Il sera resté 30 mois à la tête de la NASA : Jim Bridenstine annonce vouloir quitter son poste d’administrateur de l’agence spatiale américaine en réaction à l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. La fin d’un parcours surprenant au début duquel il était loin de partir gagnant.
Lorsque la Maison Blanche annonce son intention de le nommer à la NASA le 1er septembre 2017, les scientifiques et les démocrates crient au scandale. Il faut dire qu’il succède à Charles Bolden, ancien astronaute de Columbia, qui a passé 680 heures dans l’espace et qui a réalisé de nombreuses expériences spatiales sur le climat et l’atmosphère terrestre. Pas le même profil que cet élu républicain ultraconservateur, clairement vu comme un vulgaire homme de paille de Donald Trump par les élus.
Une vision qui n’est pas forcément partagée par les acteurs du spatial, à commencer par son homologue français, Jean-Yves le Gall. Le président du CNES (Centre National d’Études Spatiales) connaissait déjà Bridenstine bien avant sa nomination : « C’était quelques années avant l’élection de Trump, raconte-t-il à Numerama. En tant qu’élu, il avait écrit un rapport très intéressant sur le spatial et il m’avait donné l’impression d’être quelqu’un de brillant. Il avait beaucoup réfléchi à ces questions alors que ça ne devait pas le concerner tant que ça à l’époque dans le cadre de ses fonctions ». Jean-Yves le Gall décrit un homme « affable, qui va droit au but et qui n’a pas peur d’aborder les sujets de fond ».
Homme de paille, climatosceptique, conservateur…
Pourtant, au Congrès, Bridenstine n’inspire pas confiance aux démocrates et aux adversaires de Donald Trump. Ce natif du Michigan a été élu à la Chambre des représentants pour l’Oklahoma en 2012. Il est réélu sans difficulté deux ans plus tard dans un district profondément ancré à droite et avec le soutien affiché du Tea Party, frange la plus conservatrice des républicains. Lui-même est d’ailleurs membre du Freedom Caucus, groupe parlementaire de la même mouvance qui n’hésite pas à critiquer le parti républicain à la moindre incartade un peu trop favorable aux démocrates et qui soutient largement Donald Trump.
D’ailleurs, l’idée du président américain, en le choisissant lui, serait sans doute liée à sa volonté de marquer le contraste avec son prédécesseur. Peu intéressé par le spatial, Barack Obama n’a pas lancé de grands projets au cours de ses deux mandats et a fait stagner le budget de l’agence spatiale. Cette absence apparente de résultats donnait au nouvel élu l’occasion de se faire passer pour le sauveur d’une agence en train de péricliter.
Un pedigree, donc, qui ne le place pas en odeur de sainteté à son arrivée à la NASA. C’est la première fois qu’un élu accède à ce poste. Mais son profil n’est pas si atypique, tempère Jean-Yves le Gall : « Administrateur de la NASA est un rôle politique. Même si c’était un peu moins affiché chez ses prédécesseurs, ils étaient tous à différents degrés des hommes politiques qui agissaient en tant que tel. C’est inévitable sur ces fonctions de management ».
Cela dit, Bridenstine n’est pas n’importe quel élu. En 2013, il avait assuré que les températures à la surface de la planète avaient cessé de monter dix ans auparavant, et que le climat avait toujours changé, qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. Un climatoscepticisme assumé qui a rendu son audition devant la commission du Sénat très attendue. Le mercredi 1er novembre 2017, il se présente devant les sénateurs pour faire valider sa candidature. Un élu démocrate lui demande alors si selon lui, les humains émettent du dioxyde de carbone, et s’il s’agit d’un gaz à effet de serre. Sa réponse : oui, et oui. Une volte-face surprenante par rapport à ses anciennes déclarations, comme s’il prenait conscience que son nouveau rôle à la NASA lui donnait aussi l’obligation de rassembler. «Il a habité la fonction, considère Jean-Yves le Gall. Avant, il était sur la lignée de son mandat dans l’Oklahoma, mais il a endossé un nouveau rôle à la NASA où il doit jouer avant tout le compromis. »
« Il n’est jamais tombé dans la caricature »
Et pour cause, malgré une volonté politique très forte incarnée par un président « hors-norme », ses actions à la NASA sont loin d’être caricaturales. Déjà, l’essentiel des programmes environnementaux est conservé : tout ce qui concerne l’observation de la Terre, de la quantité de gaz à effet de serre ou du niveau des océans. Il y a même eu certaines initiatives comme une collaboration avec l’ESA (l’Agence spatiale européenne) baptisée CryoIce pour mesurer le niveau de la glace en Antarctique. Pour Jean-Yves le Gall, Bridenstine a toujours eu une position plutôt souple : « Il n’est jamais tombé dans la caricature ni dans la surenchère. Et ce malgré la grande ambition politique des dossiers sur lesquels il a travaillé ».
Ces dossiers, ils sont nombreux. Les voyages vers Mars bien sûr, avec Curiosity ou InSight, mais aussi, et surtout le programme Artemis largement mis en avant par Trump. Son but: envoyer des humains sur la Lune d’ici 2024. Avec le changement à la tête de l’État, il y a fort à parier que le calendrier revienne à ce que prévoyait la NASA avant l’intervention du président, à savoir 2028 au mieux, mais le programme devrait malgré tout être maintenu.
À ce sujet, Bridenstine s’est d’ailleurs engagé à envoyer une femme, ce qui serait une première pour l’exploration lunaire. « Il a managé ce projet d’une main de maître, salue Jean-Yves le Gall. C’est quelque chose de très difficile à mener et il a réussi à aller au bout de ce qu’il pouvait malgré les contraintes. » Ces contraintes, ce sont les délais extrêmement serrés et le budget bien en deçà de ce qui avait été demandé au départ par l’agence spatiale. Sans compter les éternels débats sur la place à accorder ou non au secteur privé clairement très impliqué, ou à la priorité ou non de la Lune par rapport à Mars. « Il restera l’homme de ce programme, prédit Jean-Yves le Gall, un grand administrateur de la NASA avec un bilan impressionnant. »
Reste maintenant à lui trouver un successeur. L’annonce en catimini de son départ prochain, sans déclaration officielle, laisse la future administration Biden dans le flou alors que le nouveau président avait de nombreuses raisons de le garder, malgré son statut d’opposant politique. Ce sera peut-être l’occasion de faire table rase du passé à l’agence spatiale, au profit d’une ambition beaucoup plus « verte ». Même s’il sera difficile de faire sans le maintien des grands programmes vers la Lune et vers Mars déjà bien entamés.
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