Ce sont des questions qui ont parcouru les réseaux sociaux dans la soirée du 27 mai, quand il a été décidé de repousser de trois jours le départ du tout premier vol habité de SpaceX vers la Station spatiale internationale (ISS) à cause du mauvais temps dans le ciel de la Floride : comment se fait-il que la météo ait une telle incidence sur les activités spatiales ? Et surtout, pourquoi ne pas avoir patienté un peu, une heure ou deux par exemple, pour guetter l’apparition d’une éventuelle éclaircie ?
La météo, un enjeu de sécurité
La recherche d’une météo clémente en prévision d’une mission spatiale à venir n’est pas une coquetterie de SpaceX et la Nasa pour leur permettre de prendre de belles photos à partager sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un critère de sécurité, à la fois pour l’ascension de la fusée hors de l’atmosphère, mais aussi en cas de pépin pendant le vol, afin de limiter les risques pour l’équipage (si la capsule doit se désolidariser d’urgence avec le lanceur) et les éventuelles recherches afférentes.
Historiquement, le mauvais temps a causé des soucis aux activités spatiales.
L’exemple le plus célèbre reste Apollo 12, en novembre 1969. Le bilan météo annonçait de la pluie et des nuages. Des conditions défavorables, mais qui n’ont pas remis en cause le lancement. À tort, puisque deux éclairs viendront frapper le lanceur Saturn V, causant une extinction temporaire de certains systèmes, une détérioration des données et pour finir un désalignement d’un composant critique. Heureusement, la situation sera rattrapée grâce à la bonne réaction de l’équipage et du contrôle au sol.
Ce n’est pas un cas isolé. En août 1983, la foudre touche cette fois le pas de tir de la navette Challenger, rappelle Ciel & Espace. En mai 2019, une fusée Soyouz qui accueillait à bord un satellite a aussi été heurtée par un éclair. Dans les deux cas, cela s’est bien terminé. Mais ce n’est pas toujours le cas. En mars 1987, une fusée Atlas-Centaur a été complètement détruite après son décollage. Heureusement, il n’y avait personne à bord : seul un satellite a été perdu ce jour.
Ces évènements montrent que les navettes spatiales et les fusées attirent et peuvent même être à l’origine de ces très fortes décharges, à cause des effets thermiques et de conduction qu’elles provoquent en traversant certains nuages. C’est pour cela que des installations particulières peuvent être observées sur les pas de tir, comme ces pylônes anti-foudre au centre spatial guyanais, et qu’il existe des règles à prendre en compte en fonction de la situation météorologique.
C’est pour cela qu’il y a eu des indicateurs pour le vol de SpaceX, afin d’évaluer le degré d’une violation des contraintes météorologiques. Celles-ci incluent le champ électrique, la température des nuages, l’intensité des précipitations, la force du vent, la visibilité, le cisaillement du vent en altitude, la vélocité de la fusée, l’humidité, l’activité solaire, la distance des zones à risque, les types de nuages (comme les cumulonimbus), et tout autre évènement digne d’intérêt, comme un panache de fumée.
Les exigences de la mécanique spatiale
L’autre grande raison qui empêche de partir quand on veut pour gagner la Station spatiale internationale tient à la nature même de la mission : il s’agit de rejoindre à 400 kilomètres d’altitude une structure qui se déplace à près de 28 000 km/h, selon une inclinaison de 52° (ce qui, par rapport au globe terrestre, donne l’impression qu’elle passe en diagonale devant elle). Or, la Terre a aussi sa propre dynamique, à commencer par une rotation de près de 1 700 km/h à l’équateur.
C’est ce que rappelle le professeur de physique Tony Dunn, dans son animation. On y voit la trajectoire inclinée de l’ISS en orbite autour de la Terre et le mouvement propre de cette dernière. « À 13h33, le pas de tir tourne pour s’aligner sur le plan orbital de l’ISS », note-t-il. C’est pour cela que cet horaire a été choisi. Car la capsule ne va pas en ligne droite jusqu’à l’ISS. Elle l’atteint en décrivant des cercles de plus en plus grands autour de la Terre, jusqu’à être sur l’orbite adéquate.
L’infographie de SpaceX illustre ces rotations orbitales, avant les ultimes manœuvres :
C’est pour cela que la Nasa parle de fenêtre de lancement instantanée (instantaneous launch window, en anglais). Si elle loupe le coche, c’est fichu. « En raison de la mécanique orbitale, nous devons nous assurer qu’au moment du lancement, nous sommes en mesure d’atteindre la Station spatiale à temps et avec précision. C’est pourquoi nous ne pouvions pas attendre un temps clair aujourd’hui », expliquait la Nasa le 27 mai. Même si cela s’est joué à dix minutes près. Aucun retard n’est permis.
Un propergol aux propriétés physiques fragiles
Une autre raison, également détaillée par l’agence spatiale américaine pendant son direct, se trouve dans les propriétés de l’oxygène liquide, qui constitue le propergol cryogénique qui sert à alimenter les moteurs des lanceurs spatiaux — en l’occurrence, le Falcon 9. En effet, à 35 minutes avant le vol, le réservoir du lanceur commence à être rempli d’oxygène liquide, et la séquence de tir s’avère scriptée : tout doit être exécuté à l’heure dite, car le propergol risque sinon de se réchauffer.
« Nous effectuons les analyses de vol en supposant que la température du propergol est inférieure à un certain seuil », explique la Nasa. Ainsi, « nous savons quelle performance est disponible pour la fusée et quelle marge nous allons avoir » pour mener à bien la mission. C’est pour cela qu’une fois le décompte enclenché, il faut partir quand celui-ci arrive à zéro. « Nous n’avons pas la possibilité de stopper le chronomètre et d’attendre cinq minutes ». Sinon, les données ne sont plus adéquates.
C’est pour cela que l’on voit d’ailleurs de la fumée blanche sortir des fusées avant le vol. C’est le signe que le réservoir est en train d’être rempli de cet oxygène liquide, à très basse température, tout en évacuant dans le même temps l’excédent sous forme gazeuse, dans un air environnant bien plus chaud. Cela se fait en permanence, jusqu’au vol, car dégaze en continu. « On est obligé de continuer, de manière à toujours avoir le bon niveau, pour le moment du décollage », pointe Christophe Bonnal, expert senior à la direction des lanceurs du Centre national d’études spatiales.
Tous les lancements ne sont heureusement pas des lancements instantanés. Dans le cas des missions convoyant des satellites, il est en général possible de reprogrammer assez vite une nouvelle fenêtre de tir, souvent le lendemain, voire parfois quelques heures après. On peut même avoir un peu de souplesse, avec une fenêtre de tir assez étendue. Il n’y a en effet pas de rendez-vous spatial particulier pour ces lancements. Mais ce n’est pas le cas de la Station spatiale internationale.
Deux créneaux de secours existent toutefois, car la Station spatiale internationale finit tôt ou tard par repasser au-dessus de la Floride. Le premier est au 30 mai 2020 à 21h22, heure de Paris. Sinon, il y a la possibilité de se replier au 31 mai, à 21h, heure de Paris. Il reste à savoir si les conditions météorologiques seront satisfaisantes. On peut s’inquiéter : le bilan de l’armée américaine en date du 28 mai indique une probabilité d’infraction aux règles météorologiques de 60 %. Pour les deux dates.
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