« Des modèles montraient que nous allons flamber en février. Nous avons eu raison de ne pas confiner la France au mois de janvier parce qu’il n’y a pas eu l’explosion qui était prévue par tous les modèles », a affirmé Emmanuel Macron, le jeudi 26 mars 2021.
Cette déclaration n’est pas tout à fait vraie, et relève dans tous les cas d’une pure interprétation politique, dénuée de tout égard pour la réalité. Même si l’on fait fi des déclarations télévisées et que l’on se concentre sur les modélisations scientifiques publiées, la plupart des modèles prédisaient le pic pour mars (fin mars en général) et non en février.
Par ailleurs, la communication présidentielle de ces derniers jours autour d’un Emmanuel Macron qui serait un « Président épidémiologiste », se passant volontiers de l’avis des scientifiques pour prendre ses décisions, pose un épineux problème. Et cette déclaration du 26 mars en est la preuve.
Au préalable, il faut relever que la survenance d’une troisième vague à la fin de l’hiver était une possibilité envisageable depuis plusieurs mois. En avril 2020 déjà, des épidémiologistes de l’université du Minnesota avaient dressé plusieurs scénarios possibles des « vagues » épidémiques. Le premier d’entre eux supposait des « pics et des creux » : ce scénario estimait que la deuxième vague aurait lieu à la rentrée 2020, et qu’une troisième adviendrait à la fin de l’hiver 2021 (en ce moment) d’une hauteur relativement équivalente à la deuxième vague — les variants n’étaient pas connus à l’époque de cette étude. Il se trouve que la France a suivi ce schéma.
Ensuite, si l’on se concentre sur les scénarios qui ont été établis en ce début 2021, les projections épidémiologiques n’envisageaient pas un pic en février, mais bien en mars. Il se trouve simplement qu’un pic n’advient pas du jour au lendemain, élément visiblement gommé de l’équation dans le discours de l’exécutif. En plus des notes du Conseil scientifique, ou encore des déclarations d’épidémiologistes notables, prenons un exemple particulièrement précis et édifiant dans les publications.
Ce que montraient les modèles
À la mi-février 2021, nous avions publié un article dédié à une solide étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Les épidémiologistes y identifiaient plusieurs projections quant à l’impact du variant anglais sur la progression de l’épidémie. Nous écrivions, le 17 février, au sujet de ce travail de recherche : « l’Inserm s’inquiète de la possibilité d’une troisième vague qui pourrait survenir au printemps prochain, fin mars, si le variant anglais devient majoritaire ».
L’étude épidémiologique dressait en effet le constat selon lequel, en présence d’un statu quo trop long dans les mesures, la situation viendrait à s’aggraver, entrainant davantage d’hospitalisations. Les confinements régionalisés n’ont eu lieu que début mars, soit un statu quo de plus de 3 semaines après ce constat.
La variable « variant anglais »
Revenons ensuite sur un autre aspect de l’étude : le variant anglais. Selon l’étude épidémiologique de l’Inserm, la troisième vague surviendrait de manière accentuée dès lors que le variant anglais deviendrait « majoritaire ». Or, le jeudi 25 février au soir, le Premier ministre Jean Castex livrait l’observation suivante : le variant anglais constituait désormais 50 % des cas positifs et, reprenons les mots de Jean Castex, risquait de causer une « nouvelle flambée épidémique ». En clair, le variant anglais était justement en passe de devenir majoritaire.
L’Inserm relevait par ailleurs dans son étude que l’atténuation provoquée par la vaccination ne pourrait faire effet qu’à partir de courant avril. Dans l’ensemble, on savait donc, très tôt dans l’année, qu’il y aurait une période de transition particulièrement sensible de la mi-février à la mi-avril. Or, contrairement à ce que le laisse entendre Emmanuel Macron, l’utilité épidémiologique d’un confinement n’est pas là pour servir de pansement une fois le pic en cours ou sur le point d’advenir : les expériences de 2020 ont montré qu’il peut et doit servir à éviter un pic.
« Nous constatons que plus les interventions gouvernementales sont fortes à un stade précoce, plus elles sont efficaces pour ralentir ou inverser le taux de croissance des décès », écrivaient les épidémiologistes à l’origine d’une étude parue en mai 2020 sur l’efficacité des confinements. En épidémiologie, il y a ce postulat vérifié par l’expérience qu’un décalage existe toujours entre l’augmentation du nombre de cas et l’augmentation du nombre de réanimations et de décès ; ce décalage doit être pris en compte dans les mesures de freinage.
De fait, confiner est une décision qui prend son intérêt lorsqu’elle est prise tôt. C’est aussi ce que disait le Conseil scientifique dans une note du 29 janvier 2021, expliquant que « un confinement précoce permet de gagner du temps à un moment critique », et recommandant alors un confinement strict de 4 semaines en février pour éviter un pic en mars, freiner la pénétration du variant, réduire les contaminations.
Ainsi, le « temps gagné » mis en avant par l’exécutif pour repousser ce type de mesures est en totale contradiction avec la réalité scientifique ; réalité qui n’a pas été entendue et qui est aujourd’hui déformée. Décryptons ce dernier point, de la plus haute importance.
Emmanuel Macron n’est pas un « Président épidémiologiste »
L’inadéquation entre le discours d’Emmanuel Macron et la réalité des projections épidémiologiques incarne un problème peut-être bien plus grave, qui se reflète actuellement dans la communication étatique et dont il importe de parler. Le gouvernement ne peut pas, en situation pandémique, se passer à ce point de l’avis des scientifiques. Le gouvernement et le Président ne peuvent encore moins s’y substituer, s’arrogeant la figure scientifique du savoir.
« Le président est devenu épidémiologiste », lance dans une boutade l’entourage d’Emmanuel Macron, d’après les propos recueillis par Le Monde. Non, il ne l’est pas et il ne le sera jamais, à moins de suivre les 8 années d’études, et les formations postdoctorales ultraspécialisées, que poursuivent les chercheurs et chercheuses travaillant dans ce domaine, comme le relève si bien la docteure Alexandra Gros. « Un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie », renchérit le ministre de l’Éducation nationale dans l’article. Le fait est pourtant qu’épidémiologiste et immunologue sont deux disciplines bien distinctes, et que l’immunologie relève à son tour d’un domaine rempli de spécialités ; tout scientifique connait bien cette distinction. Il faudrait donc ajouter une dizaine d’années de travail et d’études en plus à la dizaine d’années à accomplir pour être épidémiologiste.
Si nos commentaires sur l’idée d’un « Président épidémiologiste » peuvent dégager un soupçon d’ironie, il n’en demeure pas moins que nous nous reposons-là sur des problématiques factuelles. Le discours politique ne peut légitimement s’approprier la légitimité scientifique ; de même que les décisions de l’exécutif au regard de la crise sanitaire doivent être à l’écoute des avis scientifiques, et au moins ne pas les déformer pour justifier ses choix politiques.
Les faits sont assez clairs : l’exécutif a fait le choix, début 2021, de ne pas suivre les recommandations scientifiques, alors que de nombreuses modélisations pointaient la possibilité d’un pic fin mars 2021. Ce pic est bel et bien advenu fin mars 2021.
Il semblerait notamment que l’exécutif, s’arrogeant l’analyse scientifique, n’ait pas tenu compte du décalage cité précédemment — et bien connu en épidémiologie (un comble) — entre le début d’une vague, la progression exponentielle et le pic.
Bien évidemment, il ne s’agit pas ici de dire que la science doit piloter toutes les décisions, lesquelles ont des versants sociaux, psychologiques et économiques qui ont tous un impact. Respecter la science et s’y fier à nouveau serait toutefois nécessaire plus que jamais pour sauver des vies, permettre au pays de revivre et, comme le relevait le Conseil scientifique, cela permettrait de bâtir une stratégie cohérente recréant de la confiance.
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