Son existence est supposée, mais pas encore prouvée, les recherches se poursuivent pour mettre enfin la main sur la Planète Neuf. Une nouvelle méthode ambitieuse, mais très laborieuse à mettre en place consiste à explorer les zones les plus sombres du Système solaire en espérant la détecter.

Bien que des exoplanètes soient découvertes presque chaque jour aux confins de la Voie lactée, un astre bien plus proche de nous reste insaisissable et mobilise les chercheurs : la Planète Neuf. L’existence même de cet astre n’a pas encore été prouvée, mais certaines anomalies gravitationnelles laissent penser qu’il se situerait loin au-delà de l’orbite de Neptune. Pour lever le doute, les études sur le sujet se multiplient et l’une d’elles présentée le 27 octobre dernier lors du meeting de l’American Astronomical Society propose une méthode pour la détecter : le shift-stacking.

« C’est une méthode déjà utilisée pour découvrir de nouveaux objets dans le Système solaire, raconte à Numerama la principale autrice Malena Rice. Mais nous essayons ici de l’appliquer pour une portion plus grande du ciel, et pour un objet plus lointain. » La chercheuse du département d’astronomie à l’Université de Yale a pu tester sa méthode grâce à l’impressionnante quantité de données fournies par TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite). Ce télescope spatial de la Nasa, surnommé le chasseur d’exoplanètes, a un avantage non négligeable ici : il observe quasiment tout le ciel.

Mais le shift-stacking, qu’est-ce que c’est ? Pour traduire littéralement, la technique du « décaler-empiler » consiste à observer un point précis du ciel pendant 27 jours. Quelques semaines durant lesquelles TESS détecte la moindre source de lumière provenant d’un objet qui bouge dans le ciel. Une fois l’objet trouvé, il faut le suivre pour identifier sa trajectoire, c’est la partie « décaler ». Puis, quand toutes les images sont réunies, il faut les « empiler » afin d’identifier le maximum de lumière issue de cet objet en question et en tirer le maximum d’informations.

Une méthode qui a déjà fait ses preuves par le passé puisqu’elle a permis en 2004 d’identifier des lunes autour de Neptune. Des corps pourtant minuscules, puisqu’ils font moins de 50 kilomètres de diamètre. La même année, des corps similaires ont été découverts autour d’Uranus. C’est une véritable prouesse dans les deux cas puisque les lunes en question étaient assez loin de la Terre, petites, et surtout peu brillantes, surtout comparées aux planètes autour desquelles elles se trouvaient.

Des disques durs grillés

Lors d’une phase de tests, les auteurs ont été capables avec cette méthode de trouver trois objets transneptuniens qui étaient déjà connus. Puis ils sont allés à l’aveugle sur une zone inexplorée du Système solaire externe et ils ont identifié 17 objets potentiels. Les vérifications sont encore en cours sur ces candidats pour être sûr que la méthode fonctionne bien, mais les premiers résultats sont prometteurs.

Mais le défi de Malena Rice est d’une tout autre ampleur. D’abord, la zone à fouiller est beaucoup plus grande. Comme nous ignorons où se trouve exactement la Planète Neuf, il faut chercher littéralement partout. Le champ d’observation de TESS est découpé en 26 secteurs, et pour la phase de tests seuls deux d’entre eux ont été scrutés. « Il y a énormément de données à traiter, soupire la chercheuse, chaque secteur compte plusieurs centaines de Gigabits ! Il faut les stocker et faire tourner les logiciels en même temps. J’ai eu quelques disques durs qui ont mal vécu le processus ! »

Shift-stacking

Représentation du Shift-stacking.

Source : Via arXiv

Autre difficulté, la Planète Neuf est peut-être bien plus grosse que les lunes découvertes autour de Neptune et Uranus (deux à quatre fois le diamètre de la Terre d’après les estimations), mais elle est aussi beaucoup plus loin. Si Neptune se trouve à 30 unités astronomiques de la Terre (30 fois la distance Terre-Soleil), cet astre mystérieux se situerait à 800 unités astronomiques dans les prévisions les plus « pessimistes ». À cette distance, les objets sont très peu brillants puisque leur seule source de lumière est les rayons du Soleil qu’ils reflètent. Et comme l’intensité de ces rayons faiblit avec les kilomètres, distinguer le moindre photon devient un défi. Pour Jean-Marc Petit, chercheur CNRS à l’Institut UTINAM de Besançon, c’est bien ce qui risque de poser problème : « Nous n’avons aucune idée de l’albédo, de la brillance de cette hypothétique planète. Il est très possible qu’elle soit très sombre et impossible à détecter de la sorte, surtout à cette distance. »

« D’abord, nous devons identifier les candidats, raconte Malena Rice, puis nous suivrons les plus prometteurs avec des télescopes basés au sol afin de mieux le caractériser. » Tout cela doit fournir des informations précieuses sur les astres observés, notamment leur distance et leur taille, et permettre de vérifier si c’est cohérent avec les perturbations gravitationnelles exercées par la Planète Neuf.

Éliminer la pollution des étoiles

Un gros travail attend donc les chercheurs, mais ils se servent d’outils automatiques pour rendre la recherche plus aisée. « Avec des processus de machine learning, nous pourrons faire des vérifications plus rapides et plus solides, assure Malena Rice. Ensuite, il nous faudra éliminer tous les astéroïdes qui ‘polluent’ les images. »

Pour Jean-Marc Petit, c’est également ce nettoyage qui risque de créer des difficultés : « Dans les zones peu densément peuplées, ils devraient y arriver, mais au niveau du plan galactique, là où il y a plus d’étoiles, il sera quasiment impossible de discerner quoi que ce soit. » Cela dit, le chercheur trouve cette méthode particulièrement intéressante, même dans le cas où elle n’aboutirait pas à la découverte de la Planète Neuf : « Ces observations permettront l’émergence d’un modèle pour prédire ce qui est détectable à une distance donnée, ce qui posera des contraintes pour les futurs modèles de simulation de la Voie lactée. »

La Voie lactée. // Source : Pxhere/Domaine public (photo recadrée)

La Voie lactée.

Source : Pxhere/Domaine public (photo recadrée)

Mais le traitement des données est encore loin d’être terminé puisque les observations de TESS se poursuivent sur les 26 secteurs. Il faudra attendre qu’il repasse une deuxième fois sur les endroits déjà visités. Le résultat de ces observations servira aux chercheurs à affiner encore leurs limites de détections.

Il faut donc s’attendre à quelques disques durs supplémentaires à griller, mais ce traitement massif de données devient indispensable aujourd’hui dans les observations astronomiques, ce qui ne va pas aller en s’arrangeant dans un futur proche. Le futur observatoire Véra-C. Rubin au Chili, qui doit entrer en service d’ici l’année prochaine, aura lui aussi un champ d’observation très large. Il doit pouvoir photographier tout le ciel austral en seulement trois jours, ce qui signifie qu’il fournira des quantités de données encore plus importantes que TESS actuellement.

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