte de gérer ce problème n’est pas encore pleinement fixée. Car ce qui reste difficile à comprendre, ce n’est pas tant qu’une pneumonie comme Covid-19 génère une difficulté respiratoire comme l’hypoxie, mais que les patients restent en apparence en pleine forme ou presque. Normalement, l’hypoxie provoque des malaises plus ou moins graves. Il existe d’autres rares cas d’un tel décalage, notamment chez des alpinistes ou des pilotes d’avion (ces derniers s’entraînent d’ailleurs à repérer ce symptôme). Une étude parue à la mi-avril dans British Journal of Anaesthesia indique qu’une piste de compréhension du phénomène pourrait se trouver dans la médecine d’altitude.
Les médecins ne sont pas non plus dans le flou total par rapport à l’hypoxie silencieuse. On sait que le niveau d’oxygène dans notre corps n’est pas un facteur que l’on ressent directement. Comme l’explique un physiologiste américain dans Science, la baisse de saturation en oxygène s’accompagne en général « d’autres changements, notamment des poumons raides ou remplis de liquide, ou une augmentation des niveaux de dioxyde de carbone parce que les poumons ne peuvent pas l’expulser efficacement. » Ce sont ces facteurs-ci qui génèrent le manque de souffle en cas de pneumonie, et pas directement la faible saturation en oxygène.
Les niveaux d’oxygène baissent sans que cela n’ait d’abord d’effets sur les poumons
Une explication de l’hypoxie silencieuse serait donc que Covid-19 provoque dans un premier temps une infection très ciblée, qui ne provoque pas les problèmes respiratoires que l’on peut ressentir. Dans le New York Times, le docteur Levitan livrait une potentielle explication : le coronavirus attaque d’abord les cellules produisant le surfactant pulmonaire, la substance qui remplit les alvéoles pulmonaires. Ce faisant, les alvéoles s’effondrent, leur lien avec les poumons est coupé. Alors les niveaux d’oxygène chutent, mais le poumon ne se remplit pas de surfactant, ne se rigidifie pas, et continue à maintenir les niveaux habituels de dioxyde de carbone. C’est une piste et d’autres voies d’explication sont aussi à l’étude. Le problème est en tout cas que la personne infectée va, sans s’en rendre compte, compenser le manque d’oxygène en inspirant/expirant davantage, ce qui endommage le poumon.
Pour cette raison, l’American Thoracic Society recommande de placer les patients concernés sous intubation le plus rapidement possible, afin de limiter les blessures infligées aux poumons par cette compensation. La ventilation, indique l’association, sert alors surtout à « gagner du temps », car il faut alors être patient pour que la respiration reprenne une fréquence normale.
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