Dans des travaux publiés ce 25 novembre dans Nature, une équipe internationale composée d’une centaine de scientifiques annonce avoir pu confirmer une prédiction datant du siècle dernier. Les résultats sont issus de l’expérience Borexino, un détecteur enterré à 300 mètres sous le sol des montagnes italiennes, au laboratoire Gran Sasso, et visant à étudier le flux de neutrinos issus du Soleil. Précédemment, cette grande collaboration avait permis de confirmer et mesurer la chaîne proton-proton, l’une des réactions nucléaires produisant l’énergie d’une étoile petite ou moyenne. L’autre réaction prédite, pour les étoiles massives, n’était pas encore prouvée.
Cette fois-ci, les scientifiques travaillant avec le détecteur de Borexino ont pu mesurer des neutrinos produits par cette autre réaction, dite chaîne CNO : la réaction en chaîne carbone-azote-oxygène (carbon-nitrogen-oxygen en anglais). « Ce résultat expérimental a une valeur historique, il complète un chapitre de la physique qui a commencé durant la décennie 1930 du siècle dernier », se réjouit le National Institute of Nuclear Physics.
La confirmation est « révolutionnaire » pour les auteurs
On sait, par une preuve expérimentale apportée il y a quelques années par ce détecteur, que la chaîne proton-proton explique la production d’énergie dans des étoiles de masse égale ou inférieure au Soleil. Par cette réaction en chaîne, ces étoiles consument leur hydrogène en produisant de l’hélium : c’est ainsi qu’elles trouvent leur énergie et donc qu’elles brillent. Cela concerne les étoiles de masse petite et moyenne.
C’était une théorie, qui s’est vue confirmée. Cette même théorie voulait que la chaîne carbone-azote-oxygène (« CNO» ), quant à elle, explique la production d’énergie des étoiles beaucoup plus massives, à forte métallicité. Mais puisque notre Soleil n’est pas une étoile massive, cela rend la détection des neutrinos émis par cette réaction encore plus compliquée. Jusqu’à maintenant, seule la théorie (proposée par les physiciens Bethe et Weizsäckeren en 1938-39) soutenait donc cette deuxième chaîne.
L’observation des neutrinos émis par la chaîne CNO apporte maintenant, en 2020, une preuve grâce à une mesure statistique suffisamment significative. Cela ne relève plus de la théorie. On sait aussi plus particulièrement, grâce à cette mesure, que notre Soleil puise son énergie à 99 % de la chaîne proton-proton, et à 1 % de la chaîne CNO — la détection relève encore plus d’un bel exploit scientifique. « Dorénavant, nous avons enfin la première confirmation expérimentale, révolutionnaire, de comment brillent les étoiles plus massives que le Soleil », s’est félicité Gianpaolo Bellini, l’un des pères fondateurs de Borexino.
Pour les scientifiques à l’origine de la découverte, la confirmation que la réaction en chaîne CNO est à l’œuvre dans notre Soleil, bien qu’à seulement 1 %, prouve que nous savons maintenant comment fonctionnent les étoiles, tout du moins en cet aspect. Les deux grands mécanismes de cette machinerie cosmique — la chaîne proton-proton pour les petites étoiles et intermédiaires, la chaîne CNO pour les plus massives — sont dorénavant prouvés, mesurés. Bien que ce fut prédit, et donc inclus dans nombre de modèles depuis les années 1930, le fait que cela soit observé change évidemment le niveau de certitude, ce qui peut faire avancer d’un grand pas en avant l’astrophysique.
« Dans le cycle CNO, la fusion de l’hydrogène est catalysée par le carbone, l’azote et l’oxygène, et donc son taux — ainsi que le flux de neutrinos CNO émis — dépend directement de l’abondance de ces éléments dans le noyau solaire. Ce résultat ouvre donc la voie à une mesure directe de la métallicité solaire à l’aide de neutrinos CNO », écrivent les physiciens. Pour le dire simplement : grâce à cette découverte, la mesure du flux de particules neutrinos peut permettre de mieux caractériser les étoiles observées.
Borexino face aux discrets et turbulents neutrinos
Comment les physiciens ont-ils pu distinguer aussi précisément les neutrinos produisant seulement 1 % de l’énergie de notre Soleil ? C’est en cherchant dans un spectre lumineux spécifique. Mais les neutrinos sont difficiles à détecter, et encore plus en cas de rayonnement à faible intensité. Alors, pour identifier ces neutrinos, il faut des détecteurs extrêmement sensibles, capables d’exclure tout le « bruit de fond », afin que puisse être repéré une sorte de petit flash lumineux émis lorsque les neutrinos entrent en collision avec des électrons. Le détecteur Borexino est un scintillateur très particulier, installé depuis les années 1990, qui relève d’une conception unique au monde dans sa capacité à discerner de faibles scintillements.
Le scintillateur est installé au sein d’une grande sphère en acier inoxydable de 300 tonnes, parsemée sur sa surface interne de tubes photomultiplicateurs (des détecteurs de photons, calibrés pour les flashs lumineux émis dans la collision neutrino-électron). Au cœur de la sphère, il y a un bassin liquide qui sert à obtenir une « pureté » ultra élevée (c’est-à-dire bloquer un maximum de rayonnements extérieurs ici indésirables et repérer ceux qui passent malgré tout pour en tenir compte). Qui plus est, en enterrant l’installation sous terre dans les montagnes italiennes, on protège l’installation des rayonnements cosmiques, sans pour autant bloquer les neutrinos car ces derniers traversent la Terre sans être perturbés.
Comme le rappelle le National Institute of Nuclear Physics, Borexino se doit d’être en fait « l’endroit le moins radioactif du monde » : il faut que rien n’y passe en dehors des flashs lumineux émis par les collisions neutrinos/électrons. Et si tant est que d’autres rayonnements passent, ils doivent être détectés pour être quantifiés dans les mesures. « La mesure des neutrinos du cycle CNO était une tâche compliquée qui nécessitait beaucoup d’efforts tant au niveau matériel que logiciel. »
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