Oumuamua viendrait-il des extraterrestres ? Cette théorie sur les origines du premier visiteur interstellaire découvert par l’humanité a fait l’objet d’une intense médiatisation ces derniers jours. Tout est parti de la publication d’un ouvrage : Extraterrestrial: The First Sign of Intelligent Life Beyond Earth (traduisible en « Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre ») fin janvier. Le livre est signé par Abraham Loeb, de l’université de Harvard (États-Unis), qui n’en est pas à son coup d’essai pour tenter de faire valoir sa théorie sur Oumuamua. Officiellement nommé 1I/ʻOumuamua, cet objet découvert en 2017 est le premier à provenir de l’extérieur du système solaire que l’on connaisse.
Cette hypothèse d’une origine extraterrestre, ainsi que la large couverture médiatique qui lui a été consacrée, a fait réagir des astronomes. En France, une communication a été faite par la Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A), conjointement avec la Société Française d’Exobiologie (SFE) le 2 février. « Il n’est nullement nécessaire de faire appel à une technologie extraterrestre pour décrire l’objet », peut-on lire. Les scientifiques regrettent que les théories présentées dans l’ouvrage, dont la démonstration leur semble manquer de fiabilité, aient été relayées « sans y apporter d’éléments contradictoires, pourtant déjà discutés et argumentés, de la part de spécialistes de la question ».
La compréhension de la méthode scientifique par le public, « un devoir »
Ce buzz médiatique fait craindre à ces chercheurs qu’une défiance envers la méthode scientifique soit ainsi encouragée. « C’est très dommageable pour la méthode scientifique, explique à Numerama Eric Lagadec, astrophysicien et président de la Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A). La compréhension par le grand public de la méthode scientifique est un devoir. Nous sommes payés par l’argent public, c’est notre rôle de faire en sorte que cette information soit la meilleure possible. »
Pour ces scientifiques, la démarche d’Abraham Loeb est discutable, car celui-ci se présente comme détenant un savoir, avec la possibilité quasi inexistante de lui opposer une réponse scientifique. « Si j’émets une hypothèse, je vais essayer de démontrer que j’ai tort. Si je n’arrive pas à démontrer que j’ai tort, alors peut-être ai-je raison. Là, c’est un peu l’inverse : partir du principe qu’on a raison », résume Eric Lagadec. Par ailleurs, si Abraham Loeb est un cosmologiste (un scientifique qui étudie la structure de l’Univers dans son ensemble) reconnu, il faut souligner qu’il ne s’est pas spécialisé dans la physique du système solaire, ce qui peut inciter à considérer ses travaux sur le sujet avec nuances et précautions.
« En tant que scientifique, c’est important de ne négliger aucune piste, poursuit Eric Lagadec. Lorsqu’on fait des recherches, on pense évidemment parfois que des choses pourraient être de la vie extraterrestre, mais cela se fait via des publications scientifiques. Quand on accumule des preuves, on peut faire de grandes annonces. Mais faire cette grosse annonce sous forme de campagne de communication pour un ouvrage me semble en dehors de la méthode scientifique. »
Ici, tout est naturel
S’interroger sur la possibilité d’une autre forme vie dans l’espace n’est pas, en soi, un questionnement illégitime, tient à rappeler le président de la SF2A. « La recherche de vie dans l’Univers est importante. Il y a de nombreux travaux financés, des missions spatiales qui ont lieu. L’exploration du système solaire a été en partie motivée par cela : voir s’il y avait de la vie sur Mars, maintenant on s’intéresse à Titan, à Europe… On a découvert 4 000 exoplanètes, on sait qu’il y a des milliards de systèmes planétaires rien que dans notre galaxie et l’on commence à avoir des images de ces exoplanètes. Depuis 30 ans, on n’a jamais fait autant d’avancées dans la compréhension et la découverte, ou non, de vie extraterrestre. »
Dans le cas d’Oumuamua, des scientifiques se sont penchés sur les caractéristiques de cet objet, pour tenter de les expliquer. Même le SETI s’est intéressé à Oumuamua, pour tenter de déceler le moindre indice en faveur d’une origine artificielle — recherches qui n’ont pas été concluantes. « Ici, il n’y a rien d’extraordinaire, tout peut être expliqué de manière naturelle. Je ne pourrais pas dire que ce n’est pas extraterrestre, mais l’affirmer comme ça ne me paraît pas honnête, estime Eric Lagadec. Pour moi, ce livre est un roman de science-fiction. »
Du questionnement philosophique vers le questionnement scientifique
La médiatisation accordée aux théories extraterrestres sur Oumuamua peut rappeler de précédentes situations, où des buzz similaires sont nés de l’idée que, ça y est, on avait peut-être enfin trouvé une preuve de vie hors de la Terre. Encore récemment, la découverte avancée de la phosphine (un gaz) sur Vénus a été à l’origine d’un véritable feuilleton scientifique, avec une confusion allant jusqu’à faire parler de « signes de vie », alors que rien de tel n’a pu être prouvé rigoureusement.
Pourquoi ces situations semblent-elles survenir plus régulièrement ces derniers temps ? « Il y a 30 ans, l’exobiologie [ndlr : la science qui étude les possibilités de l’existence de la vie dans l’Univers, hors de la Terre] était encore balbutiante. Avant, ce n’était quasiment que de la philosophie de se demander s’il y a de la vie ailleurs. Maintenant, cela devient des questions scientifiques », explique Eric Lagadec. Il ajoute : « je serais déçu si, à cause de toutes ces annonces, le jour où l’on trouve vraiment de la vie, les gens finissent par se dire ‘oh, ça va, c’est encore la même histoire’. »
Oui, les astrophysiciens sont probablement nombreux à être animés par des questionnements comme « sommes-nous seuls » et « d’où vient l’Univers ». Le public se passionne aussi pour le sujet. « En tant que scientifiques, on n’exclut pas du tout l’hypothèse qu’il y ait de la vie extraterrestre, au contraire. Si on était persuadés qu’il n’y avait pas de vie, on ne passerait pas notre temps à chercher », abonde Eric Lagadec. Cependant, il y a un écart entre cette réalité et l’affirmation qu’il y a forcément de la vie ailleurs — argument souvent mobilisé en ligne, dans les commentaires sur ce type de sujet. « On ne peut pas le savoir. De la même manière, on ne pourrait jamais dire : il n’y a pas de vie ailleurs. Mais tant qu’on n’a pas trouvé, on ne peut pas dire qu’il y en a », conclut l’astrophysicien.
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