Le changement climatique dérègle les écosystèmes. Il en résulte une métamorphose des habitats naturels. Par exemple, les océans connaissent une mutation profonde comme il n’en est jamais advenu depuis 10 000 ans. Cette perturbation des habitats met en danger de nombreuses espèces. Il en résulte les débuts d’une sixième extinction de masse. Autre conséquence, tout aussi importante : de grands déplacements dans les populations animales, qui changent tout bonnement d’habitats sur la planète.
Dans un travail analytique publié fin mai 2020 dans Nature, les chercheurs ont produit une vaste base de données intitulée BioShifts. Il s’agit d’une compilation de plus de 250 études dédiées aux changements ayant lieu dans 30 000 habitats, ce qui correspond à 12 000 espèces de plantes et d’animaux. Les résultats confirment que les espèces marines migrent vers les pôles… mais de façon bien plus massive et rapide que les espèces terrestres.
Que les populations d’espèces marines se déplacent vers les pôles Nord et Sud n’est pas une surprise, comme le relatait déjà un travail de recherche publié dans Current Biology en mars 2020. L’explication est simple : elles « fuient » le réchauffement planétaire, en se déplaçant vers des habitats moins chauds. Comme le montrent les auteurs de cette étude, l’abondance de la plupart des espèces marines tend à diminuer au niveau de l’équateur, où « les températures deviennent trop chaudes pour survivre », pour augmenter au niveau des pôles.
« C’est inquiétant, car l’augmentation et la diminution de l’abondance peuvent avoir des répercussions néfastes sur l’écosystème au sens large », écrivaient les auteurs, dans Current Biology. L’ère de l’Anthropocène — où l’humanité a un impact significatif sur l’évolution de la Terre — produit effectivement une mutation de fond dans les écosystèmes. La nouvelle étude parue dans Nature offre justement une vision plus précise de cette mutation.
Les amphibiens migrent de 12 mètres par an
La base de données BioShifts montre que les espèces marines « se déplacent vers les pôles six fois plus vite que les espèces terrestres », en moyenne. Les amphibiens migrent de 12 mètres par an, tandis que les reptiles migrent quant à eux de 6,5 mètres par an.
Les auteurs de l’étude invoquent les activités humaines (densité de population, routes, agriculture, pollution, commerce, acidification des océans), à la fois comme cause de la migration, mais aussi pour expliquer ce différentiel entre espèces marines et espèces terrestres. « La pêche commerciale pourrait accélérer le déplacement des espèces marines par l’épuisement des ressources et l’effondrement de la population », écrivent les chercheurs. En revanche, sur la terre ferme, « la perte des habitats et la fragmentation dues aux utilisations du sol entravent la capacité des espèces terrestres à suivre les changements d’isothermes [lignes de température] en latitude, certaines espèces se déplaçant dans la direction opposée à ces isothermes ».
À cela, il faut ajouter une différence dans la sensibilité aux changements de température. Les animaux terrestres au sang ont une meilleure capacité de régulation de leur température corporelle que les animaux marins au sang froid, puisque l’eau conduit davantage de chaleur que l’air. De base, donc, les espèces vivant dans les océans vivent moins bien le réchauffement de leurs habitats et vont donc chercher des lieux moins chauds plus rapidement.
En clair :
- Dans les océans, les espèces marines subissent très fortement la pression du réchauffement, à laquelle s’ajoute une pression de l’activité humaine les poussant encore davantage à se déplacer. Cette migration est d’autant plus favorisée que, dans les océans, la dispersion des populations fait face à peu de contraintes.
- Sur les continents, les espèces terrestres subissent également le réchauffement, mais s’y adaptent plus facilement à court terme et les activités humaines ralentissent leur capacité à migrer de manière effective et organisée.
« La redistribution de la biodiversité aura des conséquences plus immédiates et de plus grandes envergures dans les océans »
Pour les auteurs de l’étude, ce différentiel dans la migration des espèces vers les pôles n’est pas sans conséquence : « Le fait que les espèces marines s’adaptent mieux au réchauffement planétaire suggère aussi que la redistribution de la biodiversité aura des conséquences plus immédiates et de plus grandes envergures dans les océans que sur terre. »
Cette base de données BioShifts, inédite et précieuse, comporte une limite intrinsèque que les chercheurs reconnaissent. Malgré l’immensité des informations qu’elle comporte — 12 000 espèces — la biodiversité terrestre et marine est plus vaste encore. Ce chiffre ne représente que 0,6 % de la biodiversité. Les auteurs en appellent donc à poursuivre les recherches à partir de ce point de départ. « Notre base de données sur les changements d’aire de répartition des espèces fournit des fondations solides pour mettre en place un véritable suivi mondial de la redistribution des espèces. »
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