Si de loin, la banquise du Groenland peut paraître immaculée, en regardant d’un peu plus près il est possible de distinguer de longs tracés un petit peu plus sombres et assez problématiques. C’est ce qu’a découvert une équipe de chercheurs américains qui ont détaillé leur trouvaille dans la revue Geophysical Research Letters le 6 décembre.
« Nous avions déjà vu que ces tracés contenaient des sédiments lors de survols en drone, raconte à Numerama l’auteur principal Sasha Leidman, de l’Université Rutgers dans le New Jersey. Mais nous ne savions pas que ces sédiments étaient aussi nombreux, beaucoup plus qu’ils ne devraient l’être. »
Avant de parler des sédiments, il faut savoir que les tracés eux-mêmes sont largement étudiés depuis quelques années. Il s’agit de fêlures dans la glace lorsqu’elle fond. De l’eau y passe et forme des petites rivières. La particularité, c’est que leur albedo est moins élevé : en clair, ils sont plus sombres que la glace elle-même et absorbent davantage de lumière, ce qui accentue encore le réchauffement climatique puisque la chaleur reste sur Terre au lieu d’être réfléchie.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisqu’en plus, des sédiments (du sable et de la poussière notamment) s’accumulent dans ces courants. La glace ainsi salie a un albedo encore plus bas, ce qui accélère d’autant plus la fonte de la banquise.
Les bactéries déclarées coupables
Dans cette étude, les auteurs ont examiné davantage les grains de poussière, ainsi que le courant de l’eau, cela grâce à des analyses in situ au sud-ouest du Groenland là où les courants sont nombreux. Un lieu également pratique, car il a été bien étudié auparavant par d’autres équipes et ses caractéristiques sont bien connues. Les scientifiques se sont concentrés sur un seul courant long de 137 mètres, mais des missions de reconnaissance alentour ont confirmé qu’il était représentatif des autres.
Leur verdict ? Les grains de sable sont bien trop petits. Ils devraient être emportés par le courant de l’eau, alors pourquoi restent-ils là ? « Il y a des bactéries dans les sédiments, révèle Sasha Leidman. Elles maintiennent les grains entre eux pour former des boules qui sont 91 fois plus grosses et qui ne sont pas emportées par l’eau. »
La présence de ces bactéries change tout puisque désormais, les sédiments sont liés entre eux, s’agglutinent et sont d’autant plus durs à évacuer avec le courant de l’eau. Cette glace sale fond encore plus facilement, précise Sasha Leidman : « Nous ne savons pas exactement à quel point la fonte s’accélère avec ces accumulations. Comme elle est très sombre, nous savons que la chaleur est encore davantage absorbée, mais c’est difficile de savoir quel rôle cela joue dans le réchauffement climatique ».
Pour Marie Dumont, directrice du Centre d’Etudes de la Neige, ce sont ces bactéries qui changent tout : « Les études sur l’albedo sont anciennes, précise-t-elle à Numerama. Mais l’aspect lié à ces micro-organismes est beaucoup moins traité actuellement dans la littérature scientifique ».
Effet boule de neige sur la glace
Pourtant ces bactéries étaient là bien avant l’ère industrielle : cette croissance a débuté avant l’apparition de l’humanité. Le problème, c’est qu’elle accélère avec le réchauffement climatique. « Les conditions actuelles sont plus favorables au développement de bactéries, confirme Sasha Leidman. Avec les températures qui deviennent plus douces, elles prolifèrent et se regroupent dans des trous dans la glace, des cryoconites, où elles deviennent encore plus difficiles à déloger. »
Le phénomène est observé ailleurs, notamment en Alaska et dans l’Himalaya. Mais au Groenland, le phénomène est encore plus problématique puisque la banquise y est plus épaisse, autorisant des dépôts de bactéries plus importants et donc davantage de sédiments et toujours la conséquence inévitable : une fonte des glaces plus intense.
Un effet boule de neige, en somme, dans lequel le réchauffement climatique favorise la concentration de bactéries, laquelle entraîne un réchauffement climatique encore plus important. «Il y a plusieurs facteurs qui peuvent faire fondre la neige ou la glace plus vite, ajoute Marie Dumont. La présence de pluie, les microstructures internes qui rendent les matériaux moins fins et donc plus fragiles, mais aussi ces sédiments qui posent un sérieux problème. »
La chercheuse étudie d’ailleurs en ce moment l’effet des sédiments venus du Sahara début février sur la neige des Alpes. De premières recherches ont montré des grains ensevelis sous la neige fraîche, ce qui pourrait accélérer la fonte.
Cette étude jette une ombre bien sombre sur les modèles autour du réchauffement climatique. « Notre prochaine étape, précise Sasha Leidman, c’est de trouver le lien entre changement environnemental et croissance du nombre de bactéries. Cela nous renseignera sur la manière dont elles impactent le changement climatique. »
En effet, si les températures sont amenées à monter encore davantage, les bactéries risquent de devenir plus nombreuses et plus problématiques. Il s’agit désormais de prévoir l’ampleur de cette évolution pour savoir quel sera l’impact sur le réchauffement à venir et sur l’élévation du niveau des mers.
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