Les engins capables de se déplacer sur le sol d’une autre planète sont rares, et pour l’instant il s’agit uniquement de rovers. Il y a bien eu des sondes fixes, d’autres capables de survoler les mondes inconnus, mais pour se déplacer au sol, rien de tel que les roues ! Cependant, les ingénieurs de la Nasa ne sont pas à court d’idées et ont dévoilé un concept très différent pour partir à la découverte des lunes glacées du Système Solaire : SPARROW.
Le sigle signifie Steam Propelled Autonomous Retrieval Robot for Ocean Worlds. Il s’agit en réalité d’une véritable armada de robots qui se déplaceraient en bondissant pour circuler sans danger sur les terrains les plus hostiles. Imaginez des sortes de balles de foot qui sautent à travers les montagnes et les vallées pour récolter de précieux échantillons à analyser.
Alors, pourquoi ne pas recourir aux classiques rover ? Et bien à cause des cibles à visiter : la lune de Jupiter Europe, mais aussi deux satellites de Saturne — Encelade et Titan. Trois mondes très différents, mais qui ont comme point commun d’avoir un relief extrêmement compliqué à explorer. Pour le leader du projet Gareth Meirion-Griffith, c’était une des principales motivations : « Le terrain d’Europe par exemple est très complexe, explique-t-il dans un communiqué de la Nasa, il peut y avoir des terrains poreux, des crevasses, ou des blocs de pierre de plusieurs mètres de haut. » Dans la même ambiance, le paysage de Titan, sous sa pluie de méthane, est parsemé de lacs, de cratères et de dunes. Sans compter la partie sud d’Encelade, la plus intéressante à explorer avec ses crevasses de plusieurs kilomètres de large et ses geysers.
Entre Jules Verne et Wall-E
Autant de lieux bien éloignés des grandes étendues martiennes arpentées tranquillement par les rovers. C’est pourquoi la Nasa opte pour un mode de déplacement complètement différent. Les robots de SPARROW seront en effet propulsés… à la vapeur ! Les lecteurs de Jules Verne et les amateurs de steampunk lèveront un sourcil amusé à cette idée, mais les déplacements basés sur la vapeur sont bien quelque chose d’étudié de très près par les ingénieurs à travers le monde.
Déjà en 2015, la Nasa avait participé au développement d’un projet de vaisseau nommé WINE pour World Is Not Enough, destiné à voyager d’astéroïde en astéroïde grâce à son moteur à vapeur. La principale innovation étant de pouvoir trouver du carburant partout étant donné qu’il lui suffisait de prélever de l’eau pour la transformer en vapeur et poursuivre son voyage. Et l’eau est une ressource abondante sur de nombreux astres dans le système solaire, notamment des astéroïdes ou les lunes glacées comme celles qui sont visées par SPARROW.
SPARROW qui fonctionne sur le même principe. Les « balles » seront déposées à la surface par un atterrisseur qui servira de base. Une fois installé, l’engin creusera dans la glace et la fera fondre, puis chargera les explorateurs qui pourront chauffer l’eau jusqu’à produire de la vapeur. Une fois cette énergie emmagasinée, les petits robots pourront faire un grand bond jusqu’à une cible prédéterminée sur leur nouveau terrain de jeu. Une version plus maîtrisée de Wall-E et de son extincteur, en somme.
Grâce à des simulations informatiques, il devrait être possible de prévoir assez précisément où les balles atterriront, et puisque la gravité sur ces lunes est assez faible, elles devraient être capables d’aller assez loin avec un seul grand bond.
Une fois leur cible atteinte, elles pourront récolter quelques échantillons à étudier, puis rentreront à leur base pour déposer leur butin, et surtout se recharger en eau en vue d’un nouveau bond. Il leur sera alors théoriquement possible de continuer ainsi indéfiniment, et d’explorer une grande partie de l’astre, surtout si elles s’y mettent à plusieurs.
La tendance des missions bonus
Un projet qui n’en est pour l’instant que dans sa phase de test et qui sera sans doute confronté à d’importantes difficultés. C’est ce qu’assure à Numerama Simon Tardivel, ingénieur au CNES: « Les problèmes, on ne les voit qu’à la fin généralement ! Des petits détails auxquels on ne pense pas tout de suite, mais qui changent tout. Par exemple, il faut empêcher l’eau de geler pendant le transfert, il faut que l’engin puisse se déplacer de manière autonome… Mais ça reste très enthousiasmant ! »
Si les tests sont concluants, le projet pourrait faire partie de la mission Europa Lander, un projet prévu pour 2026 qui consiste à poser un engin sur le sol d’Europe pour étudier sa composition. Pour Simon Tardivel, ce type d’envoi groupé pourrait devenir de plus en plus présent: « C’est une manière de décupler les objectifs d’une mission. Il y a un engin principal, ici un atterrisseur, et d’autres plus petits, moins polyvalents, mais aussi plus mobiles. Ils ne constituent pas l’objectif principal, mais en apportent de nouveaux. » Une philosophie qui permet à la fois de rapporter davantage de données scientifiques, de tester de nouvelles technologies en conditions réelles, et qui représente un risque relativement faible.
La Nasa assume complètement ce côté bonus avec la mission Perseverance, et son hélicoptère qui représente avant tout un test, mais qui en cas d’échec ne remet pas du tout en cause les objectifs principaux. Dans le même esprit, le Japon avait envoyé sa sonde Hayabusa-2 explorer l’astéroïde Ryugu, mais avait aussi déployé les petits atterrisseurs MASCOT qui ont récolté des échantillons. « La différence avec SPARROW, précise Simon Tardivel, c’est que les nanosats sont mobiles et propulsifs, ce qui multiplie les possibilités sur place. »
Mais SPARROW pourra-t-il voir le jour ? C’est la question qui se pose actuellement à la Nasa puisque le projet fait partie de ceux qui ont été élus lors de la phase I des NIAC en 2018. Les NIAC pour Nasa Innovative Advanced Concepts financent des projets considérés comme étant visionnaires et destinés à faire progresser la conquête spatiale. Les projets qui passent la première phase bénéficient d’un financement pour être testés afin d’évaluer leur viabilité.
Ainsi, l’équipe en charge de SPARROW teste les meilleures manières de créer un moteur basé sur l’utilisation de la vapeur. Ils ont aussi pu mieux comprendre comment le robot peut chuter lors de son atterrissage et comment faire pour le propulser le plus loin possible. «Nous avançons, indique Gareth Meirion-Griffith, nous avons pu déterminer qu’un seul long saut serait plus efficace que plusieurs plus petits. »
Si les tests sont concluants, SPARROW pourrait passer dans la phase II et poursuivre plus en profondeur sa période d’essais. En revanche, pour un lancement il faudra être patient et attendre peut-être des années. Mais dans tous les cas selon Simon Tardivel c’est important de soutenir et de financer ce type de projet : « Même si ça n’aboutit jamais, ce sera toujours l’occasion de débroussailler le terrain pour les suivants et de comprendre ce qui n’allait pas. Il faut toujours douter, mais continuer à être enthousiaste ! »
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