Quand l’humanité arrivera sur Mars, quelle sera la législation sur place ? Peut-être celle de SpaceX. Selon le journal The Independent, l’entreprise américaine compte se baser sur ses propres règles pour organiser la vie sur la planète rouge, en tout cas la sienne et celle de celles et ceux qui passeront par ses services, sans forcément tenir compte du droit existant sur Terre, y compris le traité de l’Espace.
Le quotidien britannique en est venu à ce constat en lisant les conditions de services de Starlink, une filiale de SpaceX spécialisée dans l’accès à Internet par satellite.
Il est dit que « pour les services fournis sur Mars, ou en transit vers Mars via un vaisseau spatial, de colonisation ou non, les parties reconnaissent que Mars est une planète libre et qu’aucun gouvernement basé sur Terre n’a d’autorité ou de souveraineté sur les activités martiennes. En conséquence, les différends seront réglés par des principes d’autogestion, établis de bonne foi, au moment de l’installation.»
SpaceX pourra-t-il faire vraiment comme il l’entend ?
Dans les faits, la réalité risque d’être un peu plus complexe. D’abord, il faut constater que ce passage est purement déclaratif et n’a aucun effet concret, pour la simple et bonne raison que SpaceX n’a aujourd’hui aucun début d’activité martienne. L’entreprise a certes l’intention de se rendre sur la planète rouge, mais c’est un objectif de (très) long terme, sans doute au-delà de 2030.
Par ailleurs, SpaceX reste une entreprise américaine dont les activités bénéficient du « soutien financier public massif américain, à travers la commande publique », rappelait la Cour des comptes dans un rapport, à travers notamment des partenariats avec l’agence spatiale américaine (NASA) et le secteur de la défense. Dès lors, Washington pourrait avoir son mot à dire sur les désirs législatifs de SpaceX.
Le traité de l’espace, qui est signé et ratifié par la grande majorité des pays, notamment les principales puissances spatiales, contient par ailleurs des articles évoquant la question du droit. L’article 3, par exemple, dispose que « les activités des États parties au Traité relatives à l’exploration et à l’utilisation [des corps célestes], doivent s’effectuer conformément au droit international, y compris la Charte des Nations Unies. »
Interrogée en 2018 par The Atlantic, Elsbeth Magilton, directrice exécutive du programme de droit de l’espace, informatique et télécommunications à l’école de droit de l’université du Nebraska, estimait que «techniquement, votre juridiction vous suit. D’où êtes-vous le citoyen ? Ce sont ces lois que vous emportez avec vous ». Dans le cas de SpaceX, ce serait surtout le droit américain qui serait donc utilisé.
«Techniquement, votre juridiction vous suit. D’où êtes-vous le citoyen ? Ce sont ces lois que vous emportez avec vous »
En 2016, nous supposions déjà qu’en théorie les individus sur Mars vont rester régis par les lois de chacun de leurs états terriens respectifs, tandis qu’ils seront régis par les lois américaines tant qu’ils seront à bord des navettes SpaceX battant pavillon américain. C’est similaire au droit de la mer ; chaque navire dans les eaux internationales est soumis à la juridiction de l’État du pavillon qu’il arbore.
Mais la situation pourrait devenir plus compliquée avec l’inclusion d’autres nations — et, donc, d’autres juridictions — dans une coopération internationale. Il faudrait prévoir des règles pour éviter des conflits juridiques entre deux pays par exemple, si une affaire mêle des colons de nationalités différentes, y compris s’il se trouvent dans un module qui appartient à une nation tierce.
D’autres approches sont envisageables. Dans un article de 2017 sur Maddyness, Arnaud Touati, avocat, et la juriste Elsa Trombitas, évoquaient trois possibilités: l’application d’un droit existant (la loi américaine par exemple), la création d’un droit sur mesure, ex nihilo, ou la méthode de centralisation des droits, en puisant les droits pertinents de tous les pays pour une législation uniforme. Mais dès que l’on entre dans le détail d’une solution, on en touche rapidement les limites ou, du moins, les inconvénients.
De la démocratie directe sur Mars ?
En 2016, Elon Musk, le fondateur de SpaceX, avait évoqué la fabrique de la loi sur Mars, si cette approche était retenue. Il estimait que « la forme la plus probable de gouvernement serait une démocratie directe, pas une démocratie représentative. Donc nous aurions des gens qui votent directement sur les sujets. C’est probablement mieux, parce que le risque de corruption est sensiblement diminué.»
Il se disait en outre favorable à certaines règles constitutionnelles inédites comme la possibilité qu’une minorité qualifiée (par exemple 40 %) puisse obtenir la suppression d’une loi qui ne leur va pas, ou que les lois aient systématiquement une date d’expiration pour éviter qu’elles s’accumulent avec le temps. Seules celles qui sont jugées toujours utiles seraient prolongées.
Le système de démocratie représentative ne serait donc pas reproduit sur Mars, en tout cas dans la colonie terrienne telle que l’imagine Elon Musk. Cette organisation, largement appliquée dans le monde, fait que les citoyennes et citoyens se déplacent quelques fois dans l’année pour choisir les responsables politiques parmi lune liste de quelques noms avant de redonner leur avis quelque temps plus tard.
La réponse à cette problématique est encore en chantier et devrait encore occuper les juristes et autorités pour les années à venir, à mesure que le voyage vers Mars deviendra de plus en plus concret. Dans tous les cas de figure, il faut espérer que l’organisation politique et juridique convienne à tout le monde, en tout cas à toutes les puissances qui se lanceront dans Mars. Car sinon, c’est une tout autre loi qui risque de s’appliquer là-haut : celle du plus fort.
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !