L’astrophysicienne française Françoise Combes vient de recevoir la médaille d’or du CNRS. La scientifique, spécialiste des galaxies, de leur formation et de leur évolution, s’intéresse aussi à la matière noire. Elle a accordé un entretien à The Conversation.

La matière visible, celle qui est la base de tout ce que nous observons (des objets, aux êtres vivants jusqu’aux étoiles) ne constitue que 5 % de l’univers. Les 95 % restant sont composés d’une part de ce que l’on appelle la matière noire, faite de particules aujourd’hui inconnues (25 %) et d’autre part de l’énergie noire, créant une force répulsive à l’origine de l’expansion de l’univers (70 %). Ces deux dernières n’émettent ou n’absorbent pas de lumière, elles sont donc invisibles.

Françoise Combes est astrophysicienne, elle étudie la formation et l’évolution des galaxies, et est spécialiste de ces fameuses matière et énergie noires. Elle vient de recevoir la médaille d’or du CNRS 2020, l’une des plus hautes distinctions scientifiques françaises, pour l’ensemble de ses travaux. Elle a accepté de nous présenter ses recherches.

Présentez-nous votre discipline, la cosmologie.

Françoise Combes : La cosmologie est l’étude de l’Univers dans son ensemble. Nous cherchons à comprendre, comment, à partir d’un espace rempli d’une énergie homogène après le Big Bang, toutes les structures que nous connaissons aujourd’hui se sont formées : les filaments cosmiques, les galaxies, les étoiles et les planètes.

Vous avez commencé votre carrière en vous intéressant à la matière et l’antimatière.

En effet, lors de ma thèse à la fin des années 70, je travaillais sur un modèle pour comprendre pourquoi la matière a pris le pas sur l’antimatière dans notre univers, alors que nous pensons que le Big Bang a créé autant des deux formes. Pour chaque particule de matière, il existe une particule d’antimatière, de même masse mais de charge électrique opposée.

Ce qui est étonnant est que quand ces deux particules se rencontrent, elles s’annihilent. Or tout de suite après le Big Bang, il n’y avait que des photons suffisamment énergétiques pour former, notamment, des protons et des antiprotons. Ce processus étant symétrique, il aurait dû créer autant de protons que d’antiprotons, et ces derniers auraient dû s’annihiler. Nous ne serions pas là pour en parler !

Une des théories à cette époque était que ces deux formes se soient extrêmement éloignées et que l’on puisse avoir des galaxies de matière d’un côté de l’univers, et, de l’autre, des galaxies d’antimatière. J’ai fait des modélisations pendant ma thèse pour tester cette théorie, et je me suis aperçu que celle-ci n’était pas satisfaisante. Nous savons aujourd’hui que tout s’est annihilé sauf 1 milliardième de matière qui constitue notre univers, mais le phénomène à l’origine n’est toujours pas connu.

Parlez-nous de vos études sur le milieu interstellaire.

FC : Le début des années 80 marque également les découvertes de molécules dans le milieu interstellaire. Avant cette date, il était très difficile d’imaginer la présence de molécules car le milieu interstellaire est extrêmement épars, diffus. Nous nous sommes d’abord rendu compte de la présence de monoxyde de carbone, puis de tout un tas d’autres molécules : des alcools, des sucres, et même des acides aminés (la base des protéines). On peut même se demander si ces molécules n’auraient pas instillé la vie quelque part.

Vous êtes également une spécialiste de la dynamique des galaxies.

Je me suis intéressée à la dynamique des galaxies. Pour comprendre comment se forment ces structures, il faut s’intéresser à la matière noire. C’est elle qui va créer, par sa gravité, les premières structures. Par la suite, la matière ordinaire, essentiellement des atomes d’hydrogène, est attirée, elle tombe dans ces galaxies noires : les galaxies constituées uniquement de matière noire au départ, sont enrichies alors de gaz d’hydrogène, qui va s’effondrer pour former des étoiles qui font briller les galaxies.

On peut observer des galaxies à divers moments de leurs vies. En effet, en astrophysique, dès qu’on observe loin, on voit le passé des galaxies, car la lumière des galaxies met longtemps pour parvenir jusqu’à nos télescopes. On peut d’ailleurs, en regardant le plus loin possible, remonter le temps jusqu’au Big Bang.

On peut étudier notre propre galaxie : la Voie lactée, et celles plus lointaines, donc plus jeunes. On peut mesurer leurs vitesses d’éloignement, et leurs cinématiques : la façon dont elles tournent sur elles-mêmes. Cela nous donne des informations sur la manière dont elles se sont formées.

La Voie lactée. // Source : Pxhere/Domaine public (photo recadrée)

La Voie lactée.

Source : Pxhere/Domaine public (photo recadrée)

Toutes les galaxies n’ont pas la même forme. Certaines sont aplaties en disque, dans lequel se développent des spirales, alors que d’autres sont elliptiques, elles ressemblent à une grande patate. Ces dernières se sont formées par fusion de galaxies. Au départ on a que du gaz, qui se dissipe par collision, pour s’aplatir et former des disques. Les galaxies se rencontrent fréquemment car elles se forment dans des surdensités de l’univers. Elles sont proches les unes des autres dès le départ. Quand deux galaxies se rencontrent, elles fusionnent pour donner une galaxie plus grosse, en forme de bulbe.

Parlez-nous plus en détail de l’énergie noire.

Nous connaissons l’énergie noire depuis 20 ans. On a en fait dû « inventer », proposer cette force pour expliquer une observation singulière : l’expansion de l’univers ne décélère pas. Pourtant, elle devrait décélérer s’il n’y avait que de la matière dans l’univers : la matière exerce une force de gravité et a tendance à attirer les autres objets. Sous cette force seule, l’expansion devrait être freinée. Les observations montrent que ce n’est pas le cas, ce qui signifie qu’il existe une force répulsive, que l’on a appelé « l’énergie noire ».

C’est en 1998 qu’on a pu mettre en évidence cette force en observant une série de supernovae-Ia, explosion qui se produit dans une étoile binaire, lorsqu’une des étoiles partenaires est une naine blanche (une étoile dans laquelle la matière est très condensée) qui avale soudain l’enveloppe de son étoile compagne. On a donc une grosse quantité de matière qui tombe sur l’étoile compacte et une explosion qui produit de la lumière. En mesurant le pic de cette lumière, on peut connaître la distance qui nous sépare de ces supernovae. Les calculs ont montré que ces supernovae étaient beaucoup plus loin que prévu par le modèle d’expansion décélérée. À ce moment-là, la conclusion s’imposait : l’expansion de l’Univers s’accélérait.

Quelle est la signification pour vous de la médaille d’or du CNRS ?

C’est une consécration magnifique, et ça rejaillit sur toute l’astrophysique, cela faisait presque 40 ans qu’il n’y avait pas eu d’astronome récompensé (Evry Schatzman, 1983). Ce sera pour moi une grande responsabilité de défendre cette science, en devenir l’ambassadrice, dans la diffusion et la dissémination de ces recherches. Je vais donc continuer mes cours au Collège de France, mais également répondre « présente ! » aux invitations plus grand public comme les cafés des sciences.

J’ai aussi envie de faire partager ma passion et donner l’envie de la recherche à plus de jeunes femmes. Je ne suis que la sixième femme lauréate de ce prix depuis 1954. Il faut que les femmes soient encouragées, avec ces modèles. Montrer que c’est possible d’y arriver pour tout le monde.

Au début de ma carrière, en France mais aussi en Italie ou en Espagne, nous étions assez nombreuses dans les laboratoires d’astrophysique : environ 30 %, alors que dans les pays anglo-saxons, les femmes étaient très minoritaires, aux alentours de 2 ou 3 %.

Ce qui est regrettable, c’est qu’aujourd’hui il est plus difficile d’obtenir un poste permanent, et de mon point de vue, cela décourage les femmes qui veulent fonder une famille. Plus que les hommes. On est donc, malheureusement en train de voir la proportion de femmes diminuer.

Quels seront vos prochains sujets de recherche ?

Énormément de sujets m’intéressent, mais j’essaie de ne pas trop me disperser malgré ce côté passionnant. Je travaille avec mon équipe sur les prochains grands télescopes. Je peux notamment évoquer Euclid, un satellite qui sera lancé par l’Agence spatiale européenne en 2022.

Ce sera un télescope spatial, un peu comme Hubble mais avec un champ bien plus grand, qui sera là pour cartographier tout le ciel, il va identifier 12 milliards de galaxies ! Le but sera donc aussi de mieux caractériser l’énergie et la matière noires, et de comprendre comment l’expansion de l’univers s’est accélérée en fonction du temps, à quelle vitesse. L’ensemble des télescopes de SKA (Square Kilometer Array) qui vont bientôt être installés en Australie et Afrique du Sud, vont aussi s’attaquer au problème. C’est un champ de recherche énorme.

On est donc en train de développer des outils d’intelligence artificielle pour analyser cette quantité de données, astronomiques.The Conversation

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Françoise Combes, Astrophysicienne, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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