Ce 4 novembre, les États-Unis s’apprêtent à se réveiller d’une nuit électorale où tout le monde retient son souffle : la proximité des résultats entre Joe Biden et Donald Trump donne peu d’indices sur le vainqueur de l’élection, et la tension est d’autant plus forte que cette élection ne résonne pas comme les autres. Les enjeux y sont lourds. Et parmi eux, il y a la science. Deux urgences scientifiques sont aujourd’hui significatives au plus haut échelon politique : la crise sanitaire due à la pandémie ; la crise environnementale due au changement climatique d’origine humaine.
Dans les deux cas, Donald Trump s’est illustré avec des idées et des démarches en contradiction avec les faits scientifiques. Ce n’est pas un détail de l’élection : face à ces deux urgences, il s’agit d’un enjeu central, qui concerne à la fois la population américaine et le reste du monde.
« Désastreuse. Destructrice. Catastrophique. Ce ne sont là que quelques-uns des termes les plus polis que de nombreux scientifiques américains utilisent pour décrire la politique du président Donald Trump. Sa gestion de la pandémie COVID-19, ses rejets publics répétés de l’expertise scientifique et son mépris des preuves ont incité de nombreux chercheurs à le qualifier de président le plus antiscientifique de l’histoire récente », écrit le magazine Science, qui a mené une large enquête sous forme de sondage auprès des scientifiques américains. La plupart font le même constat : ce mandat se caractérise par un rejet de la science, dans le fonctionnement des administrations comme dans le discours.
Trump et le rejet de la science
19 mois. C’est le temps qu’il aura fallu à Donald Trump, après son élection, pour nommer quelqu’un au poste de conseiller scientifique à la Maison Blanche, resté vide pendant tout ce temps, soit presque 2 ans de mandat. Ce poste n’était pas resté vacant pendant si longtemps depuis des décennies. Pendant cette parenthèse, le 45e Président des États-Unis a laissé dépérir le bureau en question, faisant passer le nombre d’employés de ce département de 130 à 50.
L’administration Trump a également proposé des baisses dans les budgets de beaucoup d’instances scientifiques — dont les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ou l’Environmental Protection Agency (EPA). La plupart de ces baisses ont rarement été validées par le Congrès, ou dans une moindre proportion, mais ces coupures budgétaires et menaces de réductions de postes, elles, restent symptomatiques d’une politique exprimant un dédain envers l’expertise scientifique. Car que les budgets aient été baissés ou non, l’hostilité de l’administration envers la science s’est en tout cas clairement ressentie au sein de ces départements.
C’est ce que racontent nombre de chercheurs et de chercheuses travaillant à l’Environmental Protection Agency. La nouvelle direction de l’agence n’a que peu d’égards envers le travail des équipes : qu’importe les conclusions qui seront tirées, l’agence prend des décisions qui correspondent à la direction voulue par Trump, c’est-à-dire une absence de régulation voire une dérégulation des règles pesant sur les industries pour les questions environnementales.
Cela n’a d’ailleurs rien d’anodin si, quelques semaines avant l’élection présidentielle, la Présidente de la National Academy of Sciences et le Président de la National Academy of Medicine ont écrit une déclaration commune s’alarmant sur les interférences politiques avec la science en pleine pandémie : « L’élaboration des politiques doit s’appuyer sur les meilleures preuves disponibles sans qu’elles soient déformées, dissimulées ou mal communiquées de quelque manière que ce soit. Nous trouvons alarmants les rapports et les incidents actuels de politisation de la science, en particulier le fait de ne pas tenir compte des preuves et des conseils des responsables de santé publique (…) », écrivent Marcia McNutt et Victor J. Dzau.
La gestion antiscientifique de la pandémie
La gestion de la pandémie a en effet cristallisé plus que jamais la vision antiscientifique menée par Donald Trump — le directeur de l’institut national de la santé, Anthony Fauci, fustige lui-même la position des États-Unis sur le sujet. Cela repose, d’abord, dans le discours porté : les déclarations du Président Trump, grand habitué de la fake news — ce qui est en soi antiscientifique — ne cessent de se reposer sur rien d’autre que son opinion très personnelle du virus. Il soutient ainsi l’hydroxychloroquine jusqu’à déclarer en prendre lui-même à titre préventif, alors même que la communauté scientifique répétait alors les incertitudes voire la dangerosité du médicament — qui s’est bel et bien révélé inefficace, voire parfois dangereux. Trump ira jusqu’à suggérer qu’il faut s’injecter du gel hydroalcoolique.
Une large étude menée par la Cornell Alliance for Science en arrive finalement à la conclusion que Trump est l’une des causes principales de la désinformation au sujet de la pandémie. Et comme le relèvent les auteurs, le problème est bien que cette désinformation n’est pas sans conséquence : cela favorise la propagation du coronavirus ; et les meetings de Donald Trump sans aucun geste barrière transformés en foyers épidémiques en sont représentatifs. Quintessence d’une politique antiscientifique mortifère en pleine pandémie, Donald Trump annonce à l’été 2020 le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la Santé — une décision terrible pendant une crise sanitaire, mais aussi pour tous les autres programmes de santé menés dans le monde par l’OMS. Joe Biden a annoncé qu’en cas d’élection, il réintégrerait au plus vite l’organisation internationale.
La campagne présidentielle aura donc été inextricable des enjeux liés à la pandémie, au cœur des débats télévisés entre les deux candidats. Quand Joe Biden met en avant le bilan de la mauvaise gestion de la crise (200 000 morts) et la légèreté de la communication scientifique, Donald Trump minore aussi bien son bilan que la gravité de la crise. Mais plus significatif encore quant à l’enjeu de l’élection, des scientifiques se sont invités dans la campagne, chose rare.
Des revues scientifiques et des Prix Nobel ont pris la parole contre Trump et en faveur de Biden
Des revues scientifiques ont temporairement rompu avec leur neutralité pour s’opposer à Trump et soutenir Biden : c’est le cas du New England Journal of Medecine, une première en deux siècles d’existence. Même constat pour la prestigieuse Nature, qui a signé un édito pro-Biden. Plus de 80 titulaires de Prix Nobel ont également écrit une lettre de soutien à Biden, démarche tout autant historique. « À aucun moment de l’histoire de notre nation, nos dirigeants n’ont eu autant besoin de comprendre la valeur de la science dans la formulation des politiques publiques », écrivent-ils, mettant l’accent sur la nécessité plus que jamais de se reposer sur des preuves scientifiques.
La sortie de l’Accord de Paris
C’est tout un symbole du problème scientifique au sein de ce moment politique historique : si le 4 novembre est un jour crucial dans l’élection présidentielle américaine, il s’agit aussi de la date de sortie de l’Accord de Paris. Cette décision, qui freinera les objectifs mondiaux même si Joe Biden est réélu et qu’il réintègre rapidement l’Accord, s’inscrit dans toute une série de politiques climatosceptiques de Donald Trump.
En politique intérieure, l’administration du Président fait pression sur l’Environmental Protection Agency pour réduire comme peau de chagrin sur les normes luttant contre la pollution. « Les récents développements au sein de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) risquent de bouleverser discrètement le processus éprouvé et scientifiquement étayé sur lequel l’agence s’appuie pour protéger le public de la pollution de l’air ambiant », alors même que la « la pollution tue — les scientifiques le savent depuis des années », peut-on lire dans Science.
Il paraît donc infiniment clair que les enjeux de cette élection présidentielle 2020 sont, aussi, grandement liés à une certaine vision de la science. Quand Trump menace de « virer Fauci [conseilleur scientifique sur la gestion de la pandémie] » s’il est réélu, Biden répond qu’au contraire, il l’embauchera à nouveau. En tout cas, le résultat de l’élection, et la vision de la science que ce résultat portera auront un impact à la fois sur le territoire américain et sur le monde.
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