« Une immense majorité de nos technologies sont conçues pour notre état éveillé, même si un tiers de nos vies se passe quand on est endormi », écrivent dans les scientifiques à l’origine de Dormio. Cet appareil est censé permettre de créer une forme de contrôle sur les rêves, en suggérant des thèmes spécifiques pour influer sur le contenu des songes. Mais cela fonctionne-t-il vraiment ? Et, si oui, comment cela marche-t-il ? Les inventeurs publient les résultats de leurs expérimentations dans l’édition août 2020 de Consciousness and Cognition.
Pour les inventeurs de Dormio, les interfaces technologiques actuelles « ratent une occasion d’accéder à des capacités cognitives uniques, imaginatives et élastiques qui se développent pendant les rêves et les états semi-lucides ». Cette phase de la vie est une opportunité importante, selon eux, pour consolider notre mémoire, générer des idées créatives, réguler nos émotions. « Dans ce projet, nous explorons les moyens d’augmenter la créativité humaine en prolongeant, influençant et capturant les rêves dans le sommeil de la phase 1. »
La phase 1 dont parlent ces scientifiques est l’état hypnagogique, durant lequel on entre en sommeil tout en restant en veille. Il s’agit tout simplement de la phase d’endormissement. Pour les auteurs, cet état est idéal : s’il est physiologiquement proche du sommeil paradoxal, on y reste pourtant sensible à des signaux extérieurs tels que le son. De fait, c’est un moment du sommeil où l’on est particulièrement réceptif aux suggestions influant sur les rêves.
Incubation ciblée de rêves
Pour influer sur les rêves des 50 participants à l’étude, les scientifiques utilisent un procédé appelé Targeted Dream Incubation — une incubation ciblée de rêves. L’appareil Dormio effectue un suivi physiologique des phases du sommeil et, en fonction des données qu’il reçoit, va déclencher des signaux audio à des moments spécifiques. Certains de ces messages audio, comme « Rappelle-toi de penser à un arbre » utilisé pour cette expérience, sont enregistrés en amont par l’utilisateur lui-même.
Dans l’une des configurations les plus efficaces expérimentées par les scientifiques durant l’étude, on assiste quasiment à une sorte de dialogue humain/machine :
- Quand on entre en phase 1 du sommeil, l’appareil déclenche l’audio « Rappelle-toi de penser à un arbre » ;
- Quand on entre bien plus profondément dans le sommeil, l’appareil nous réveille presque en indique que « Tu es en train de t’endormir » avant de poser la question : « Dis-moi à qui tu penses », permettant de verbaliser la pensée liée aux arbres, ce que l’appareil enregistre ;
- Dormio demande ensuite « Et étais-tu en train de t’endormir ? » et, une fois que le participant a répondu (« je dormais », « j’étais en train », etc.), l’appareil renchéri avec « Rappelle-toi de penser à un arbre » puis « Tu peux te rendormir, maintenant ».
L’un des processus utilisé par Dormio est de répéter ce dialogue régulièrement, en réveillant le participant pendant son sommeil, pour lui remémorer le thème. Un mécanisme qui peut paraître étonnant, mais drôlement efficace : 67 % des personnes du groupe participant à cette configuration ont rêvé d’arbres. Voici un extrait de l’un des compte-rendus fournis par les participants :
« Cela a commencé avec un arbre, c’était comme si je pensais à un arbre. Pendant les premières minutes je n’allais pas vraiment quelque part avec l’arbre. J’étais juste en train de le regarder. C’était vraiment coloré. Mais à chaque fois que [l’appareil] me réveillait, le parcours et les détails devenaient plus profonds dans la façon dont une histoire émergeait. J’ai commencé à m’enfoncer dans le chemin d’une histoire à chaque fois que le mot ‘arbre’ était mentionné (…) Je me sentais plus créatif que d’habitude (…) il me semblait plus facile de penser à des choses et à des histoires abstraites, comme si cela me venait simplement à l’esprit. »
Influer sur les rêves : pour quelles fins ?
La technologie qu’est Dormio, aussi préliminaire soit-elle, semble tout droit sortie d’un film de science-fiction. Ses concepteurs indiquent y voir surtout un moyen d’améliorer la créativité ou bien l’apprentissage. Mais s’il y a bien une chose que la SF nous enseigne, c’est que ce type de procédés pourrait aussi être mal utilisés. Les chercheurs répondent à ce problème en précisant que « les gens surveillent leur environnement et sont conscients de leur descente dans le sommeil, limitant la capacité d’insérer les idées que les gens ne veulent pas insérer, ou d’extraire les idées qu’ils ne veulent pas extraire.»
Ils admettent toutefois qu’encourager les gens à rêver de certains sujets peut « changer la façon dont ils considèrent ces sujets après leur réveil » et n’excluent pas « une certaine diminution de la capacité de résistance aux nouvelles idées présentées dans l’hypnagogie ». Ils estiment que ce sont simplement « des choses qu’il faut garder à l’esprit », mais que les risques d’une mauvaise utilisation sont infimes et que les sujets garderont de toute façon le contrôle sur leurs pensées.
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