Imaginez-vous à bord d’un vaisseau spatial, au cœur du centre de contrôle, guidant le navire parmi les flots célestes. Le tableau est plaisant, mais d’un point de vue très technique, encore faut-il se repérer dans cette vertigineuse immensité et il vous faudra davantage qu’une longue-vue.
Au sein du système solaire, il est possible de transmettre des signaux de pilotage depuis la Terre, comme c’est le cas pour les sondes. Toutefois, lorsque l’on commence à dépasser l’héliopause — la frontière du système — cette solution devient inopérante en pratique. Le nombre d’heures puis de jours entre l’envoi du signal et sa réception est trop élevé. C’est un obstacle pour les voyages inhabités ou habités dans l’espace profond.
« L’exploration de l’espace interstellaire nécessitera des systèmes de navigation autonomes qui ne dépendront pas du repérage depuis la Terre », introduit l’astronome Coryn A.L. Bailer-Jones, de l’institut Max Plank, dans un article mis en ligne le 18 mars 2021 sur la plateforme arxiv. Le papier de recherche n’a pas encore été publié dans une revue scientifique et n’a donc pas encore été soumis au regard d’autres scientifiques. Mais penchons-nous tout de même sur son intrigante proposition.
Jouer sur les effets de parallaxe et d’aberration
« Lors de voyages vers les étoiles les plus proches, les signaux seront beaucoup trop faibles et les temps de parcours de la lumière seront de l’ordre de plusieurs années », rappelle Coryn A.L. Bailer-Jones. Pour dépasser cette limite dans la navigation interstellaire, la Nasa planche sur un « GPS » reposant sur les pulsars à partir d’un système à rayons X. Les pulsars sont des étoiles à neutrons qui, tournant extrêmement rapidement sur elles-mêmes, émettent de vifs signaux répétés dans l’espace, à un rythme souvent régulier.
« Cette démonstration réussie établit fermement la viabilité de la navigation à rayons X par pulsars comme nouvelle technique de navigation autonome. Nous avons montré qu’une version mature de cette technologie pourrait améliorer l’exploration de l’espace profond partout dans le système solaire et au-delà », estimait l’un des scientifiques ayant planché sur le projet de la Nasa, dont l’expérimentation est décrite comme une réussite.
Mais pour Coryn A.L. Bailer-Jones, la dispersion des signaux de pulsars dans le milieu interstellaire pourrait provoquer des erreurs dans leur mesure exacte, et conduire à une précision bien plus médiocre que prévu. Or, dans l’immensité spatiale, une excellente précision est incontournable (trompez-vous de quelques parsecs à un moment donné et vous voilà dans le mauvais système solaire).
Pour l’astronome, il faudrait se reposer sur notre catalogue connu d’étoiles. Il faut toutefois prendre en compte la parallaxe, l’aberration et l’effet Dopler : à cause de ces trois effets, les positions respectives des étoiles ainsi que leurs vitesses observées changent à mesure que l’on s’éloigne du Soleil. C’est ainsi que les sondes que nous envoyons jusqu’à la frontière du système solaire ne voient pas le paysage stellaire comme nous. À partir de ce constat, comment utiliser les étoiles comme instrument de navigation ?
« En mesurant uniquement les distances angulaires entre les paires d’étoiles et en les comparant au catalogue, nous pouvons déduire les coordonnées du vaisseau spatial par un processus itératif de modélisation », explique Coryn A.L. Bailer-Jones. Pour le dire autrement, il s’agit d’une sorte de triangulation adaptative au fil du voyage, en exploitant justement la parallaxe et l’aberration des étoiles présentes dans la région proche de notre vaisseau.
L’astronome fournit, dans son papier, une modélisation expérimentant l’hypothèse. À partir de ne serait-ce que 20 étoiles, la modélisation montre qu’il est possible de mesurer la position d’un vaisseau à 3 unités astronomiques près, et sa vitesse à 2 kilomètres/seconde. Plus l’on inclut d’étoiles dans la triangulation, plus la précision augmente : avec un catalogue de 100 étoiles, la position est spécifique à 1,3 unité astronomique près, et la vitesse à 0,7 kilomètre/seconde. Les étoiles binaires représenteraient une difficulté, car elles fausseraient les calculs : il faudrait soit modéliser leurs spécificités, soit les supprimer du catalogue en se reposant exclusivement sur les étoiles seules en grand nombre.
« Cette étude est principalement conceptuelle », rappelle l’auteur, étant donné que les voyages interstellaires sont de toute façon loin d’être envisageables, à court ou moyen terme. Cela reste toutefois un axe de recherche plus concret et proche de nous que les travaux sur le voyage à la vitesse de la lumière ou supraluminique — qui restent de l’ordre de la physique théorique là où les systèmes de navigation pourront trouver une utilité certaine dans l’exploration spatiale même inhabitée.
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