On connaît tous et toutes des fictions de voyage dans le temps. Le personnage remonte dans le passé et se retrouve confronté au dilemme de l’effet papillon : ses actions, même les plus infimes, vont-elles modifier le cours du temps ? La réponse est généralement oui. La théorie du chaos suppose que si l’on change le moindre paramètre des conditions initiales, cela aura forcément des conséquences sur la dynamique du système, en changeant le cours des événements comme des dominos.
En dehors de la science-fiction, ce principe n’a évidemment jamais été appliqué au voyage dans le temps — qui est physiquement impossible à l’heure actuelle. En revanche, dans le monde quantique, les règles sont différentes. Jouer avec le temps y est en quelque sorte possible. Cela peut tout du moins être simulé.
« Dans un ordinateur quantique, il n’y a aucun problème pour simuler une évolution qui remonte dans le temps, ou à simuler le déroulement d’un processus à l’envers dans le passé », explique le physicien Nikolai Sinitsyn dans un compte-rendu publié le 28 juillet 2020. Avec son équipe, au Los Alamos National Laboratory (États-Unis), il s’est basé sur cette possibilité pour « voir ce qu’il se passe dans un monde quantique complexe si nous voyageons dans le temps, ajoutons de petits dégâts et revenons » dans le présent. Le résultat n’est du tout pas celui attendu par la théorie du chaos de la physique standard.
Dans le passé, Bob endommage le qubit d’Alice
En informatique quantique, les unités contenant des informations sont les qubits. Il est possible de les enchevêtrer, ce qui donne une propriété quantique où ces informations se retrouvent fortement interconnectées. Elles sont « intriquées ». Pour leur expérience, réalisée dans l’ordinateur quantique IBM-Q, les physiciens ont créé une forme de scénario qui implique Alice et Bob.
Dans le présent, on a un monde quantique complexe, parfaitement enchevêtré. Alice connaît bien l’un des qubits puisqu’elle sait le décoder. Dans l’état passé de ce monde, Bob joue les intrus. Il intervient pour interférer avec le cours des choses en s’en prenant au qubit d’Alice. Résultat : il endommage ce qubit, lequel perd toutes ses corrélations initiales avec le reste du monde quantique. Ensuite, on revient dans le présent pour retrouver, en ré-avançant dans le temps, afin de constater les effets de ce changement. En clair, il faut retenir que les physiciens ont remonté le temps dans ce monde quantique pour endommager, aux origines, l’un des qubits. C’est comme si l’on voyageait en 1900 pour changer le cours d’un événement avant de revenir en 2020. Le présent de 2020 serait-il intact ?
Rappelez-vous : l’enchevêtrement quantique implique que les qubits sont interconnectés. Et dans cette expérience, les physiciens ont même opté pour un fort enchevêtrement. Normalement, en physique standard, la théorie du chaos implique que l’intervention anormale de Bob sur le qubit soit « magnifié » dans l’effet papillon. Pendant l’évolution complexe du système entre l’état initial avec Bob et l’état futur avec Alice, il y a tant de corrélations et d’interactions que le qubit endommagé ne devrait plus être lisible par Alice, tant il devrait être différent à cause de son endommagement dans le passé. Pourtant, aucun effet papillon de la sorte n’a été repéré par les physiciens. Rien n’avait changé dans le présent malgré le changement dans les conditions initiales du passé. Alice pouvait décoder le qubit. Le présent du monde quantique était intact, même après le changement inséré dans le passé. « Nous avons découvert que notre monde a survécu, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’effet papillon en mécanique quantique. »
Et le mindblown n’est pas terminé. L’une des découvertes est encore plus contre-intuitive : dans le royaume quantique, plus l’endommagement intervient loin dans le passé, plus le monde quantique est grand et complexe ; moins le changement opéré lors d’un voyage dans le temps n’a d’impact sur le présent. La raison d’être de cette absence d’effet papillon reste à comprendre pleinement. Les physiciens suggèrent que la configuration d’un état quantique est profondément inscrite dans son passé lointain, tant et si bien que des changements mineurs n’ont aucun impact sur les corrélations, lesquelles resurgissent de toute façon.
« Nous avons constaté que la notion de chaos en physique classique et en mécanique quantique doit être comprise différemment », concluent les physiciens, qui envisagent différentes implications à cette trouvaille, par exemple pour la sauvegarde de données sous forme quantique.
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