Face à la sixième extinction, certaines espèces pourraient disparaitre avant même que nous les connaissions. Ce travail de recherche entend résoudre ce problème en identifiant des régions et des groupes d’espèces où concentrer les enquêtes.

« Selon les estimations les plus prudentes, seuls 13 à 18 % de toutes les espèces vivantes sont connues à ce jour, mais ce chiffre pourrait être aussi bas que 1,5 % », expliquent deux chercheurs de l’université de Yale, dans une étude parue le 22 mars 2021 dans Nature. Ils sont à l’origine d’une carte de la vie terrestre, et plus précisément de la vie qui est nous est encore inconnue.

Leur travail de recherche repose sur la modélisation des découvertes passées de 32 000 espèces, et leurs attributs, afin d’extrapoler un modèle des potentielles découvertes futures. C’est ainsi qu’ils ont pu aboutir à une carte d’espèces non encore découvertes dans plusieurs groupes de vertébrés (plus particulièrement, mammifères et amphibiens).

De nouvelles découvertes possibles au Brésil, en Indonésie, à Madagascar, en Colombie…

Les « chances d’être découverts » varient énormément d’une espèce à l’autre. Des animaux de grande taille, situés dans de vastes aires de répartition géographique où il y a des zones très peuplées, sont plus susceptibles d’avoir déjà été découverts. Des animaux de petite taille, dans une aire de répartition plus restreinte, peu peuplée et difficilement accessible, ont plus probablement échappé à la détection pour l’instant.

Carte des régions où il y a le plus d'espèces inconnues à découvrir. // Source : Nature Ecology & Evolution, 2021, Moura/Jetz

Carte des régions où il y a le plus d'espèces inconnues à découvrir.

Source : Nature Ecology & Evolution, 2021, Moura/Jetz

Les nouvelles découvertes d’animaux appartenant à la première catégorie citée se feront plus rares dans le futur ; là où les animaux de la deuxième catégorie restent à découvrir. « Nous avons tendance à découvrir d’abord ce qui est ‘évident’ et ensuite ce qui est ‘obscur’ », clarifie Mario Moura, l’un des auteurs, sur le site de Yale. L’Émeu d’Australie, par exemple, a été découvert dès 1790 alors même que les enquêtes taxonomiques étaient peu actives sur place à l’époque ; là où la toute petite grenouille Brachycephalus guarani — pourtant vivement orangée — n’a été découverte qu’en 2012 au Brésil.

La carte établie par ces chercheurs montre qu’un quart des nouvelles espèces à identifier sont particulièrement concentrées au Brésil, en Indonésie, à Madagascar et en Colombie. Cette concentration s’explique par la présence de larges forêts tropicales humides dans ces régions.

Sortir de l’inconnu pour faire face à la sixième extinction

Pourquoi cartographier l’inconnu plutôt que le connu ? Pour les auteurs, cette démarche s’avère essentiellement face à la sixième extinction de masse provoquée en majeure partie par les activités humaines. Or, on ne peut pas protéger ce que l’on ne connait pas.

« Au rythme actuel des changements environnementaux à l’échelle mondiale, il ne fait aucun doute que de nombreuses espèces vont s’éteindre avant même que nous ayons appris leur existence et que nous ayons eu la chance de réfléchir à leur sort », commente Walter Jetz, l’autre auteur derrière ce travail de recherche. Il estime « qu’une telle ignorance est inexcusable, et nous devons aux générations futures de combler rapidement ces lacunes dans nos connaissances ».

« Améliorer la conservation de la biodiversité dans le monde entier »

Les deux auteurs proposent de ne pas forcément réfléchir à combien d’espèces demeurent inconnues, mais où elles peuvent bien être et à quels groupes elles peuvent appartenir. Ensuite, bien que leur cartographie ne relève que d’une projection forcément inexacte, ils estiment qu’il s’agit maintenant de débloquer des fonds pour procéder à des enquêtes dans ces régions, afin de référencer ces espèces.

Dans de nombreuses approches de la conservation, la force de travail est dirigée sur les espèces connues, « de sorte que les espèces inconnues sont généralement exclues de la planification, de la gestion et de la prise de décision en matière de conservation », relève Mario Moura. Trouver les « pièces manquantes du puzzle de la biodiversité de la Terre » apparait donc crucial pour « améliorer la conservation de la biodiversité dans le monde entier ».

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