Des scientifiques viennent de confirmer en laboratoire une théorie vieille de 50 ans sur le potentiel énergétique des trous noirs.

Et si l’on pouvait produire de l’énergie grâce à un trou noir ? Cette idée relève aujourd’hui de la science-fiction. Quand bien même ce serait cohérent avec les lois de la physique, ce ne serait pas forcément applicable. Mais ce type d’obstacle n’empêche jamais les scientifiques de poser les questions. Cette démarche peut offrir quelques fois des clés inattendues. Voilà ce qui a probablement motivé les scientifiques de l’université de Glasgow, et cela a payé. Dans un article publié dans la revue Nature Physics publié le 22 juin 2020, ils relatent leur mise en pratique originale d’une théorie imaginée il y a plus de 50 ans.

Cela nous ramène en 1969. Le mathématicien Roger Penrose suggérait qu’il ne serait pas impossible de récupérer de l’énergie à partir d’un trou noir. Il faudrait selon lui s’appuyer sur l’ergosphère. Cette ample région se situe en bordure de l’horizon des événements d’un trou noir. En tournant extrêmement rapidement, le trou noir génère un puissant mouvement tout autour de lui. Dans cette zone, l’énergie cinétique entraîne alors toute la matière qui passe à proximité.

Une représentation d'un trou noir. // Source : Capture d'écran YouTube Nasa Goddard

Une représentation d'un trou noir.

Source : Capture d'écran YouTube Nasa Goddard

C’est la raison pour laquelle l’ergosphère serait le lieu idéal pour drainer de l’énergie. Dans le processus de Penrose, il faudrait propulser un objet dans cette région, à contre-courant du sens de rotation, et faire en sorte que l’objet se sépare soudainement en deux au moment de son entrée. La première partie de l’objet serait dirigée vers l’horizon des événements, et donc aspirée.

La seconde partie serait quant à elle expulsée, et ce à une vitesse bien supérieure à celle que le permettrait sa masse originelle. Ce second fragment aurait alors gagné énormément d’énergie en « volant » l’énergie cinétique à l’ergosphère du trou noir. Pour illustrer, c’est comme si l’objet avait surfé un bref instant sur un tapis roulant ultra rapide, happant de l’énergie cinétique au passage et se voyant donc catapulté plus rapidement que sa vitesse d’envoi.

Une mise en pratique, en laboratoire, de la théorie

Dès 1971, le scientifique russe Yakov Zel’dovich suggère de tester l’idée avec une mise en pratique. Évidemment, il n’est pas possible de le faire avec un véritable trou noir. Il propose de remplacer l’astre par un cylindre métallique en rotation, puis de projeter sur sa surface des flashs déformés de lumière. À l’image de l’objet au bord du trou noir, une partie des rayons lumineux rebondiraient en revenant avec une plus grande quantité d’énergie qu’à l’origine.

Malheureusement, l’expérience n’était pas davantage réalisable qu’avec un trou noir : pour que les rayons lumineux acquièrent de l’énergie, il faudrait que le cylindre tourne à une vitesse d’au moins un milliard de tours par seconde. Il n’y avait donc, a priori, aucun moyen de véritablement tester la théorie. Elle est restée en suspens pendant cinquante ans, jusqu’à ce que les scientifiques de l’université de Glasgow élaborent une solution : remplacer la lumière par le son, en tordant les ondes sonores comme Zel’dovich proposait de tordre les rayons lumineux.

Dans leur version de l’expérience, le cylindre est devenu un disque en mousse, vers lequel des hauts-parleurs envoyaient les ondes sonores déformées. Des microphones ont été installés derrière le disque pour capter les ondes qui le traversent.

Un résultat « extraordinaire »

Le résultat était « extraordinaire », rapportent les auteurs. À mesure que la vitesse de rotation du disque augmentait, le volume sonore des sons enregistrés par les microphones se réduisait, jusqu’à ce que les sons deviennent inaudibles. Puis, l’accélération de la rotation se poursuivant, les sons sont redevenus progressivement audibles… jusqu’à atteindre un volume plus élevé qu’à l’origine. L’amplitude des ondes sonores était 30 % supérieure à la puissance originelle.

Une théorie vieille d’un demi-siècle confirmée en laboratoire

L’explication fournie par Marion Cromb, l’une des scientifiques derrière l’expérience, dans le communiqué est fascinante : « Ce qu’il se passe, c’est que la fréquence des ondes sonores est décalée vers zéro par l’effet Doppler à mesure que la vitesse de rotation augmente. Lorsque le son revient ensuite, c’est parce que les ondes ont été déplacées d’une fréquence positive vers une fréquence négative. Ces ondes à fréquence négative sont capables de prendre une partie de l’énergie du disque de mousse en rotation, devenant ainsi plus fortes — comme l’a proposé Zel’dovich en 1971. »

Si toutes les idées de base relevaient donc de la pure théorie, ces chercheurs ont réussi à en expérimenter une version en laboratoire. « C’est étrange de penser que nous avons été capables de confirmer une théorie d’il y a un demi-siècle, et initialement aux dimensions cosmiques, dans notre laboratoire à l’ouest de l’Écosse. On pense que cela va ouvrir de nouvelles pistes d’exploration scientifique. » Si puiser de l’énergie d’un trou noir n’est pas pour tout de suite, et ne sera peut-être jamais applicable, le principe qui sous-tend l’idée pourrait nourrir bien des avancées dans la production énergétique.

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