La plupart des vaccins peuvent être conservés, comme nos yaourts, dans un simple réfrigérateur. Mais comment marche cet appareil ? Dans The Conversation, le physicien théoricien Jacques Treiner explique que cette quête du froid est une question de température et de pression.

Un réfrigérateur, pour aussi banal que soit l’objet aujourd’hui, réalise un exploit permanent : maintenir, voire accroître une différence de température entre deux espaces « en contact thermique » – l’intérieur de l’appareil et la pièce où il est installé. La question a pris une nouvelle dimension depuis la mise au point du vaccin anti-Covid élaboré par Pfizer/BioNTech, car celui-ci doit être maintenu à une température de -72 °C.

Obtenir et maintenir un tel écart de température avec l’ambiante semble a priori contraire aux processus naturels : en effet, lorsque deux corps à températures différentes sont en contact, un transfert thermique s’opère spontanément du plus chaud au plus froid, si bien que la différence de température finit par s’annuler, même s’il y a un isolant entre les deux. Mais lorsqu’on place de la nourriture à température ambiante dans un réfrigérateur, celle-ci se refroidit, autrement dit l’appareil assure un transfert de chaleur de l’intérieur (la nourriture) vers l’extérieur (la pièce), c’est-à-dire du plus froid vers le plus chaud. Comment est-ce possible ? Pour le comprendre, il faut revenir à quelques fondamentaux de la thermodynamique.

Un réfrigérateur réchauffe la cuisine

Imaginons pour commencer un fluide contenu dans une canalisation en contact avec un milieu extérieur à la température Text. À l’aide d’un moteur, on peut faire varier la pression dans la canalisation. On suppose dans un premier temps que le fluide est et demeure dans un état gazeux. Si on augmente la pression du gaz, sa température augmente également (pensez à une pompe à vélo), et lorsque cette température devient supérieure à Text, un transfert de chaleur s’opère spontanément du fluide vers le milieu extérieur, à travers la paroi de la canalisation. Si on diminue la pression du gaz, sa température diminue, et lorsqu’elle devient inférieure à Text, un transfert de chaleur s’opère spontanément depuis le milieu extérieur vers le fluide, toujours à travers la canalisation.

Supposons à présent que nous placions à un endroit de la canalisation une vanne, qui s’ouvre lorsque la pression devient supérieure à une valeur choisie. Lorsque la vanne s’ouvre, le gaz subit une détente, comme lorsqu’on ouvre une cartouche de camping de gaz. Cette détente s’accompagne d’une brusque diminution de la température, comme on peut le constater en touchant le métal près de la vanne de la cartouche. On obtient ainsi deux régimes bien distincts le long de la canalisation : une partie haute pression et haute température en aval du moteur et produite par celui-ci, et une partie basse pression et basse température en aval de la vanne.

C’est tout ce qu’il nous faut pour réaliser un réfrigérateur. D’abord mettre la partie haute température de la canalisation en contact thermique avec la cuisine – c’est la fonction de la grille que l’on trouve à l’arrière d’un réfrigérateur. On constate en la touchant que sa température est supérieure à la température ambiante, et sa grande surface favorise le transfert thermique. Un réfrigérateur réchauffe donc la cuisine. Ensuite, une vanne, disposée juste avant que la canalisation ne pénètre dans la paroi arrière de l’appareil, de sorte que la partie basse température de la canalisation se trouve en contact thermique avec les aliments. Le transfert thermique se fait donc, là aussi, spontanément. On réalise ainsi, par deux transferts thermiques spontanés, un transfert thermique global qui ne l’est pas.

Voilà comment fonctionne un frigo. // Source : Flickr/CC/Eloïse L (photo recadrée)

Voilà comment fonctionne un frigo.

Source : Flickr/CC/Eloïse L (photo recadrée)

D’un point de vue pratique, pour éviter des pressions trop élevées ou trop basses dans la canalisation, on s’arrange pour que, dans la partie haute pression, le gaz se liquéfie. Ainsi, la pression demeure constante – comme lors de tout changement de phase – et la chaleur nécessaire pour passer de l’état gazeux à l’état liquide, dite « chaleur latente de condensation » vient s’ajouter au transfert thermique pour chauffer l’extérieur. De façon analogue, en aval de la vanne, le fluide passe de l’état liquide à l’état gazeux : la « chaleur latente de vaporisation » est prise sur les aliments du réfrigérateur.

Qu’est-ce que le « point triple » ?

Il convient toujours de s’assurer que la température et la pression la plus basse atteinte par le fluide réfrigérant dans le circuit soit telle qu’il ne congèle pas : s’il devenait solide, cela bloquerait sa circulation et paralyserait tout le système.

Prenons l’exemple de l’eau. L’équilibre liquide-vapeur dépend de la pression. On sait que l’eau bout, à la pression atmosphérique, à 100 °C. Mais si l’on diminue la pression, la température d’ébullition baisse. Ainsi, au sommet du mont Blanc, la température d’ébullition n’est plus que de 85 °C, et elle est de 72 °C au sommet de l’Everest.

Plutôt que de prévoir une expédition en montagne, on peut explorer cette relation température/pression en laboratoire. Il suffit de placer l’eau dans un vase fermé relié à une pompe aspirante. On constate alors que température d’ébullition et pression diminuent ensemble, et que lorsque la pression atteint la valeur de 0,006 fois la pression atmosphérique, la température d’ébullition n’est plus que 0,01 °C. Mieux, un phénomène nouveau apparaît alors : si l’on continue d’aspirer le gaz, la température ne diminue plus, mais un petit glaçon se forme. Tant que les trois phases coexistent, la température et la pression demeurent constantes. Le liquide se transforme à la fois en gaz et en solide, la chaleur latente de vaporisation étant fournie par la chaleur latente de solidification. Ce point de coexistence des trois phases s’appelle le « point triple ». Lorsque toute la phase liquide a disparu, ne reste plus dans le vase qu’une phase solide (de la glace), en équilibre avec de la vapeur d’eau. Si l’on continue alors d’aspirer la vapeur, température et pression se remettent à décroître.

Cette expérience nous apprend qu’on ne peut observer de phase liquide à une température inférieure à celle du point triple.

Tous les corps se comportent ainsi, avec, bien sûr, des points triples différents. Il en résulte aussi que la température la plus basse qu’un réfrigérateur peut atteindre ne peut être inférieure à celle du point triple du réfrigérant. Par exemple, la température du point triple du gaz carbonique est de – 56,6 °C, celle du fréon est de – 103,3 °C, celle de l’éthane de – 183,3 °C.

La conservation des vaccins : dans quel froid ?

La température à laquelle un vaccin doit être conservé avant utilisation est liée à la stabilité chimique de la molécule active. Si la molécule est trop fragile, la simple « agitation thermique », c’est-à-dire le mouvement des atomes les uns par rapport aux autres sous l’effet de la chaleur, peut la dégrader.

Les vaccins habituels peuvent être conservés dans un simple réfrigérateur, à une température proche de 0 °C. Ce sont des protéines relativement stables. Mais les molécules d’ARN messager, qui forment la base chimique du vaccin développé par Pfizer/BioNTech, sont des molécules plus fragiles. C’est la raison pour laquelle ils doivent être conservés à plus basse température – 72 °C dans le cas de Pfizer/BioNTech.

Cela ne pose pas de problème de principe : il existe suffisamment de fluides réfrigérants utilisables pour atteindre ces températures à l’aide de réfrigérateurs fonctionnant suivant les principes décrits plus haut. Sur le plan pratique, cependant, plusieurs difficultés doivent être surmontées. Par exemple, comme nous l’avons vu, plus la température est basse, et plus la pression est basse. Or il faut ensuite comprimer le fluide pour atteindre la température permettant un bon transfert thermique vers l’extérieur de l’appareil. Dans un appareil approprié pour le vaccin de Pfizer/BioNTech, il faut passer de – 72 °C à une température supérieure à l’ambiante, disons 30 °C, pour que le transfert thermique vers l’extérieur du réfrigérateur puisse se faire. Cela exigera un moteur d’autant plus puissant et volumineux que la pression de départ est basse. Parfois, cette compression doit être faite en deux étapes, ce qui accroît la complexité et le coût. Par ailleurs, le moteur contient des parties mécaniques mobiles qui doivent être huilées. À la sortie de la compression, il faut séparer l’huile du fluide réfrigérant, sinon elle va solidifier dans la partie basse température et perturber le système.

Dans le cas du vaccin de Moderna, aussi autorisé en Europe, il peut être conservé à – 20 °C. Les autres candidats-vaccins contre le SARS-CoV-2 devraient pouvoir être conservés dans des réfrigérateurs plutôt que dans des congélateurs.

La consommation globale des réfrigérateurs a augmenté

Dans un réfrigérateur-congélateur, pour obtenir une température du compartiment congélation différente de celle de la partie réfrigération, on visait autrefois la température de congélation, et l’on plaçait dans la porte de la partie réfrigération une résistance chauffante ! Cela représentait évidemment un gaspillage d’énergie.

Aujourd’hui, les appareils sont équipés de deux moteurs, un pour chaque fonction – les économies d’énergie réalisées compensent le coût du moteur supplémentaire. D’importants progrès ont aussi été accomplis pour limiter les échanges thermiques à travers les parois. Les appareils d’aujourd’hui ont donc une bien meilleure efficacité énergétique qu’il y a 50 ans.

Pourtant, la consommation globale des réfrigérateurs n’a pas diminué, elle a même augmenté. En effet, les économies d’énergie ont été plus qu’absorbées par l’augmentation de la taille des appareils et l’augmentation du parc : c’est ce que les économistes appellent l’« effet rebond ». Pour donner un ordre de grandeur, la consommation de l’ensemble du froid domestique alimentaire (37,5 TWh) représente aujourd’hui en France cinq fois plus que la consommation d’électricité de l’ensemble du réseau des trains de la SNCF (7,5 TWh) ! Il faut plus de 4 centrales nucléaires (de l’ordre de 1 GW, mais ils ne sont pas allumés 100 % du temps) pour maintenir nos yaourts et nos bières au frais…

Merci à Assaad Zoughaib, professeur à l’École des Mines de Paris, pour une discussion concernant les fluides réfrigérants.The Conversation

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Jacques Treiner, Physicien théoricien, chercheur associé au laboratoire LIED-PIERI, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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