Après les élections européennes, la France retourne aux urnes les 30 juin et 7 juillet, cette fois pour les législatives. Le mode de scrutin ne changera pas d’ici là, malgré ses défauts. La science peut-elle nous indiquer un système de vote parfait ? C’est ce que deux chercheurs ont essayé de trouver.

Suite à la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée par Emmanuel Macron, de nouvelles élections législatives se tiendront les 30 juin et 7 juillet prochain. Chaque circonscription élira alors l’un des 577 députés, dans un scrutin à deux tours.

De l’élection des délégués de classes à l’élection présidentielle, en passant par les décisions collectives d’une entreprise, nous nous sommes tous retrouvés face au problème qui consiste à agréger des volontés individuelles en une décision collective, tout en minimisant les mécontentements. De manière quasi systématique, en France, nous utilisons le système de vote uninominal à deux tours.

Mais ce scrutin permet-il d’agréger les préférences individuelles de manière convenable ?

Quelques failles du scrutin uninominal à 2 tours

Un des aspects les plus connus, qui montre la faiblesse de notre système de vote, est certainement le vote stratégique ou vote utile. Dans un vote uninominal à deux tours, une bonne partie des électeurs changent leur vote en fonction des sondages, car leur candidat de cœur a peu de chances d’arriver au second tour. Par exemple, aux dernières élections présidentielles de 2017, Benoît Hamon (PS) a complètement décroché quand Jean‑Luc Mélenchon (FI) lui est passé devant dans les sondages et les électeurs de gauche se sont reportés massivement sur Jean‑Luc Mélenchon en ayant l’espoir qu’il arrive au second tour.

Un autre point faible est que ce système ne permet pas systématiquement d’élire un candidat qui remporterait tous ses duels. C’est arrivé en 2007 lorsque François Bayrou était, dans les sondages gagnant dans tous ses duels, mais il n’est pas arrivé au deuxième tour.

Ce qui est sûr, au travers de ces exemples, c’est que notre système électoral est sujet à la manipulation, n’est pas en faveur de la sincérité et ne tranche pas toujours en faveur d’un choix évident, ce qui en fait un très mauvais système.

Vote en ligne
Le vote en ligne a-t-il un avenir // Source : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Qu’est-ce qu’un « bon » système de vote ?

Évidemment, nous aimerions qu’un système de vote vérifie certaines propriétés : il doit être unanime (si un candidat est préféré par tous les électeurs, il doit être élu), universel (le système de vote doit aboutir à un résultat), non dictatorial (aucun votant ne doit pouvoir imposer ses préférences indépendamment de celles des autres) et indépendant aux alternatives non pertinentes (si le candidat A est devant B, alors l’introduction d’un candidat C ne doit pas changer cet ordre). On compare dans l’absolu A et B et cet ordre ne devrait pas changer.

Un bon système est-il possible ?

Malheureusement, des théorèmes mathématiques – des assertions démontrées – montrent qu’il n’existe pas de système de vote « acceptable », c’est-à-dire qui respecte les conditions énoncées ci-dessus.

  • Théorème (Arrow, prix Nobel d’économie, 1972) : Si l’on a au moins trois candidats et trois électeurs, alors un système de vote qui est universel, unanime et indépendant aux alternatives non pertinentes est dictatorial.

On pourrait imposer d’autres conditions, comme la « non-manipulabilité » : mentir sur ses préférences ne peut pas améliorer l’issue du vote en faveur de son vote sincère. Là encore, nous avons un théorème qui nous dit :

  • Théorème (Gibbard-Satterthwaite, 1973) : Si l’on a au moins trois candidats et trois électeurs, alors un système de vote non dictatorial et universel est manipulable.

En conclusion, les mathématiques nous disent que nous ne pouvons pas être aussi restrictifs et trop demander à un système de vote. Mais ces théorèmes sont basés sur le fait que le système de vote n’inclue pas d’« intensité de préférences ».

Un espoir : l’intensité des préférences et jugement majoritaire

Au lieu de classer des candidats par ordre, on pourrait dire qu’on préfère un candidat « beaucoup plus » qu’un autre. Cela nous mène à la notion d’intensité des préférences. C’est un point crucial.

En 2010, Michel Balinski et Rida Laraki ont mis au point un mode de scrutin, appelé « jugement majoritaire », qui déroge à ces théorèmes en tenant compte de l’intensité des préférences des électeurs (également pris en compte dans les votes par assentiment ou par note par exemple).

Dans ce système de vote, il n’y a qu’un seul tour et les électeurs doivent mettre une note à chaque candidat. Par exemple Très Bien, Bien, Assez Bien, Passable ou à Rejeter. Par exemple, un candidat a la note AB si au moins 50 % des gens lui ont mis AB, B ou TB et si moins de 50 % lui ont mis une appréciation R ou P. Si deux candidats ont la même note, nous pouvons les départager en regardant les pourcentages dans chaque note.

Les électeurs peuvent ainsi s’exprimer sur chaque candidat, on gagne en sincérité. Les manipulations sont moindres, car on n’a aucun intérêt à choisir un candidat par stratégie électorale. De plus, les résultats de telles élections seraient plus intéressants, car on verrait par exemple des idées partagées par le plus grand nombre (peut-être l’écologie) et d’autres, plus clivantes. Ceci dit, le calcul de la médiane permet une certaine manipulabilité.

Le débat reste ouvert.

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Étienne Mann, Professeur de mathématiques, Université d’Angers et Théo Jamin, Doctorant, Université d’Angers

The ConversationCet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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