Depuis le 11 juillet 2020, une nouvelle forme de dépistage contre le coronavirus a été déployée. Ce sont des tests sérologiques rapides, réalisables en pharmacie en seulement 10 à 15 minutes, pour un coût de 20 à 25 euros. Problème : dans bien des cas, utilisés comme ils le sont aujourd’hui, ils sont parfaitement inutiles.
Numerama s’est rendu dans plusieurs pharmacies pour tester ces kits et obtenir des conseils sur leur interprétation. Dans ce reportage rocambolesque, nous montrons pourquoi ces tests sont survendus : pour un tarif trop élevé à l’achat, ils présentent une fiabilité médiocre, un mauvais encadrement dans les conseils prodigués et peuvent provoquer un désarroi largement évitable. En dehors d’une recommandation provenant d’un médecin pour des raisons spécifiques, leur utilisation spontanée, de votre propre chef, est à éviter.
À la recherche d’une pharmacie
Premier constat : toutes les pharmacies n’ont pas ces tests en stock, et pour différentes raisons. Certaines pharmacies n’étaient pas au courant de l’existence de ces tests rapides et nous ont renvoyé en laboratoire. D’autres ne semblaient pas vouloir les pratiquer, sans jamais vraiment expliquer pourquoi. D’autres encore étaient simplement en attente de les recevoir, comme dans cette pharmacie où la préparatrice a reproché aux médias de « s’emballer » sur ces tests. « Il y a certaines pharmacies sur Paris qui ont déjà commencé, mais à mon avis elles sont ‘pistonnées’, suggère-t-elle. Elles ont de grosses structures dans des groupements. Dans les plus petites structures, on attend que le fax de l’ordre des pharmaciens arrive, puis il faut le temps que le grossiste nous prévienne de la disponibilité du produit. »
Elle essayait de nous piquer avec le bouchon de la seringue
Après être passés par 3 ou 4 pharmacies, sans succès, nous tombons finalement sur une première pharmacie qui pratique le test. On nous demande de revenir le lendemain, car la personne habilitée à faire ces tests n’est présente que le mercredi et le vendredi. Dans une seconde et une troisième pharmacie, les employés présents ne veulent pas non plus réaliser le test et nous demandent de repasser plus tard, car ils n’ont pas été formés à la réalisation du test.
Quelques minutes plus tard, nous aurons l’occasion de constater l’intérêt d’une telle formation, car, dans la pharmacie suivante, la personne présente essayera de nous faire la piqûre au doigt, sans succès, avant d’indiquer que la seringue est « probablement périmée ». Nous comprendrons ensuite, dans un autre établissement, qu’elle essayait de nous piquer… avec le bouchon de la seringue, qu’elle n’avait pas retiré.
Le premier test : résultat positif aux IGm
Le lendemain, mercredi 29 juillet, nous nous rendons dans l’une des pharmacies qui nous avaient demandé de revenir. C’est le début d’après-midi, une semaine d’été, les lieux sont quasiment vides. Le responsable du dépistage nous prend immédiatement en charge. Nous demandons le prix : 20 euros. Nous nous installons dans un coin de la pharmacie, autour d’une table.
Le dépistage a lieu sans aucun gant et le praticien applique la piqûre au niveau du pouce : aucun de ces deux éléments n’est pourtant recommandé pour ce type de piqûre, les gants étant nécessaires par mesure sanitaire et le pouce, très utilisé dans les tâches du quotidien, à éviter — une légère douleur nous suivra sur ce doigt pendant 4 jours. Le pharmacien nous permettra également de repartir à la fin avec le test, ce qui ne devrait absolument pas être possible : celui-ci est un déchet biologique. Le kit de dépistage de la marque Artron nous est vendu dans cette pharmacie comme particulièrement qualitatif en raison de son origine canadienne et de son haut pourcentage de fiabilité (« 98 % »).
« Vous avez été en contact avec le virus »
Quelques minutes après la piqûre, la barre des anticorps IGm commence à apparaître, avant de devenir bien nette au bout du quart d’heure. Le résultat est alors clair : le test sérologique rapide réalisé dans cette pharmacie est positif aux anticorps IGm du coronavirus. « Vous avez été en contact avec le virus », confirme le pharmacien, avant de patauger dans la semoule sur l’interprétation du résultat comme s’il découvrait la notice en même temps que nous — ce qui n’avait rien de rassurant.
« Vous êtes immunisé », affirme-t-il de prime abord. « II n’y a plus de soucis », dit-il, en nous indiquant que l’infection est terminée et que l’on ne peut plus contaminer personne. Relevons qu’un tel constat serait de toute façon faux : l’immunité et la contagion restent des sujets très incertains au sujet du coronavirus, comme nous le reconfirmera par téléphone le responsable produits du laboratoire Biosynex. Quoi qu’il en soit, après nos questions insistantes pour essayer de bien comprendre la notice d’interprétation des résultats, il rétropédale l’air de rien : peut-être, finalement, que l’infection est potentiellement encore en cours…
Une seconde journaliste de Numerama se rend dans la même pharmacie pour vérifier que le kit n’émet pas systématiquement un résultat positif. Si elle entend parler du client d’avant dont le test était positif (que le secret médical repose en paix), le sien s’avère négatif.
Pour nous, en tout cas, c’est l’incertitude qui nous embrume : on ressort d’un tel dépistage sans rien y comprendre sur notre statut. Après ce résultat positif, avons-nous oui ou non le coronavirus actuellement et faut-il se confiner ? Faut-il refaire des tests ? Avons-nous eu le coronavirus il y a suffisamment longtemps pour être immunisés et plus contagieux ? Le test qui devait nous donner une réponse n’apporte que des questions — aucune réponse.
Quant au pharmacien qui a réalisé le test positif, il ne nous conseille pas de compléter avec un autre dépistage, quel qu’il soit, mais simplement de « rester vigilant ». C’est surtout l’absence de conseils précis et d’orientations médicales qui crée le désarroi. Nous décidons alors de parcourir quelques pharmacies et des laboratoires d’analyse, non pas pour réaliser un nouveau test, mais pour chercher conseil. C’est alors une succession de recommandations contradictoires qui nous assaillent : « Oui, c’est sûr que vous l’avez, pas besoin d’un nouveau test, confinez-vous », affirme l’un, « Faites absolument un test PCR », ajoute un autre, « Ne faites pas de PCR malgré le résultat positif, tant que vous n’avez pas de symptôme », nous conseille-t-on également.
Pour éclaircir la situation, nous décidons finalement d’enchaîner sur un second test rapide (encore 20 euros de dépensés) en pharmacie, si possible provenant d’un autre laboratoire.
Le deuxième test : résultat négatif
Le second test que nous réalisons en pharmacie, dans l’heure qui suit le premier, est réalisé cette fois-ci avec le kit de dépistage du laboratoire français Biosynex. Les conditions du dépistage sont cette fois-ci bien meilleures. La pharmacienne porte des gants et pique sur le majeur, car, précise-t-elle, c’est le doigt recommandé dans la notice. Lors d’une première tentative sur la main gauche, la goutte de sang est insuffisante : elle nous rassure en indiquant qu’elle ne nous fera pas payer si elle n’arrive pas à avoir assez de sang pour faire un test dans de bonnes conditions. Le prélèvement est renouvelé sur la main droite, et cette fois-ci, il y a le bon dosage (10 µL). À nouveau, nous ne patientons qu’une petite dizaine de minutes avant que le résultat tombe.
Cette fois-ci, le test est négatif aux anticorps contre le coronavirus.
« Je ne peux pas vous dire si vous l’avez eu ou pas »
« De toute façon, ils sont presque tout le temps négatifs J’ai même des clients qui ont eu le coronavirus et pour qui le test est négatif », commente la pharmacienne. C’est l’occasion de lui confier qu’un précédent test, réalisé une heure auparavant, a été positif aux IGm. À sa réaction, on comprend que cela ne change pas grand-chose : « Franchement, je ne peux pas vous dire, à partir de ces tests, si vous l’avez ou pas en ce moment ni si vous l’avez eu ou pas », répond-elle, avant de nous conseiller d’aller réaliser un test sérologique en laboratoire et un véritable test PCR pour être véritablement fixés. Quand on questionne sur l’utilité de vendre de tels tests, il nous est purement et simplement répondu qu’« on ne sait pas ».
En clair : après la réalisation de deux tests sérologiques rapides, nous avons cru avoir eu le coronavirus ; puis avoir potentiellement le coronavirus à l’heure actuelle ; avant de comprendre qu’aucun de ces deux tests ne nous indiquait quoi que ce soit de réellement pertinent sur notre statut.
Après avoir dépensé 40 euros dans les deux tests rapides, nous ne sommes donc pas plus avancés, et probablement même davantage dans le flou qu’en l’absence de ces tests.
Le test PCR a tranché : faux positif
Avec ces deux résultats, il n’y a que deux possibilités : un faux positif pour le premier, ou un faux négatif pour le second. Pour en avoir le cœur net, nous avons réalisé un test PCR dans un laboratoire de Montreuil, dès le lendemain, le jeudi 30 juillet, et sommes restés confinés pendant toute la période. Il a fallu attendre quatre jours après le prélèvement, mardi 4 août, pour obtenir finalement les résultats : aucun génome de SARS-CoV-2 détecté. Le premier test réalisé en pharmacie, avec le kit de dépistage Artron, était donc un faux positif.
Rappelons que le pharmacien nous ayant vendu le premier test, positif aux anticorps IGm, nous assurait une fiabilité de 98 % et, surtout, qu’il n’était pas nécessaire de refaire un quelconque autre test. D’autres praticiens, pharmaciens comme biologistes, ont tout autant affirmé que le premier test, positif, était le plus fiable : « Normalement, avec ce type de tests, on est surtout face à des faux négatifs, pas à des faux positifs » ; « le problème, ce sont surtout les faux négatifs avec tests, alors s’il est positif, le résultat est plutôt certain ».
Pourtant, la réalité est que ces tests posent, dans leur ensemble, un vrai problème de fiabilité. C’est à la fois ce qui ressort de cette enquête ainsi que, tout simplement, de la littérature scientifique.
La fiabilité de ces tests en question
Contacté par Numerama, la Haute Autorité de Santé a insisté à nouveau sur son avis rendu en mai 2020 : quel que soit le résultat d’un test sérologique rapide, il doit être confirmé par un autre type de test. Raison pour laquelle l’autorité ne recommande pas vraiment leur utilisation — sans pour autant s’exprimer totalement contre. Ils sont sans risques, mais pas spécialement pertinents.
Le laboratoire Biosynex nous a par ailleurs transmis par mail la notice d’utilisation qu’il envoie aux pharmaciens. Dans cette notice, les limites du diagnostic apparaissent clairement : « un résultat positif en IgG ou IgM à lui seul ne permet pas de poser un diagnostic d’une infection active à SARS-CoV-2 ». Mais alors, pourquoi les faire ?
Le problème est que ce constat ne nous a été rappelé que dans une seule de toutes les pharmacies par lesquelles nous sommes passés. Pire : on nous a régulièrement asséné, en pharmacie et en laboratoire, que ces tests rapides sont soumis aux faux négatifs, mais pas aux faux positifs, car ils sont moins efficaces que les tests en laboratoires, alors, quand ils détectent quelque chose, c’est que cela doit être bon (sic). Cela s’avère scientifiquement erroné.
« On sait qu’il y a des signaux faussement positifs sur les anticorps IGm »
C’est le chef de produit du laboratoire Biosynex, très pédagogue et pertinent, qui nous l’apprend : si la précision sur les IGg est très bonne, c’est moins le cas pour les IGm, les fameux anticorps censés relever une infection récente ou en cours. « On sait qu’il y a des signaux faussement positifs sur les anticorps IGm » et qu’ils sont relativement courants, nous indique-t-il, au cours d’une conversation téléphonique.
Nous avons ensuite pu trouver confirmation dans la littérature scientifique, comme avec cette étude de 2016. On peut y lire que les tests impliquant les immunoglobulines M « souffrent disproportionnellement de résultats faux-positifs », qui peuvent advenir « avec n’importe quel pathogène ». L’étude ajoute que « malgré de nombreux rapports dans la littérature, de nombreux cliniciens et personnels de laboratoire restent non-informés de ce problème ».
Quant aux laboratoires Artron, que nous avons également contactés, ils nous assurent par échange de mails que leur test est « l’un des meilleurs tests sérologiques COVID-19 disponibles sur le marché », notamment sur sa sensibilité aux immunoglobulines M. Ils précisent que les essais cliniques sur leur kit de dépistage ont montré que leur produit peut détecter les IGm très tôt, dès 7 jours après l’infection, et qu’il y a donc « des chances pour que notre test ait détecté des IGm dans l’échantillon, et pas l’autre produit ». Ils admettent toutefois que « la possibilité d’un faux positif ne peut pas être totalement exclue, et un test à base d’acide nucléique (qRT-PCR) doit être utilisé pour la confirmation ».
Quand nous sommes retournés dans la pharmacie du potentiel faux positif, la dirigeante de la boutique a décidé d’appeler le laboratoire canadien. Ce dernier lui a indiqué que c’était leur « premier faux positifs » ; que, jusqu’ici, ceux-ci n’existaient pas, et qu’ils allaient « enquêter » sur la question. Un discours de relation clients qui concorde difficilement avec l’échange de mails que nous avons eu avec le pôle développement du laboratoire, ou encore avec les études sur la question. Du côté de chez Biosynex, les propos apparaissent en revanche plus clairs et cohérents avec la réalité scientifique : le responsable produit indique que « si je fais un test rapide et que je n’ai que des M, d’un je fonce en laboratoire pour confirmer, et deuxièmement je demande un PCR ».
Des tests chers et peu utiles
S’il fallait résumer en un seul terme les résultats de cette enquête, ce serait : le flou. Entre le moment où nous décidons de nous faire spontanément tester en pharmacie et les résultats finaux du PCR, il s’est passé près d’une semaine, et nous sommes passés de « vigilant » à « inquiet » à « rassuré » à de nouveau « inquiet » jusqu’à « moyennement rassuré, mais toujours vigilant ».
« En résumé, ces tests ne servent à rien »
Face à l’inquiétude générée par la pandémie, il peut être tentant de vouloir connaître son statut, en prenant l’initiative d’un test rapide, qui ne prend que quelques minutes et une simple piqûre au doigt. Le parcours du combattant qui s’est toutefois déclenché pour nous avec un test faussement positif (ou peut-être pas, nous n’en savons toujours rien, finalement) prouve que leur place dans la gestion sanitaire relève d’une inutilité quasi totale. C’est ce que nous confirme l’épidémiologiste Catherine Hill, affirmant que ce n’est « pas utile pour contrôler l’épidémie », car « en résumé, ces tests ne servent à rien » au sujet des tests sérologiques rapides.
Entre le moment où le laboratoire vend son test au grossiste à moins de 10 euros — tarif qui nous a été indiqué par Biosynex — et le moment où il nous est vendu de 20 à 25 euros, de nombreuses marges sont récupérées au fil du processus par différents acteurs, jusqu’à ce que le consommateur paye bien trop cher ce kit. Un coût regrettable, et évitable, pour ce qui s’apparente à un kit de dépistage très gadget.
Leur disponibilité en pharmacies de manière si peu encadrée pose donc un vrai problème. Pour un résultat souvent impossible à interpréter avec pertinence sans un autre test, ils représentent un coût économique injustifié, là où le tarif d’un véritable test sérologique en laboratoire est deux fois moins cher et où les tests PCR sont dorénavant gratuits, même sans ordonnance.
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