Le bruit autour du débat sur l’hydroxychloroquine pour traiter la covid-19 interroge la place de la science dans la société et dans les médias, alors même que la méthode scientifique devrait plus que jamais être prise au sérieux en période de pandémie.

Est-il encore question de science quand l’on fait aujourd’hui référence à l’hydroxychloroquine ? C’est la malheureuse question à se poser face à l’ultra-médiatisation et aux récupérations politiques de ce potentiel traitement contre la maladie Covid-19. Et il faut bien avouer que la réponse est, en grande partie, non. À la recherche médicale, à la méthode scientifique, à la rigueur de traitement des informations, un débat politisé à la frontière de l’irrationnel s’y est substitué. Une situation gravissime en contexte de pandémie et qui interroge la place de la science dans la société et les médias.

L’affaire a pris corps quand Didier Raoult a déclaré dans la presse une « fin de partie » pour le coronavirus grâce à son protocole associant l’hydroxychloroquine à un antibiotique. Mais les études menées à l’IHU de Marseille ne suivaient pas la méthode scientifique et n’apportaient aucune preuve. Le débat est donc né du décalage entre les paroles triomphantes de Didier Raoult et les faits, qui ne confirmaient pas de telles affirmations.

Il y avait donc déjà un problème : un discours venait prendre le pas sur la science, posant les bases d’un culte de la personnalité autour du chercheur. Ce qui aurait pu être un épiphénomène, une erreur vite oubliée, n’était en fait que le début d’une longue séquence.

Hydroxychloroquine : image d'illustration // Source : Lucie Benoit / Numerama

Hydroxychloroquine : image d'illustration

Source : Lucie Benoit / Numerama

Une succession d’études sont venues se greffer au débat. Du côté de l’équipe de Didier Raoult, les nouvelles recherches ne respectaient toujours pas la méthode scientifique, n’apportaient toujours pas de preuves suffisantes, mais le professeur continuait à déclarer victoire. En face, les autres études scientifiques étaient nuancées. Certaines, souvent faibles en méthode, concluaient à une possible efficacité de l’hydroxychloroquine. D’autres, avec une meilleure méthode, mais en nombre clairement insuffisant pour apporter une preuve définitive, ne trouvaient pas d’efficacité dans le traitement et alertaient sur ses risques.

En bref, d’un point de vue scientifique, l’état général des connaissances se traduit surtout par un manque général de preuves sûres et certaines. Les signaux font pencher la balance en la défaveur du traitement — une efficacité non systématique et des risques récurrents actés sur le terrain — mais il faut encore rester prudent. Si l’on s’en tient à la science, à la médecine, aucune conclusion tranchée et définitive n’est aujourd’hui admissible. Ce qui a conduit à la prudence : il faut du temps et des faisceaux suffisants de preuves pour déclarer qu’un médicament a un intérêt pour les patients et ne dégrade pas plus leur santé qu’il ne l’améliore.

Une mauvaise étude ne justifie pas une mauvaise étude inverse

Et puis il y a eu l’étude dans The Lancet, qui concluait en grande pompe à l’inefficacité et à la dangerosité de l’hydroxychloroquine (associée ou non à un antibiotique). Solide en apparence, relayée comme signant la fin du débat, cette étude avait pourtant d’énormes faiblesses scientifiques et comportement de nombreuses zones d’ombre sur les données qu’elle présentait.

Ses conclusions ne sont pas fiables, tant et si bien que le 2 juin 2020, la revue The Lancet a publié un erratum et s’est elle-même distanciée de l’étude, une situation relativement rare. Cela n’a pas empêché l’Organisation mondiale de la Santé ou encore le ministre français de la Santé Olivier Véran de prendre des décisions sur la base de cette étude (arrêt puis reprise de certains essais, idée d’une révision des règles de prescription).

Ce qui ne signifie toujours pas la victoire d’un camp, concept qui ne devrait pas être au cœur de la recherche scientifique. Une réaction absurde serait d’imaginer que parce que l’étude de The Lancet n’est pas fiable, alors cela valide automatiquement le traitement ou les propres études de Didier Raoult. Un tel raisonnement serait évidemment faussé. Une mauvaise étude ne justifie pas une autre mauvaise étude, ni inversement. L’exigence de rigueur scientifique est générique : toute étude doit respecter cette transparence, cette méthode, au maximum. Ce que les méthodologistes ont reproché à Didier Raoult sera reproché également à l’étude du Lancet, ou à tout autre travail mal réalisé.

Les quiproquos autour de l’étude du Lancet montrent en tout cas que le débat dédié à l’hydroxychloroquine ne repose clairement plus sur les bons repères.

Quand l’opinion détruit la science

La vérité sur cet emballement, c’est que l’opinion personnelle est venue se glisser là où elle n’avait pas à être. Une opinion n’est pas un objet scientifique. Avoir une opinion sur l’hydroxychloroquine, avoir une opinion sur Didier Raoult, avoir une opinion sur un traitement n’a aucune valeur quand on entre dans le champ de la science. Être « pro » ou « anti » hydroxychloroquine n’a aucun sens. Ni les chercheurs sérieux ni les journalistes scientifiques ne raisonnent ainsi. Ce n’est pas en étant intimement convaincu, ni en criant très fort ni en l’écrivant agressivement dans des dizaines de tweets et commentaires, ou en enchaînant les interviews que l’hydroxychloroquine va fonctionner… ou ne pas fonctionner.

Cette fracturation du débat autour de l’hydroxychloroquine en camps idéologiques où plus rien n’est fondé sur des faits montre que le débat scientifique a été dénaturé, presque volé. Mais le plus grave est qu’il n’est alors plus question de la molécule. Il n’est plus question de traitement potentiel. Il n’est plus question de médecine. Il n’est plus question de preuves apportées par la science.

Est-il encore d’ailleurs question de sauver des vies ? On peut se poser la question, car il faut rappeler que cette séquence désastreuse a provoqué de très graves problèmes sur le terrain et dans la recherche. « Les études sur n’importe quel autre traitement, enrôlant tous les âges et degrés de sévérité, sont en grande difficulté », alertait le scientifique Sergio Valdes-Ferrer dans un article de la revue Nature qui montrait comment toute la recherche médicale dédiée à Covid-19 s’en retrouve ralentie, alors même qu’elle va plus vite que jamais en cette période.

On peut regretter par ailleurs à quel point cette dénaturation du débat malmène la méthode scientifique, qui a pourtant fait ses preuves et sauvé des vies ces dernières décennies. Un tel état des lieux interroge profondément la place de la science dans la société et dans les médias. Pourquoi Didier Raoult n’a-t-il donc jamais été mis face à des journalistes scientifiques, par exemple, enchaînant les plateaux d’éditorialistes ? La surmédiatisation de ses déclarations sans contradiction ni mise en perspective fait partie du problème, comme la diffusion rapide de diverses études scientifiques sans qu’elles soient vraisemblablement lues ou décryptées, alors même qu’elles ne sont parfois que des prépublications non révisées par les pairs.

Un emballement qui nous ferait presque oublier que nous sommes pourtant en pleine pandémie. La science devrait être prise au sérieux et valorisée, non pas être malmenée de tous bords. Non pas être récupérée à des fins politiciennes. Encore moins être déformée pour servir des thèses complotistes loin de tout fait avéré. Il est urgent de sortir de cette situation où les repères sont brouillés, pour assainir le débat. Comment une démocratie pourrait-elle être fonctionnelle si l’information scientifique est à ce point perdue dans un brouhaha où elle ne peut plus être sereinement transmise ?

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