Des centaines de scientifiques, femmes comme hommes, ont signé une lettre ouverte s’opposant à un article à l’approche sexiste paru le 17 novembre dans Nature Communications. Ce dernier, intitulé L’association entre le mentorat informel en début de carrière dans les collaborations universitaires et la performance des jeunes auteurs, s’intéresse à la relation de « mentorat » : l’accompagnement personnel et l’encadrement méthodologique de quelqu’un en début de carrière par une personne qualifiée dans le milieu académique, notamment pour la réalisation d’un doctorat et/ou la publication de premières études scientifiques.
Le problème ? Le sexisme des conclusions, lesquelles font preuve, qui plus est, d’une méthodologie contestable. L’article fait d’ailleurs dorénavant l’objet d’une alerte de Nature relevant que les interprétations fournies dans ce papier sont sujettes à d’importantes critiques.
Des recommandations préjudiciables aux femmes
Comme le relève la lettre ouverte, initiée notamment par la biologiste Christine Jacobs-Wagner, l’article publié dans Nature Communications suggère que :
- Les femmes en début de carrière universitaire publiant des recherches tireraient « davantage de bénéfices » lorsqu’elles sont encadrées par des hommes plutôt que par des femmes, même lorsque que ces mentors ont l’exact même poids dans le monde académique. (sic)
- Les mentors tireraient à leur tour « davantage de bénéfices » à encadrer des hommes en début de carrière plutôt que des femmes en début de carrière, notamment lorsque le mentor est une femme. (sic)
L’article propose alors que « les politiques actuelles de diversité qui encouragent le mentorat féminin, aussi bien intentionnées soient-elles, pourraient entraver de manière inattendue la carrière des femmes dans le monde universitaire ». Selon les auteurs, un mentorat basé sur des genres opposés favoriserait la carrière scientifique des femmes.
En clair, pour eux : le tutorat féminin ne serait pas bon et même nuisible ; et une femme scientifique, qu’elle soit tutrice ou tutorée, aurait besoin d’un homme pour avancer dans son parcours, qu’importe la qualité de son travail ou de sa réputation. Ils proposent donc que les politiques publiques favorisent les femmes… en évitant le mentorat entre femmes.
Toutes ces assertions sont fausses, basées sur de mauvaises données et, qui plus est, la conclusion est présentée de façon politiquement pernicieuse. Les critiques l’expliquent dans leur lettre ouverte : « Les recommandations politiques présentées dans ce document sous forme de conclusions scientifiques sont préjudiciables aux universitaires féminines établies et émergentes, car elles renforcent les préjugés et les inégalités profondément enracinées qui ont entravé les femmes pendant des générations et qui continuent d’affecter négativement les choix de carrière de jeunes femmes talentueuses. »
La méthodologie douteuse aboutit à une conclusion elle-même sexiste
L’article publié dans Nature fait plusieurs erreurs méthodologiques.
La première : évaluer le succès d’un mentorat en confondant le fait co-signer une étude scientifique et le principe universitaire du mentorat, c’est-à-dire un accompagnement tout au long des travaux, avant et après publication. Comme l’explique le groupe ARG Plant Women dans une autre lettre, « la co-écriture (…) ne correspond clairement pas à la relation entre la personne mentor et la personne mentorée, dont les résultats de la relation peuvent dépasser (et ne pas être reflétés dans) la liste d’auteurs d’un papier ». Deuxième erreur : considérer le nombre de citations d’une étude scientifique dans d’autres papiers scientifiques comme « mesure première du succès » de la personne à l’origine de l’étude en question. Justement, le sexisme infusant le milieu académique fait que se créent des « réseaux de citation » qui excluent les femmes et favorisent les hommes.
De fait, la conclusion est biaisée, le constat passe à côté d’une interprétation juste des données et ne fait que confirmer le sexisme existant. C’est ce que soulignent aussi les signataires de la lettre ouverte initiée par Christine Jacobs-Wagner : « S’ils ont découvert quoi que ce soit, les auteurs [de l’article publié dans Nature] ont redécouvert l’écart genré déjà bien documenté dans la publication scientifique et dans les ‘réseaux de citations’ qui favorise les universitaires masculins. »
Plutôt que de proposer des solutions ou d’apporter de nouvelles données, l’article se base sur de mauvaises interprétations de données connues pour suggérer en fait qu’il faudrait perpétuer cette domination masculine en composant avec le sexisme. Un raisonnement circulaire fallacieux qui est insupportable pour les signataires de la lettre ouverte : « Rester prisonnier de préjugés sociétaux irrationnels tels que le sexisme appauvrit la communauté scientifique et décourage la moitié de la population de contribuer à la science malgré son énorme potentiel. »
Ce papier condense donc finalement, de sa méthode à son aboutissement, le problème du sexisme dans le milieu académique. Car les « arguments fallacieux et les biais » qu’illustre l’étude ont « contribué à la sous-représentation des femmes dans tous les domaines scientifiques, technologiques, ingénieriques et mathématiques.»
Dans son alerte, la revue Nature « enquête » actuellement sur le sujet et indique qu’elle réagira prochainement. Il n’est pas impossible que l’article soit rétracté : son problème est bien qu’il appelle à un changement dans les politiques publiques au sein des universités, tout en se basant sur une méthodologie contestable, ce faisant il pourrait contribuer à détériorer des années d’évolution sur la place des femmes.
Toute personne du monde universitaire de la recherche scientifique est invitée par la lettre ouverte à joindre les signataires afin de « réaffirmer » un « engagement envers toutes les femmes universitaires ». La lettre souligne aussi que « les remèdes à l’écart genré dans les réseaux de citations, mis en évidence dans cette étude et dans bien d’autres, se trouvent dans l’amélioration des mesures permettant de juger de la valeur et de l’impact de la production scientifique, et non dans des recommandations politiques qui découragent les relations de mentorat entre femmes ».
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