C’est en recourant à une immense puissance de calcul, associée aux techniques de séquençage ADN les plus innovantes, qu’ont pu être obtenus les résultats publiés dans Nature, le 18 janvier 2021. Cette étude présente la séquence du dipneuste d’Australie, montrant que ce poisson détient le record du génome le plus long découvert à ce jour. Et cela n’a rien d’un simple record sans importance : ce séquençage éclaire un peu plus un chaînon clé de l’évolution sur Terre, ayant conduit à notre existence.
Il y a quelque 400 millions d’années, des animaux originellement aquatiques sont devenus aptes à la vie terrestre. Ce n’est évidemment pas arrivé du jour au lendemain. La mécanique évolutive a progressivement conduit à une succession de mutations aléatoires procurant à des espèces un avantage à la survie en dehors de l’eau. Un génome de grande taille apparaît comme un atout pour une transition aussi importante : il combine tellement de mutations génétiques additionnées au fil du temps que cela implique une plus grande chance que certains gènes obtenus dans le lot soient déterminants. C’est là où le génome du dipneuste d’Australie est intrigant et tout à fait intéressant pour retracer nos origines évolutives.
Le séquençage ADN de ce poisson a permis d’assembler les 43 milliards de paires de bases qui le composent (en clair, ces milliards de nucléotides représentent les lettres inscrites dans le code génétique). Ce chiffre représente 14 fois la taille du génome humain, et dépasse largement celle du génome de l’axolotl, qui détenait jusqu’ici le record. « Lorsque nous avons séquencé et assemblé le génome géant de l’axolotl mexicain en 2018, nous ne nous attendions pas à trouver un génome plus grand encore dans un délai aussi court. Avec les dipneustes, nous avons eu une surprise stimulante », confie Elly Tanaka, l’une des autrices de la découverte, sur le site de l’institut de recherche.
« Les dipneustes occupent une position clé dans l’évolution »
Ces dipneustes ont la particularité de ressembler presque trait pour trait à leurs ancêtres disparus. Les fossiles permettent en effet de constater à quel point les dipneustes vivants aujourd’hui sont quasiment les mêmes que ceux ayant vécu il y a 400 millions d’années. Grâce à cette constance, étudier le contenu de leur actuel génome, avec une analyse dite phylogénétique, offre une porte d’entrée phénoménale sur cette époque déterminante du passé commun de tous les vertébrés terrestres. « Les dipneustes occupent une position clé dans l’évolution en tant que parents vivants les plus proches des tétrapodes, soulignant leur importance pour la compréhension des innovations associées à la terrestrialisation », écrivent les auteurs.
Les « innovations » dont parlent les scientifiques sont des préadaptations issues des mutations génétiques aléatoires. Celles-ci ont progressivement conduit à ce qu’une branche de l’espèce dispose de la capacité à vivre sur la terre ferme ; et se transforme en tétrapode (espèce à quatre pattes). Quelques exemples sont parlants. On retrouve au sein du génome un nombre ainsi qu’un niveau d’expression très importants de gènes associés au développement des poumons et des membres articulés. De même, les dipneustes possèdent des gènes adaptés à la détection d’odeurs aéroportées, ce qui les rapproche des tétrapodes amphibiens (à la fois terrestres et aquatiques) plutôt que des poissons.
Le génome du dipneuste montre donc à quel point cette espèce possédait, il y a 400 millions d’années environ, tous les avantages sélectifs pour donner lieu à une branche d’animaux terrestres. Cela fait de lui l’un de nos parents éloignés, dont l’étude devient encore plus cruciale pour comprendre nos origines évolutives. « Il ne fait aucun doute que le nouveau génome séquencé dévoilera à l’avenir d’autres secrets sur cet étrange vertébré. Non seulement il peut nous apprendre des choses sur les adaptations à la vie sur terre, mais il peut aussi expliquer comment certains génomes évoluent pour devenir si grands », conclut Elly Tanaka.
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