C’est un projet « un peu fou », s’enthousiasme sur Twitter, Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué aux Transports. Mardi 18 mai, un A350 d’Air France a réalisé un vol Paris – Montréal avec un carburant à base d’huiles de cuisson usagées. L’événement est intéressant sur le plan technique, et hautement symbolique : c’est la première fois que la compagnie réalise un vol long courrier avec autant de carburant de ce type dans les réservoirs. Le ministre délégué a d’ailleurs salué cette réussite avec énormément de ferveur sur le réseau social à l’oiseau bleu.
Mais quel est le potentiel réel de ces carburants ?
Les biocarburants sont-ils écolos ?
L’impact environnemental des biocarburants est très variable, car il en existe de plusieurs sortes. Les plus utilisés dans le monde sont les biocarburants dits de première génération. Ils sont créés à partir de ressources qui pourraient sinon servir à alimenter des humains ou du bétail (blé, colza, maïs, huile de palme, etc.).
Leur gros défaut est donc qu’ils entraînent une concurrence des sols : des parcelles de terre qui pourraient servir à cultiver des aliments sont finalement dédiées à la culture de biocarburants, ce qui peut entrainer des hausses de prix sur certaines ressources alimentaires. Pour cette raison, l’Union Européenne a régulé l’usage de ces biocarburants de 1e génération.
Les biocarburants de deuxième génération sont crées à partir de déchets (pailles et autres résidus de culture, huiles de cuisson usagées, etc.). Leur profil est bien plus intéressant puisqu’ils sont élaborés à partir de ressources difficiles à utiliser autrement.
C’est d’ailleurs vers eux que semble désormais se tourner Total. Alors qu’en 2018, le groupe avait fait un tollé, en annonçant son projet d’importer 300 000 tonnes d’huile de palme pour alimenter sa bioraffinerie de La Mède, le géant de l’énergie a annoncé récemment qu’il projetait de produire des biocarburants aériens durables en 2024 à Grandpuits, et qu’ils seraient intégralement « produits à partir de déchets et résidus, issus de l’économie circulaire (graisses animales, huiles de cuisson usagées…) ». Ce sont aussi des produits de 2e génération qu’a fourni Total à Air France pour son vol Paris – Montréal : le biocarburant avait été produit à partir d’huiles de cuisson usagées.
Le développement des biocarburant de seconde génération doit cependant être soigneusement encadré car il peut entraîner des dérives. Ce rapport de l’ONG Transports et Environnement, montre en effet que l’Union Européenne ne collecte pas assez d’huiles usagées pour répondre à la demande sur ces produits : « Plus de la moitié des huiles usagées utilisées proviennent en réalité d’autres pays, notamment la Chine, mais aussi des Etats-Unis, de la Malaisie et de l’Indonésie. » Et cette tendance risque de se renforcer à mesure que la demande augmente.
Le problème, c’est qu’il est parfois rentable pour certains pays de vendre des huiles qui n’ont pas encore été utilisées, en les faisant passer pour usagées. Ce rapport donne quelques exemples de fraude du type qui se sont produites ces dernières années. Il serait donc utile de développer autant que possible, au niveau de la France et de l’Europe, des filières de collecte et de recyclage des huiles usagées, et de renforcer les contrôles sur les produits importés, pour vérifier qu’ils ne sont pas frauduleux.
Pourquoi le secteur aérien s’intéresse tant à l’huile de frite ?
Le bilan carbone est la grosse épine dans le pied de l’aérien. La quantité de gaz à effet de serre générés par ce secteur est élevée : en France en 2018, cela représentait 6,4 % des émissions. « Le plus inquiétant, c’est le fait que ce chiffre augmente très vite. Entre 1990 et 2018, les émissions de l’aérien ont augmenté de 71 % en France », alerte Agathe Bounfour, alors même que les avions sont plus économes d’année en année, par passager et kilomètre transporté. Plusieurs ONG d’envergure (WWF, Greenpeace) appellent donc à réduire les déplacements par ce biais.
Une des mesures phare de la Convention Citoyenne sur le Climat concernant l’aérien proposait d’ailleurs de stopper d’ici 2025 tous les vols intérieurs pour lesquels une alternative ferroviaire en moins de quatre heures existe : la proposition a été conservée dans la loi climat mais avec un seuil de 2h30. Le secteur aérien a donc besoin de montrer qu’il agit sur le sujet.
Et les biocarburants de 2e génération ont un gros avantage : ils peuvent être utilisés sur les appareils existants. « Ils sont compatibles avec les infrastructures et les moteurs actuels, au contraire d’autres technologies de rupture comme l’hydrogène, qui supposent une modification de ces éléments, et donc des coûts très importants, ainsi qu’un travail d’ingénierie préalable », explique ainsi Total interrogé par Ouest France.
Les biocarburants peuvent-ils rendre l’aérien écolo ?
Pour que les biocarburants puissent réduire plus significativement les émissions de gaz à effet de serre de l’aérien, il faut deux actions préalables :
- Développer une filière locale et bien contrôler les huiles lorsqu’elles sont importées pour empêcher les fraudes, comme on l’a vu
- Augmenter le ratio possible de biocarburant dans un plein. Si le ministre délégué des Transports indique qu’il est techniquement possible d’utiliser 50 % voire davantage de biocarburant pour un vol, pour l’heure les avions en utilisent généralement beaucoup moins (le Paris – Montréal n’en avait que 16 %)
Même si l’on parvient un jour à réaliser des trajets avec 100 % de biocarburants, il semble cependant difficile de déployer cette solution à très grande échelle, tant les volumes de production sont faibles. « La production mondiale de biokérosène ne devrait représenter que 1 à 3 milliards de litres d’ici 2025 », note un rapport de l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques. C’est à peine 1 % de ce que consomme le secteur aérien dans le monde. « Et l’aérien n’est pas le seul à s’intéresser aux biocarburants, le secteur routier compte également en utiliser », souligne Agathe Bounfour de Réseau Action Climat. Cette option ne pourra donc pas remplacer le carburant de toutes les filières, loin de là.
D’autres innovations technologiques telles que des avions à propulsion hybride, avec des formes plus aérodynamiques, voire des avions électriques, pourraient aider le secteur aérien à effectuer sa transition. Mais il reste encore de gros défis techniques à solutionner avant que ces innovations puissent servir au quotidien. Les avions électriques, par exemple, se heurtent pour l’heure à un obstacle de taille : la densité énergétique des batteries, bien moindre que celle du carburant. Un avion de type A320 qui utilise 30 tonnes de kérosène aurait par exemple besoin de 300 tonnes de batteries électriques pour décoller alors qu’il ne peut pas en transporter plus de 70.
Si elle veut être à la pointe d’une révolution de l’aviation, la France doit bien entendu poursuivre les recherches et les efforts sur toutes ces solutions, mais la plupart mettront dix ans, a minima, avant de pouvoir servir. Or il est indispensable de réduire les émissions carbone dès à présent. Pour cela, deux options existent :
- Renouveler les flottes d’avions : une solution qui a l’inconvénient d’être coûteuse, mais qui peut amener des baisses d’émissions substantielles
- Poursuivre la réduction du nombre de vols : un trajet en avion peut alourdir considérablement le bilan carbone annuel d’une personne, comme le montre très bien ce simulateur du WWF
L’État devra en tout cas mettre des politiques ambitieuses en place afin que les professionnels de l’aérien puissent se réorienter vers les organismes qui élaborent l’aviation de demain, ou dans des filières requérant des compétences similaires. Une transition complexe à réaliser mais qui sera indispensable, car l’aérien fait vivre beaucoup de monde en France : pas moins de 200 000 personnes travaillent dans le secteur.
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