Des centaines de personnes réunies sous un soleil de plomb devant un écran géant, attendant impatiemment le compte à rebours, la tension, les craintes et puis les cris de joie et les applaudissements lors du décollage et de la disparition du lanceur Atlas V-541 dans les airs. Nous ne sommes pas à Cap Canaveral d’où est propulsé le rover Perseverance pour la mission Mars 2020, mais bien en France, à Toulouse où la Cité de l’Espace a organisé une retransmission de l’événement.
Pour presque chaque événement de grande ampleur lié au spatial, la Cité met en place des journées spéciales de ce type, mais cette fois l’ambiance est un peu différente, car Perseverance emporte avec lui un instrument essentiel qui a été construit en partie à Toulouse : SuperCam.
Cette caméra laser doit servir à analyser les roches prélevées par le rover. C’est le véritable œil de Perseverance qui doit déterminer la composition chimique des roches. Mais pas seulement.
Une ChemCam mise à jour
«C’était un gros projet pour lequel nous avions beaucoup de pression, reconnaît auprès de Numerama Sylvestre Maurice, le responsable scientifique de SuperCam. Nous sommes très fiers d’avoir pu livrer cet instrument. » L’astrophysicien de l’Irap (Université de Toulouse, CNRS, CNES) a dessiné la partie française de l’instrument conçu en collaboration avec les Américains du Los Alamos National Laboratory. Un projet qui a demandé la participation de scientifiques, de spécialistes de l’optique, de la mécanique et d’industriels. « En tout en France plus de 300 personnes ont dû contribuer à cet outil, nous avions besoin de nombreuses disciplines. »
Pourtant, les chercheurs ne partaient pas de zéro. Déjà sur Curiosity, le rover lancé vers Mars en 2011, il y avait un outil français très similaire à SuperCam : ChemCam. Là aussi, une caméra laser destinée à analyser des roches. Mais SuperCam va beaucoup plus loin avec au total 5 instruments distincts réunis en un seul.
Pour les deux premiers, ce sont sensiblement les mêmes que sur ChemCam : deux instruments qui servent à déterminer la composition atomique des roches analysées. Il y a d’abord LIBS (Laser induced breakdown spectroscopy), un laser infrarouge qui chauffe la matière visée jusqu’à 8 000 degrés. Sur une cible de 1 millimètre, et jusqu’à 7 mètres de distance, il projette un laser qui crée un plasma, une sorte d’étincelle qui sert à déterminer la signature spectrale de l’objet, et donc les atomes qui le forment. Et avec ce laser, le deuxième instrument complète l’arsenal : un imageur qui permet aux chercheurs sur Terre de voir ce que le rover analyse. La seule différence avec l’imageur de ChemCam est que celui-ci est en couleur et plus en noir et blanc.
«Tout cela nous donne les informations sur ce qui compose les roches, résume Sylvestre Maurice. Mais ce n’est pas assez, car des roches différentes peuvent être composées des mêmes atomes. Il nous fallait aller plus loin que ChemCam et c’est pourquoi nous avons créé des outils destinés à étudier les structures. »
C’est ici que SuperCam se distingue avec deux autres outils dédiés à l’analyse minéralogique. D’abord un spectromètre Raman, une méthode régulièrement utilisée en archéologie, mais jamais sur Mars qui consiste à envoyer une lumière monochromatique, ici verte, avec un laser et de faire vibrer les molécules visées. Ensuite, il suffit de mesurer l’écart de longueurs d’onde pour obtenir la signature de la molécule et la manière dont elles sont liées entre elles. Cette nouveauté est couplée avec un spectromètre infrarouge qui mesure des vibrations non visibles par le premier instrument. Et les deux réunis doivent donner des informations sur la manière dont la roche visée s’est formée, c’est-à-dire savoir si elle contient de l’eau par exemple, si elle est restée longtemps immergée, à quelle vitesse elle s’est déshydratée, etc.
Les premiers sons de Mars
Ce sont ces instruments qui ont constitué le sésame de l’outil français sélectionné par la Nasa pour se retrouver à bord de Perseverance. « Mais après la phase de sélection, nous avons voulu aller plus loin », assure Sylvestre Maurice. C’est pourquoi ils ont rajouté un dernier petit bonus : un micro qui va enregistrer le bruit fait par le laser, mais aussi le vent sur Mars — une première. Les Américains de leur côté ont également ajouté un micro pour enregistrer la descente.
«L’idée avait été mise de côté pendant des années, confie David Mimoun, le professeur à l’ISAE (Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace) qui a conçu l’instrument. Mais nous avons réussi à prouver à la Nasa qu’il était possible de faire de la science avec. » Les doutes des agences spatiales reposaient sur le fait que le son se propage peu dans l’atmosphère martienne, mais des tests ont montré que c’était bel et bien possible. Et l’outil a un véritable intérêt scientifique puisqu’il va enregistrer le son produit par le laser lorsqu’il touche la roche. «Selon le bruit, précise David Mimoun, cela indique si la roche est molle ou dure, et donc indirectement si elle a contenu de l’eau ou non. » Un argument qui a fini de convaincre la Nasa au-delà du fait d’entendre pour la première fois le son de Mars.
S’il y a de la vie, ce sera sous une forme très primitive
Tout cela va-t-il apporter enfin la réponse à cette question centrale de la mission : y a-t-il, ou y a-t-il eu un jour de la vie sur Mars ? Pas directement, selon Sylvestre Maurice, même si SuperCam sera décisif : «S’il y a de la vie, ce sera sous une forme très primitive, des sortes de bactéries comme il y avait sur Terre lors du premier milliard d’années de son existence. Et si c’est le cas elles seront très difficiles à détecter sur place. » C’est pourquoi SuperCam doit nourrir la double stratégie de la Nasa : analyser les roches martiennes visibles, mais aussi les échantillons prélevés par Perseverance. Des échantillons qui doivent être soigneusement choisis, contextualisés et censés présenter les différentes facettes de Mars avant d’être envoyés sur Terre.
« Nous sommes très fiers de notre SuperCam, insiste Sylvestre Maurice, mais avec la technologie sur Terre, nous pouvons faire 1 000 fois plus ! » Et pour ramener les échantillons sur notre bonne vieille planète, c’est également un groupe français qui a été mobilisé : Airbus, en charge du MSR Earth Return Orbiter qui a pour mission de ramener de petits morceaux de Mars. Une opération qui s’annonce encore une fois extrêmement complexe.
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