GW190521. Derrière ce nom si peu attirant se cache un événement d’une intensité rare : une fusion de trous noirs. Et pas n’importe laquelle, celle qui a mené à la plus grosse onde gravitationnelle jamais détectée par la collaboration LIGO/Virgo. Le phénomène est étudié de près depuis le premier enregistrement de l’onde en mai 2019, et une étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters en janvier 2021 assure que la première analyse était fausse, notamment concernant la taille des deux trous noirs.
Les deux auteurs issus du Max Planck Institute en Allemagne, Alexander Nitz et Collin Capano, ont voulu réétudier le signal reçu il y a deux ans et ils estiment désormais que les trous noirs impliqués font respectivement 16 et 170 masses solaires. Un résultat complètement différent de la première analyse qui pensait avoir affaire à des trous noirs de 66 et 85 masses solaires. « Nous avons découvert que les masses des trous noirs n’avaient pas forcément à être dans cette région interdite, écrit Alexander Nitz. Mais il y a une autre manière d’interpréter les données. »
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Qu’est-ce qu’un trou noir ?Une première fusion entre deux masses très différentes
Loin d’être anodin, le débat sur les masses des trous noirs est capital pour les spécialistes de ces étranges objets, car si Nitz et Capano ont raison, ce serait la première fusion observée entre deux corps de masse très différente. Pas de quoi bouleverser nos connaissances sur les trous noirs, mais ces objets restent encore tellement mystérieux que le moindre événement est à étudier pour savoir ce qu’il se passe exactement dans notre galaxie.
« C’est un sujet très important, assure Nelson Christensen, chercheur au laboratoire Artemis à Nice et qui a coordonné l’étude de la collaboration LIGO/Virgo. Nous essayons de saisir la diversité des événements pour savoir ce qui se passe dans le cosmos. Cela a des implications sur les formations de galaxies et l’histoire de l’univers. »
D’ailleurs, la découverte de GW190521 avait fait beaucoup de bruit en son temps. D’abord, à cause de la violence de la collision, un record jamais observé jusque-là. Mais aussi parce que le trou noir nouvellement créé avait une masse de 142 fois celle du Soleil, ce qui en fait un trou noir de type intermédiaire. Cette catégorie n’est pas encore très bien comprise et elle est difficile à identifier clairement. Ils sont trop gros pour être des trous noirs nés d’une étoile, mais aussi minuscules par rapport aux trous noirs supermassifs, comme celui au centre de la Voie lactée qui fait plus de 4 millions de masses solaires.
Si des trous noirs intermédiaires peuvent exister et se former grâce à la fusion d’autres trous noirs, cela pourrait expliquer les différences énormes entre ces corps. Mais cette découverte était accompagnée d’un problème : les masses des trous noirs en question. La théorie veut qu’une étoile ne puisse pas donner naissance à un trou noir entre 65 et 120 masses solaires. Or, avec des objets de 66 et 85 masses solaires, on tombe pile dans cette catégorie interdite ! Plusieurs théories avaient alors été avancées pour expliquer cette anomalie:
- Il s’agirait de deux trous noirs déjà issus d’une fusion préalable, donc des trous noirs de seconde génération, ce qui impliquerait qu’il y avait au départ au moins quatre étoiles qui se seraient effondrées puis auraient fusionné.
- La création des trous noirs a eu lieu dans un cluster d’étoiles, donc l’étoile qui s’est effondrée a entraîné dans sa chute l’une de ses voisines, créant un trou noir disproportionné.
- Les trous noirs sont nés près du centre d’une galaxie, là où la matière est suffisamment abondante pour leur permettre de se nourrir au-delà du raisonnable et donc de prendre un poids considérable.
«Ce qui nous manque pour trouver une solution, considère Nelson Christensen, ce sont avant tout les données. » Nitz et Capano eux, ont contourné le problème. Ils pensent que les trous noirs en question sont de 16 et de 170 masses solaires. Première chose à noter : le trou noir final sera donc plus petit que l’un de ceux impliqués dans la fusion. Jusque là, rien de forcément anormal puisque ce type de rencontre ne se fait pas toujours en douceur et qu’une grande quantité de matière est éjectée.
La faute au prior
Mais comment à partir des mêmes données les chercheurs ont-ils pu arriver à un résultat si différent ? La réponse tient en un mot : prior. Ce terme anglais se traduirait par a priori, mais il fait référence à une technique très utilisée dans la statistique bayésienne, qui consiste à fonder l’interprétation de l’information en fonction des connaissances déjà acquises. En d’autres termes, quand les données ou les observations sont insuffisantes pour affirmer un résultat, le scientifique va choisir la solution qui est la plus probable selon ce qui a déjà été observé.
Le prior de l’étude de LIGO/Virgo était le suivant : les fusions de trous noirs ont lieu entre deux objets de masse comparable. C’est ce qui a été observé dans tous les autres cas et donc ce qui a été privilégié par les auteurs. Mais les chercheurs du Max Planck Institute ont favorisé un autre prior : les trous noirs impliqués dans une fusion ne peuvent pas être entre 65 et 120 masses solaires. Ils ont donc lu le signal autrement et en ont déduit un résultat complètement différent. « C’est une vision intéressante, souligne Nelson Christensen, mais qui est en grande partie due au prior qu’ils ont utilisé. Le signal lui-même ne dure que 0,2 seconde avec plusieurs oscillations, c’est très difficile d’en tirer quelque chose de plus précis. »
Cette histoire de prior a déjà soulevé de nombreux débats sur la pertinence des analyses des ondes gravitationnelles. Déjà fin 2020, un papier publié par des chercheurs suisses et italiens a conclu que cette technique avait une influence capitale. Ils recommandaient de varier les scénarios pour comparer les résultats, ce qui est justement mis en pratique avec l’étude de Nitz et Capano.
« Le problème avec leur analyse, résume Nelson Christensen, c‘est qu’une telle différence de masses entre deux trous noirs n’a jamais été observée avec certitude lors d’une fusion. Mais ce n’est pas pour ça que ça n’existe pas ! » La solution : trouver d’autres fusions pour en savoir plus. Et c’est justement le travail de LIGO/Virgo qui, avec des détecteurs d’ondes gravitationnelles toujours plus sensibles, apporte chaque jour des clés supplémentaires.
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