La course médicale contre le coronavirus SARS-CoV-2 va plus vite que jamais. C’est aussi l’occasion de se rappeler à quel point la médecine nous protège déjà de nombreuses maladies, autrefois dangereuses avant les vaccins. Depuis 2018, 11 vaccins sont obligatoires en France, auxquels s’ajoutent des vaccins recommandés, comme celui contre la grippe. Mais pourquoi, en présence de vaccinations aussi variées et efficaces, ne sommes-nous pas vaccinés contre des maux du quotidien, comme le rhume et la gastro ? Le Pr Daniel Floret, vice-président de la Commission technique des vaccinations de la Haute Autorité de Santé, éclaire la situation pour Numerama.
Concernant des maladies courantes comme le rhume ou la rhinite, issues de rhinovirus, il n’existe tout simplement pas de vaccins homologués à l’heure actuelle, et la recherche dans le domaine est minime. Pour une raison simple : ce n’est pas utile. « Ce sont des maladies banales et bénignes », décrit Daniel Floret. « Il y a au moins quatre types de coronavirus qui donnent le rhume, auxquels s’ajoutent encore quatre autres types de rhinovirus qui donnent d’autres rhumes. Il faudrait faire de multiples vaccins pour une maladie bénigne. »
En revanche, pour une maladie comme la gastro-entérite, c’est une autre histoire. Celle-ci est rarement grave, mais elle peut être particulièrement dangereuse chez le nourrisson. Les gastros peuvent être provoquées par trois types de germes : bactéries, parasites et virus. Concernant les virus, le rotavirus est responsable de plus de la moitié des gastros chez les nouveau-nés. Il existe à notre époque deux vaccins clairement efficaces contre le rotavirus. « Cette vaccination est utile. Elle évite dans 70 % des cas une gastro-entérique à rotavirus ; et dans plus de 85 % des cas l’hospitalisation », affirme à Numerama Daniel Floret.
Dans de nombreux pays, les nourrissons connaissent donc une vaccination automatique contre la gastro durant leurs premiers mois. En France, ce n’est pas le cas. Les vaccins contre la gastro-entérite sont prescrits par certains pédiatres, mais ils ne sont ni obligatoires, ni recommandés par la Haute Autorité de Santé. Cela signifie qu’ils ne sont pas remboursés. Cette situation française autour de la vaccin contre la gastro-entérite est le résultat des péripéties médicales et médiatiques sur les effets secondaires du vaccin.
L’histoire compliquée du vaccin contre la gastro en France
Les premiers vaccins contre le rotavirus ont été développés au début des années 2000 et, à cette époque, les États-Unis ont même commercialisé un tout premier vaccin pour les nourrissons. Sauf que celui-ci, trop préliminaire, entraînait de graves complications : l’invagination intestinale aiguë du nourrisson (trouble intestinal faisant qu’une des parties de l’intestin va pénétrer dans la partie suivante). La diffusion de ce premier vaccin a donc été arrêtée net. Mais d’autres firmes ont continué à travailler sur de meilleures moutures. En 2007, deux nouveaux vaccins voient le jour.
Les autorités sanitaires françaises de l’époque refusent de les recommander. Pour comprendre pourquoi, il faut d’abord relever que l’un des symptômes les plus problématiques de la gastro est la déshydratation : en analysant la situation pour savoir s’il fallait recommander ou non un vaccin contre la maladie, les autorités de santé ont constaté que les solutions de réhydratation orale n’étaient pas suffisamment prescrites par les médecins en France. Pour soigner la gastro, on pouvait « voir prescrits 4 à 5 médicaments, dont des antibiotiques, qui avaient bien moins d’utilité que ces solutions », se rappelle Daniel Floret. L’évaluation en a alors conclu qu’avant d’envisager un vaccin, il fallait d’abord développer tout simplement un meilleur soin de la maladie. L’évaluation médico-économique quant à elle en arrivait à la conclusion que « la balance coûts/bénéfices jouait en la défaveur de la recommandation d’un vaccin » : il était trop cher pour une maladie majoritairement bénigne.
Quelques années plus tard, les données cliniques sur les vaccins contre la gastro-entérite se sont accumulées en donnant des résultats toujours plus concluants. Ces données ont permis de conclure que le risque d’invagination était spécifiquement circonscrit autour de 10 jours après la vaccination, quand cela survient. Cela signifie que si les médecins vaccinateurs avertissent les parents qu’il faut consulter si telle ou telle manifestation survient dans les 8 à 12 jours, alors les dangers sont quasi inexistants — l’invagination se soigne sans problème si le diagnostic est fait à temps. « En 2014, le comité technique de la HAS a donc recommandé cette vaccination contre le rotavirus. »
La recommandation du vaccin : le revirement de la HAS
À partir de cette date, en 2014, les médecins français ont commencé à le prescrire davantage. Mais après quelques mois, « il y a eu des rapports de pharmacovigilance qui faisaient état d’un certain nombre de complications liées à la vaccination » : les cas d’invagination se multipliaient. Daniel Floret nous explique que si la Haute Autorité de Santé avait demandé à ce que le vaccinateur informe des risques ainsi que des signes qui doivent amener à consulter, cela n’était pas suffisamment fait. Dans un contexte de montée des anti-vaccins, « les médecins craignaient que si on disait ça aux parents, on ne vaccinerait presque personne. Donc ces cas ont été diagnostiqués très tardivement.»
Daniel Floret nous confie même se souvenir d’une polémique qui ne faisait que gonfler dans la presse après ce rapport, et d’une montée en puissance de théories du complot suggérant que la Haute Autorité de Santé avait des conflits d’intérêt, « ce qui est évidemment faux ». Quoi qu’il en soit, face aux mauvaises pratiques et à la polémique, la HAS a fini par retirer sa recommandation. Les médecins peuvent le prescrire, et le font régulièrement, mais ce n’est pas remboursé en raison de l’absence de recommandation par la HAS.
Une situation que Daniel Floret déplore sur le plan médical. « C’est un vaccin dont l’efficacité n’est pas discutable. Avec le recul, on sait que les risques d’invagination sont très faibles. » Il n’est pas impossible que la Haute Autorité de Santé s’exprime à nouveau à ce sujet un jour, mais la réponse de Daniel Floret est claire : ce n’est pas près d’advenir, la commission technique ayant des priorités médicales plus urgentes.
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