Comme le Premier ministre danois l’a annoncé le 4 novembre 2020, plus de 15 millions de visons, répartis dans 1 000 fermes, vont être prochainement abattus. En cause : le coronavirus SARS-CoV-2 s’est transmis de l’humain vers cette espèce, puis des visons auraient alors infecté à leur tour une douzaine d’humains. Selon le gouvernement danois, qui se base sur des recommandations du Statens Serum Institut (centre de recherche basé à Copenhague), le coronavirus aurait en fait muté chez les visons, ce qui pourrait mettre en péril les actuels vaccins possibles. Mais sur quoi se base cette décision ? Nous avons essayé de rassembler les différentes sources sur le sujet, lesquelles restent encore très incomplètes ou inaccessibles.
Rappelons d’abord que le phénomène de transmission d’un pathogène de l’être humain vers l’animal, ou inversement, correspond à la zoonose. On sait d’ailleurs que le coronavirus SARS-CoV-2 est né ainsi : une mutation (au sein de chauve-souris ou de pangolins) qui lui a permis de passer d’une espèce animale vers l’être humain. Depuis quelques mois, il est également assez clair que le coronavirus peut à son tour se transmettre de l’humain vers certaines espèces, comme des grands singes. S’il y a eu des transmissions naturelles, ce constat provient aussi et surtout d’expériences en laboratoire basées sur des infections délibérées de ces animaux dans le cadre de la recherche sur ce pathogène. Cela signifie que lorsqu’un animal est référencé comme « susceptible » au coronavirus, ce n’est pas pour autant qu’il peut l’attraper facilement. Cela reste même très rare.
La plupart des animaux de compagnie ne peuvent pas tomber réellement malades, en raison de différences biologiques dans les récepteurs cellulaires, ils ne sont donc pas en danger et ne peuvent pas infecter à leur tour des humains. Il en va de même pour une bonne partie des animaux sauvages et des animaux de la ferme. Sauf que le cas des visons semble faire exception, et c’est bien ce problème que met en avant le gouvernement danois. Pour autant, la documentation scientifique reste assez faible et incomplète.
Une zoonose des visons vers les humains ?
En mai 2020, pour la première fois, sont référencés deux cas de transmission du coronavirus d’animaux vers des humains. Il s’agissait de visons (il n’y a pas eu d’autres espèces concernées depuis). Le code génétique du coronavirus chez les personnes infectées dans ces fermes, aux Pays-Bas, ressemblait énormément à celui trouvé chez les visons — et ces personnes ne semblent pas avoir été face à d’autres contacts à risques.
Cela poussait alors à déduire un processus zoonotique de transmission de visons vers humains. Ces premiers cas ont poussé les Pays-Bas à renforcer leur travail de surveillance : chaque ferme devait faire remonter à l’autorité sanitaire le moindre symptôme présent chez les visons.
C’est ainsi qu’a finalement été publiée début septembre 2020 une étude en pré-publication (ni publiée dans une revue scientifique ni révisée par un comité indépendant) se penchant sur le processus potentiel de zoonose chez les visons. Les chercheurs, étudiant les cas documentés de personnes infectées dans les fermes de visons, en arrivent à la conclusion suivante : « Le virus a été initialement introduit par l’homme et [il] a évolué, reflétant très probablement une circulation généralisée chez les visons au début de la période d’infection, plusieurs semaines avant la détection. À l’heure actuelle, malgré le renforcement de la biosécurité, la surveillance d’alerte précoce et l’abattage immédiat des exploitations infectées, la transmission se poursuit entre les exploitations de visons, avec trois grands groupes de transmission dont les modes de transmission sont inconnus. »
Il semblerait que ce soit, à ce jour, la seule étude publiquement accessible sur le sujet. Un papier en preprint reste très insuffisant. À cela, s’ajoute ensuite le 2 octobre un rapport du Statens Serum Institut de Copenhague relevant une probabilité de 95 à 99 % qu’une transmission humains-à-visons et visons-à-humains advienne. Le rapport donne quelques détails sur l’éventuelle mutation : la séquence génétique de la protéine Spike serait touchée. Or, « cette protéine est importante pour stimuler l’immunité soit pendant l’infection soit après une éventuelle vaccination », ce qui pourrait — insistons sur le conditionnel — entraîner une diminution de l’immunité collective et une réduction de l’efficacité d’un vaccin. Rappelons qu’il s’agit d’un rapport provenant d’un institut et non d’une étude scientifique publiée dans une revue.
Un manque de sources accessibles
Du reste, nous n’avons que les déclarations du gouvernement du Danemark, affirmant donc lors d’une conférence de presse que le virus a muté chez les visons et que cette mutation rend le virus moins sensible aux anticorps, ce qui pourrait donc avoir un impact sur les vaccins. Ces déclarations ne sont pas spécifiquement sourcées ; or, comme Numerama a déjà eu l’occasion de l’expliquer, nous ne pouvons pas tirer de conclusions de communiqués de presse et autres discours ne dévoilant pas des études complètes.
Cette situation met d’ailleurs en colère certains scientifiques, dénonçant l’absence d’informations concrètes et accessibles étayant les annonces danoises. « Si le Danemark estime que c’est suffisamment grave pour tuer toute sa population de visons, on pourrait peut-être aussi conclure que c’est suffisamment grave pour transmettre les informations sur ces mutations aux scientifiques du monde entier le plus rapidement possible afin de voir si des variantes sont trouvées ailleurs », pointe la virologue Emma Hodcroft, appelant à rester prudent dans les interprétations tant que rien n’est vraiment consultable sur le sujet.
Comment expliquer le choix du Danemark d’abattre une population de millions de visons ? Le coronavirus, comme tout pathogène, est susceptible de muter. L’une d’entre elles (nommée D614G), qui a souvent été mal interprétée, n’aura vraisemblablement aucun impact sur l’immunité générée par un vaccin. Ce qui fait paniquer le gouvernement danois est donc probablement la partie du rapport du Statens Serum Institut indiquant que cette mutation chez les visons pourrait avoir un effet significatif. Le Danemark applique donc le principe de précaution, par anticipation, la situation pandémique était déjà suffisamment grave, notamment en pleine deuxième vague en Europe. Espérons toutefois que la communauté scientifique internationale aura rapidement un libre accès aux informations, car à l’heure actuelle, l’ampleur de la décision danoise ne doit pas vous y tromper : aucune certitude n’est possible quant à la réalité de cette mutation et de sa portée.
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