Si vous lisez les mots « mineurs de l’espace », il y a de fortes chances que vous pensiez à un Bruce Willis tout en muscles perché sur un astéroïde menaçant. Mais cette activité n’est pas qu’une affaire de gros bras et c’est même parfois de très petits êtres qui prennent le relais lorsque la situation l’exige. Une technique en particulier consiste à utiliser des bactéries qui vont jouer le rôle de mineurs et aller extraire des métaux de minéraux : le biomining.
Souvent traduite par « biolixiviation » en français, la méthode est particulièrement pratique pour récupérer de très petites quantités de métal, notamment ceux de la catégorie dite « Terre rare », utilisés dans l’électronique. C’est une technique relativement récente, notamment pratiquée en France par les chercheurs du BRGM, le Bureau de recherches géologiques et minières. « Le principe, résume Anne-Gwénaëlle Guezennec, ingénieure de recherche au BRGM, c’est que les micro-organismes produisent un réactif qui transforme les métaux en solution. Il nous reste alors à extraire cette solution du minerai qui les contient. » L’avantage principal est d’éviter de mobiliser toute une technologie destinée à chauffer les minerais ou à augmenter la pression. La biolixiviation est beaucoup moins coûteuse et plus simple à mettre en place.
Résultat: elle semble être destinée à partir pour l’espace. C’était en tout cas le but de cette étude publiée le 10 novembre 2020 dans la revue Nature Communications par des chercheurs de l’Université d’Édimbourg. Ils ont voulu savoir si les bactéries pouvaient assurer leur mission lorsqu’il n’y avait pas de gravité.
En effet, les missions spatiales à venir pour la Lune ou pour Mars pourront plus facilement emporter quelques lots de bactéries s’il faut récupérer des métaux dans les roches, plutôt que du matériel sophistiqué, lourd et coûteux.
Des petites bêtes dans l’espace
Mais avant de partir aussi loin, il existe un endroit quasiment sans gravité : direction la Station spatiale internationale. Un dispositif spécialement créé pour l’occasion a été envoyé dans l’ISS durant l’été 2019 afin d’être manipulé par l’astronaute italien Luka Parmitano. Baptisé BioRock, ce réacteur qui agit comme une chambre de culture pour bactéries contient quelques morceaux de basalte et trois bactéries différentes, ainsi que tout un appareillage destiné à simuler différentes forces de gravité, comme celles que l’on trouve sur la Lune ou sur Mars par exemple. Les micro-organismes ont été choisis selon certains critères : il fallait notamment qu’ils puissent se développer tous dans le même type d’environnement afin de pouvoir comparer les résultats. Leurs noms: Sphingomonas desiccabilis, Bacillus subtilis et Cupriavidus metallidurans. Maintenant que les présentations sont faites, voyons un petit peu ce qui s’est passé.
Les micro-organismes ont été placés dans le dispositif avec leur bloc de basalte à creuser et Luka Parmitano leur a injecté un mélange de glucose et d’autres substances, une sorte de carburant destiné à produire le réactif qui sert à la dissolution des métaux. Et bilan: ça a marché ! Insensibles au changement de gravité, les différentes bactéries ont bien fait leur travail, y compris lors de simulations de gravité lunaire ou martienne. De quoi se réjouir et imaginer des missions minières bactériennes sur la Planète rouge ? Pas si vite.
Sans carburant, c’est compliqué d’avancer
« L’article ne montre pas la biolixiviation comme elle est utilisée dans l’industrie, révèle Christopher Bryan, responsable d’unité au BRGM. Leur méthode implique d’importantes contraintes qui rendent difficile d’imaginer une telle transposition ailleurs que sur Terre. »
L’intérêt principal de la biolixiviation sur Terre, c’est la facilité d’exécution. Et si c’est le cas, c’est parce que le micro-organisme produit lui-même le réactif dont il a besoin pour transformer le métal en solution. Il se nourrit notamment d’oxygène et de matière organique trouvés dans la roche. Mais si le minerai en question ne permet pas de produire ce réactif, il faut l’aider en lui administrant son carburant. Et c’est ce qui est fait dans l’expérience décrite dans l’article.
« Ces bactéries ont besoin d’oxygène, ce qui les met en compétition avec les astronautes, ajoute Christopher Bryan. Et en plus, il faut leur fournir ce mélange qui les fait avancer, et c’est une technique très compliquée à mettre en place, même sur Terre avec tout le matériel disponible. » Cette contrainte, c’est précisément ce pour quoi la technique n’est pas utilisée lorsque les conditions ne sont pas réunies. Pour extraire les métaux, la méthode actuelle est plus traditionnelle, sans les bactéries. Le champ de recherche est encore assez récent, mais actuellement, si le carburant n’est pas dans la roche, la technique est au mieux inutilement compliquée, au pire, complètement inutilisable.
Les roches lunaires ou martiennes ne sont pas riches en oxygène ni en matière organique, et ne peuvent donc pas être visitées telles quelles par les bactéries qui ne pourraient ni aller chercher les métaux, ni même survivre sans un apport extérieur assez compliqué à fournir. En plus de cela, utiliser des micro-organismes sur des astres où justement, nous sommes encore à la recherche de signes de vie peut faire craindre une contamination, ce qui est jusqu’à présent strictement contrôlé lors des envois de matériel, toujours stérilisé avec précaution.
«Il y a aussi le problème de la dernière étape, souligne Anne-Gwénaëlle Guezennec, l’extraction des métaux. Même sur Terre, l’opération n’est pas simple, il faut récupérer la solution, trier le tout, puis pouvoir s’en servir à nouveau après. C’est quelque chose de difficilement imaginable en l’état sans tout le matériel à disposition. »
L’étude a donc montré que la biolixviation pouvait fonctionner en l’absence de gravité ou avec une pesanteur moindre. Mais cela ne suffit pas à rendre la technique viable pour de nombreuses autres raisons. Pour les auteurs de l’étude, c’était une des solutions pour rendre la présence humaine autosuffisante sur une autre planète, en prélevant facilement des métaux essentiels pour les outils électroniques. Mais pour les géologues sur Terre, il faut d’abord apprendre à mieux exploiter la technique chez nous, avant de l’emmener ailleurs dans de mauvaises conditions.
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