Les tardigrades font peut-être moins d’un millimètre, mais ils sont extrémophiles : dans les conditions les plus extrêmes, là où tant d’espèces mourraient, ils survivent. Que ce soit les températures extrêmes (du quasi-zéro absolu jusqu’à 150 degrés), les radiations, le vide spatial, les produits corrosifs, ils survivent. Leurs capacités exceptionnelles proviennent notamment d’un bouclier.
Mais jusqu’à quel point sont-ils indestructibles ? En 2019, une actualité avait fait le tour du monde : des tardigrades se sont écrasés sur la Lune. La mission spatiale israélienne Beresheet devait cette année-là déposer un atterrisseur à la surface de la Lune, et il contenait des milliers de tardigrades. Sauf que la mission s’est terminée en un crash. Toute la question était de savoir si les minuscules animaux ont pu survivre.
Il n’est pas impossible qu’ils aient survécu au vide spatial, car on sait qu’ils en sont capables. Mais ont-ils pu surmonter le crash lui-même ? Dans une étude parue le 11 mai 2021 dans Astrobiology, deux scientifiques se sont posé cette question. Et pour mettre les tardigrades à l’épreuve… ils les ont « tiré » dans un pistolet.
Ont-ils survécu ?
L’objectif de l’expérience était que les tardigrades soient projetés à la même vitesse qu’une balle de pistolet, et que l’impact sur une surface soit donc équivalent à celle d’un crash brutal. Pour ce faire, ils ont chargé un pistolet avec plusieurs tardigrades de l’espèce Hypsibius dujardini. Dans ce type de pistolet, on charge l’appareil avec de la poudre à canon, puis avec un gaz léger (de l’hydrogène, en l’occurrence) que l’on comprime lors d’une pressurisation rapide. Le projectile peut atteindre plusieurs kilomètres / seconde.
Avant toute chose, les tardigrades ont été gelés par les scientifiques, afin qu’ils se placent dans une forme d’hibernation et plus précisément une cryptobiose qui réduit considérablement leur métabolisme. C’est grâce à ce mécanisme qu’un tardigrade a pu être réveillé malgré une congélation à -20 degrés pendant trente ans. Dans cet état, les tardigrades sont à 0.1% de leur activité métabolique habituelle et c’est notamment à ce moment que le « bouclier » de ces animaux se déclenche.
Ensuite, les scientifiques ont placé les tardigrades dans une balle creuse en nylon, puis ils ont tiré avec le pistolet à des vitesses croissantes, sur une cible faite de sable, quelques mètres plus loin. Résultat : les tardigrades survivent à des impacts allant jusqu’à environ 900 mètres par seconde (soit 3 000 km/h) et à des pressions lors du choc jusqu’à 1,14 gigapascal. Au-delà de ces chiffres, ces animaux ne survivent pas à l’impact. « Dans les tirs à plus grande vitesse, seuls des fragments de tardigrades ont été récupérés », écrivent les auteurs.
Il faut relever, à ce sujet, qu’une étude se terminant par la mort d’êtres vivants — aussi solides soient-ils à l’origine –, après avoir été transformés en projectile de pistolets, a de quoi générer un questionnement éthique.
En tout cas, dans des recherches futures, les auteurs veulent déterminer comment le fait d’avoir été projetés à une telle vitesse affecte les tardigrades survivants.
Quid de la Lune ?
Les deux auteurs de l’étude parue dans Astrobiology en déduisent que les tardigrades n’ont pas survécu à l’impact de Beresheet sur la Lune. L’atterrisseur s’est probablement crashé à moins de 900 mètres/seconde, mais les auteurs relèvent que la pression du choc, dans le module contenant les tardigrades, était supérieure à 1,14 gigapascal. « Nous pouvons confirmer qu’ils n’ont pas survécu », affirment les auteurs dans Science. Une conclusion à nuancer légèrement, tant que personne ne peut réellement vérifier sur place.
Les deux scientifiques en profitent pour soulever à nouveau les questionnements sur la panspermie, une théorie suggérant que des organismes auraient pu arriver sur Terre par des météorites. Selon eux, les conclusions de cette étude montrent que la panspermie reste une possibilité, mais extrêmement difficile, notamment pour une arrivée sur Terre.
« Étant donné que les résultats obtenus ici suggèrent que les pressions de choc supérieures à 1,14 GPa tuent les tardigrades, il est probable que l’arrivée d’un tardigrade sur Terre, par exemple par le biais d’un impact de météorite, ne soit pas un moyen viable pour un transfert réussi, même pour ces organismes robustes », écrivent les chercheurs, tout en nuançant : « Il existe cependant d’autres endroits dans le système solaire où le matériel biologique, lors de son transfert, pourrait rencontrer de faibles pressions lors du choc ». Ils ajoutent par ailleurs que certaines parties d’une météorite pourraient connaitre un choc moindre, permettant à un organisme vivant éventuel d’y survivre.
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