La machine d’Anticythère, vieille de plus de 2 000 ans, est le tout premier mécanisme de calcul analogique à notre connaissance. Issu de l’Antiquité grecque, un seul exemplaire a été mis au jour par les archéologues, en 1901, au sein d’une épave proche de l’île d’Anticythère. Grâce à des engrenages actionnés manuellement, la machine permettait d’anticiper les mouvements des planètes connues à l’époque (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne), ainsi que ceux du Soleil et de la Lune, afin d’en calculer les positions astronomiques et de les mettre en rapport avec le calendrier des événements — quand devaient se tenir les Jeux olympiques, par exemple.
Malheureusement, l’appareil a été retrouvé incomplet : les fragments en notre possession ne représentent qu’un tiers de la machine d’Anticythère. À ce problème s’ajoute l’impossibilité de démonter la machine sans l’endommager — elle est bien trop précieuse pour cela. C’est là qu’intervient le travail inédit d’une équipe de recherche de l’UCL (University College of London).
Dans un papier de recherche publié le 12 mars 2021 dans Scientific Reports, l’équipe décrypte la reconstruction numérique de l’appareil, à partir des scans précédemment réalisés de l’appareil. Au XXè siècle, d’autres tentatives de reconstruction ont eu lieu, mais très infructueuses car les scientifiques n’avaient que peu d’informations sur le fonctionnement de l’appareil et les calculs sur lesquels il repose. Or, les scans tomographiques (la reconstruction d’un volume à partie de mesure) menés il y a quelques années ont révélé, au sein même des inscriptions cachées dans la machine, des données mathématiques sur son fonctionnement.
Un « dispositif de génie »
« Notre défi consistait à créer un nouveau modèle correspondant à toutes les preuves qui subsistent », expliquent, dans le papier, les six scientifiques menant ce projet.
Ils ont donc combiné les données découvertes par tomographie avec les calculs de Michael Wright, un conservateur qui avait construit une réplique incomplète par le passé, et avec les calculs astronomiques du philosophe grec antique Parménide. Ce dernier choix est crucial : pour reconstruire réellement la machine, il est impératif de reprendre les modalités de conception de l’époque. Il faut donc que la base mathématique soit celle des postulats de l’Antiquité grecque, à savoir, notamment, l’idée complètement invalidée que tout tourne autour de la Terre.
« Notre travail révèle que le mécanisme d’Anticythère provient d’une magnifique conception, dont la superbe ingénierie aboutit à un dispositif de génie. Il remet en question toutes nos idées préconçues sur les capacités technologiques des Grecs de l’Antiquité », explique l’équipe de recherche. La reconstitution numérique montre en effet que les mécanismes sont d’une précision millimétrée, jusqu’à faire tenir parfaitement un mécanisme d’engrenages superposés dans un compartiment d’à peine 2,5 centimètres de profondeur.
Durant leur reconstitution, les scientifiques ont pu constater que la machine d’Anticythère constituait un recueil astronomique « stupéfiant » : elle calculait les longitudes écliptiques de la Lune, du Soleil et des planètes ; les phases de la Lune ; les phases synodiques des planètes ; les éclipses (possibilités, heures, caractéristiques, années et saisons) ; les levers et couchers héliaques d’étoiles et de constellations importantes.
L’équipe de recherche a également remarqué que les erreurs dans le mécanisme ne proviennent pas de mauvais calculs géométriques, mais simplement du géocentrisme, la théorie erronée des Grecs voulant que la Terre soit au centre. À cause de ce mauvais postulat, le mouvement des corps était beaucoup plus difficile à prédire. Mais les calculs géométriques eux-mêmes étaient très bons.
Le prochain objectif de ces scientifiques est de s’appuyer sur leur reconstitution numérique pour procéder à une reconstruction physique de la machine — ce qui aboutirait à bien plus de révélations encore sur les mécanismes.
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