Les humains appartiennent à l’espèce des primates, mais un certain nombre de caractéristiques nous différencient des autres hominidés. C’est le cas pour la taille de notre cerveau, notamment. Celui des humains est bien plus gros. Peut-on expliquer cette différence ? Une étude parue dans Cell, le 24 mars 2021, apporte des éléments de réponse sur un plan moléculaire et génétique, au stade initial du développement cérébral.
Pour ce travail de recherche, les scientifiques ont utilisé des organoïdes, des tissus cérébraux cultivés in vitro à partir de cellules souches embryonnaires. Ils ont comparé des organoïdes d’humains, de gorilles et de chimpanzés, et il se trouve que les organoïdes d’humains sont devenus bien plus gros que ceux des autres hominidés. Les scientifiques ont alors pu approfondir ce processus.
La neurogenèse est plus longue chez les humains
Le système nerveux central provient du développement des cellules souches neurales. Ces dernières sont des progénitrices neurales, cela veut dire qu’elles se divisent pour générer les neurones. Lors du stade initial de formation du cerveau, les cellules souches neurales ont une forme cylindrique, ce qui facilite leur division en nouvelles cellules sœurs. Lors de cette étape, elles se multiplient, et plus elle se multiplient, plus cela donnera de neurones. On appelle ça la neurogenèse.
Au fil de ce processus, les cellules changent de forme à mesure qu’elles arrivent à maturité, ce qui ralentit pas à pas leur reproduction. Cela signifie que la durée de la neurogenèse a un impact sur le nombre initial de neurones qui en résultent, et donc sur la taille du cerveau. Chez les souris, cela prend quelques heures. Chez les hominidés, cela prend plusieurs jours. Plus précisément, comme le montrent les auteurs de l’étude parue ce 24 mars dans Cell, cela prend 5 jours chez les gorilles et les chimpanzés, mais chez les humains, cela prend plus de temps encore. Environ une semaine, voire davantage.
« Nous avons découvert qu’une modification différée de la forme des cellules dans le cerveau primitif suffit à changer le cours du développement, en contribuant à déterminer le nombre de neurones qui sont fabriqués. Il est remarquable qu’un changement évolutif relativement simple de la forme des cellules puisse avoir des conséquences majeures sur l’évolution du cerveau », commente Madeline Lancaster, l’une des autrices de cette recherche, sur le site de UK Research and Innovation.
Résumons : la neurogenèse prend davantage de temps chez les humains, alors ce développement plus long conduit à un cerveau plus gros. Mais, dans ce cas, d’où provient cette maturation différée des cellules ?
Le gène ZEB2, clé de voute de nos différences cérébrales ?
Le gène ZEB2 constitue un « régulateur » dans le processus de neurogenèse, expliquent les scientifiques. Son rôle est de pousser les cellules souches neurales à changer de forme. La façon dont ce gène s’exprime a donc un impact sur la rapidité du processus : plus le gène s’exprime fortement, plus les cellules sont poussées à changer rapidement de forme et donc plus la neurogenèse va vite (et rappelez-vous : plus elle va vite, moins le cerveau est gros). Or, le séquençage produit par les auteurs de l’étude montre que ZEB2 s’exprime davantage chez les gorilles/chimpanzés que chez les humains.
Pour confirmer ce résultat, les scientifiques ont conduit une expérience visant à renforcer le gène ZEB2 chez les organoïdes humains, ce qui leur a permis d’observer qu’ils se développaient alors plus vite et finissaient moins gros que les organoïdes humains non modifiés. En revanche, un organoïde de gorille où le gène ZEB2 a été inhibé (affaibli) a terminé avec une taille proche de celle d’un organoïde humain.
Les scientifiques à l’origine de cette étude ont la sensation d’avoir mis le doigt sur la clé de voute du développement cérébral humain à son stade précoce. « Cette étude fournit un premier aperçu des différences entre le cerveau humain en développement et celui de nos plus proches parents vivants, les autres grands singes », affirme Madeline Lancaster, ajoutant avoir l’impression que « nous avons vraiment appris quelque chose de fondamental sur les questions qui m’intéressent depuis aussi longtemps que je me souvienne : ce qui fait de nous des êtres humains. »
Il faut conclure ce travail de recherche en rappelant, comme le font d’ailleurs les auteurs, que les organoïdes constituent un modèle de tissus cérébraux humains, « et, comme tous les modèles, ne reproduisent pas entièrement les cerveaux réels, en particulier les fonctions cérébrales matures ». Il peut donc perdurer des points aveugles dans cette étude.
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