Impossible de s’affranchir de la pesanteur, même pour si les astronautes, cela devient presque une réalité à bord de l’ISS. Hervé Caps, professeur de physique à l’Université de Liège, explore dans The Conversation ce qui se passerait si la gravité disparaissait.

Un rêve. Toujours le même. Dans l’imaginaire, avec Icare ou les super héros de séries fantastiques. Dans la vie réelle, pour les sauteurs à la perche, pilotes d’avion ou spationautes. Ce rêve, voler, s’extraire de cette force de pesanteur qui, implacablement, nous colle au sol, nous garde confinés à la surface de la Terre. S’affranchir de la pesanteur, quelle liberté ce serait là !

Pour les astronautes, ce rêve est presque réalité, grâce à la Station Spatiale Internationale, vers laquelle Thomas Pesquet, Megan McArthur, Shane Kimbrough et Akihiko Hoshide décollent ce jeudi 22 avril 2021. Dans ce vaisseau spatial, tout semble flotter, comme enfin libéré de son poids.

La gravité terrestre a-t-elle pour seul effet de nous plaquer au sol ?

Pour répondre à cette question, il faut noter que l’attraction gravifique agit sur la masse des objets, quels qu’ils soient. Si nous regardons une bille chuter dans l’air, il nous faut imaginer que chaque petit morceau de la bille est attiré vers le centre de la Terre. La force gravifique s’applique sur l’ensemble de la bille, sur son volume. Elle agit de la même manière sur les gaz composant notre air environnant, créant ainsi notre atmosphère protectrice. Sans gravité, pas d’atmosphère, et sans doute pas de vie.

Abordons les choses sous l’angle de la physique. Le mouvement de chaque objet (on parle de corps) dépend des forces qui agissent sur lui. Comme elle s’impose à tout corps ayant une masse, la force de pesanteur se retrouve dans de très nombreux phénomènes de notre quotidien, si ce n’est dans tous. Retirer cette force reviendrait à inhiber les phénomènes dont elle est à l’origine. Nous avons déjà cité l’existence de notre atmosphère. Il en sera tout autant de la poussée d’Archimède. Existe-t-elle dans l’espace ?

En raison de la pesanteur, la pression dans un fluide (air, eau) augmente avec la profondeur. De ce fait, si l’on plonge un objet dans de l’eau, la pression qu’il subira en dessous de lui sera supérieure à celle au-dessus. Cette différence fait que l’objet se retrouve poussé vers le haut. Si sa masse volumique est inférieure à celle de l’eau, cette poussée d’Archimède aura pour conséquence de le faire remonter à la surface de l’eau. Il flotte. En l’absence de gravité, plus de flottaison… et plus d’objets qui coulent non plus ! Plus de masses d’air chaud qui montent dans l’air plus froid et avec elles, plus de montgolfières, plus de chauffage avec des radiateurs, plus de combustion (bougie, feu, etc.) entretenue par le renouvellement de l’air environnant sans cesse chauffé, plus d’eau qui bout en laissant s’échapper des bulles de gaz vers la surface, plus de courants océaniques, plus rien de tout cela.

Toutes ces suppositions, et bien d’autres font l’objet d’expériences scientifiques. Le but est de déterminer le rôle joué par la pesanteur dans tel ou tel phénomène. Dans ces expériences, les scientifiques voient la pesanteur comme une force parmi d’autres, que l’on peut faire varier : un peu comme si l’on poussait plus ou moins fort sur un objet.

Le problème est qu’il est impossible de s’affranchir de la pesanteur. Plusieurs moyens ont donc été créés pour simuler son absence : des fusées-sondes, des tours à chute libre, des vols paraboliques, la Station spatiale internationale (ISS). Dans toutes ces plates-formes expérimentales, l’objectif est de laisser « tomber » l’expérience, laboratoire compris, afin d’annuler le poids de l’ensemble. La durée pendant laquelle cette situation d’apparente apesanteur perdure dépend directement du temps pendant lequel cette « chute » peut être maintenue : de 10 secondes dans une tour à chute libre, à plusieurs mois dans l’ISS.

Quelles expériences peut-on faire en apesanteur ?

L’apesanteur permet d’étudier des objets en les faisant flotter en l’air sans les toucher. Ceci est particulièrement adapté aux cas où l’objet en question ne peut justement pas être touché, parce qu’il est chargé d’électricité par exemple.

Tout comme la gravité, la force électrique agit sur le volume des corps. Pour les électrons, qui sont très légers, elle domine la gravité. Par contre, pour des objets plus gros comme les gouttes d’eau, ce n’est plus le cas. Or, des gouttes chargées électriquement, on en retrouve aussi bien dans l’industrie (sprays de métaux et de peintures) qu’en recherche fondamentale (gaz de gouttes chargées électriquement).

Au quotidien, c’est dans les nuages que l’on retrouve des gouttes d’eau chargées d’électricité. Cette électricité est à l’origine des éclairs et de la foudre. Cependant, le mécanisme selon lequel les gouttes se chargent ainsi que les interactions qu’elles subissent (collisions, fusions, brisures…) sont relativement mal compris. En réalisant des expériences en apesanteur, il devient possible de faire interagir des gouttes et d’observer leur dynamique pendant plusieurs secondes, sans les toucher et sans qu’elles ne soient perturbées. Il est également possible d’étudier l’influence de la charge électrique sur la taille des gouttes de pluie.

Gouttes de pluie. // Source : Pexels/Markus Spiske

Gouttes de pluie.

Source : Pexels/Markus Spiske

Dans certaines situations, il est utile de réaliser des expériences en apesanteur afin de mettre en évidence une force de moindre importance que la gravité.

L’apesanteur pour révéler la capillarité

Avec son action sur tout le volume des corps, la gravité agit sur de longues distances : la Terre est attirée par le Soleil, pourtant très lointain. Au contraire, le champ d’action de la force qui est responsable de la forme sphérique des gouttes de pluie est limité à la surface des liquides. Cette force s’appelle la tension de surface. Elle ne se manifeste qu’à la frontière entre deux fluides : l’air et l’eau, par exemple. On peut remarquer son existence dans certaines situations précises. Par exemple, il faut souffler pour produire une bulle de savon. Le peu d’énergie que cet effort nous coûte a servi à contrecarrer la tension de surface.

Pour la plupart des objets, la gravité domine la tension de surface. Pour inverser la tendance, il faut considérer des objets liquides de petite taille : des gouttes d’eau, par exemple. Dans ce cas, la tension de surface est capable d’imposer la forme sphérique à la goutte, même si elle est déposée sur une table. Malheureusement, si le volume de la goutte augmente un peu (quelque 10 mm3 suffisent), la gravité reprend le dessus et la goutte s’aplatit, pour finalement devenir une flaque.

Afin de profiter au maximum de l’effet de la tension de surface, plusieurs études en apesanteur portent sur les mousses de savon. Avec leurs centaines de bulles, les mousses présentent une grande surface liquide et maximisent l’effet de la tension de surface. Sous l’effet de la gravité, le liquide présent dans la mousse a tendance à descendre et la mousse s’assèche, pour finalement mourir. En apesanteur, ce phénomène disparaît et il est possible d’étudier des mousses humides. Les caractéristiques (stabilité, résistance mécanique, etc.) de ces mousses humides permettent de mieux comprendre la physico-chimie de ces matériaux particuliers. Les résultats de ces recherches fournissent des informations utiles dans de nombreux domaines industriels (par exemple pour le développement de matériaux légers et résistants) et en science fondamentale (écoulements fluides confinés).

Mousse de savon. // Source : Pexels/Sora Shimazaki

Mousse de savon.

Source : Pexels/Sora Shimazaki

L’exploration spatiale, à moins de 400 kilomètres du sol

En essayant d’occulter l’action de la gravité, les recherches en microgravité et en apesanteur font de la conquête spatiale un moyen, et non un but. Elles complètent les programmes visant à comprendre l’immensité de l’univers, et offrent l’opportunité d’aborder les vols embarqués avec une meilleure connaissance de l’environnement dans lequel les spationautes seraient plongés. Tous ces résultats sont pourtant obtenus en restant, finalement, fort proche de la surface de la Terre : un vol parabolique se déroule à environ 10 kilomètres d’altitude et l’ISS ne se trouve à environ « qu’à » 400 kilomètres de la Terre.The Conversation

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Hervé Caps, Professor of Physics, Director of Science Museum, Université de Liège

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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