L’ajout de membres robotiques peut-il modifier notre activité cérébrale dans la façon dont nous percevons notre corps ? C’est une question que des neuroscientifiques de l’University College London (ULC) ont voulu résoudre, au cours d’une expérience dont les résultats ont été publiés le 19 mai 2021 dans Science Robotics.
L’expérimentation repose sur un troisième pouce mécanique, conçu par la designer Dani Clode. Son objectif était de travailler sur une prothèse à des fins d’« augmentation », visant à ajouter quelque chose, et non à remplacer/réparer un membre. L’équipe de neuroscientifiques de l’UCL lui ont alors proposé d’utiliser ce doigt robotique pour leurs recherches.
« L’augmentation du corps est un domaine en pleine expansion visant à étendre nos capacités physiques, mais nous ne comprenons pas clairement comment notre cerveau peut s’y adapter », expliquent ces chercheurs. En étudiant des personnes utilisant ce troisième pouce, « nous avons cherché à répondre à des questions clés, à savoir si le cerveau humain peut supporter une partie supplémentaire du corps, et comment cette technologie pourrait avoir un impact sur notre cerveau ».
Le « troisième pouce »
L’équipe de neuroscientifiques a formé et suivi quelques dizaines de volontaires dans l’utilisation du « troisième pouce » de Dani Clode, pendant une semaine. La prothèse est installée sur la main droite, en opposition au véritable pouce. Des capteurs de pression sont fixés aux pieds, sous le gros orteil, ce qui permet de contrôler le membre prothétique grâce à des émetteurs-récepteurs sans fil attachés à la cheville et au poignet. Selon comment vous remuez l’orteil, vous pouvez orienter le pouce robotique dans différentes directions et refermer ou ouvrir la prise. D’après Dani Clode, il s’agit d’une mécanique assez proche de l’usage d’une pédale pour piloter une voiture ou pour jouer du piano.
Les volontaires devaient porter le troisième pouce pendant deux à six heures par jour, y compris chez eux, afin de le mobiliser pour des activités de vie quotidienne. Comme éplucher une banane, par exemple. L’entrainement en laboratoire consiste quant à lui à apprendre à coordonner le troisième pouce avec le reste de la main dans des activités réclamant de la dextérité — ramasser plusieurs balles, construire une tour avec des cubes en bois tout en ayant les yeux bandés, etc.
Pour constater d’éventuelles modifications importantes générées par cette « augmentation » technique, les neuroscientifiques ont constitué deux groupes : un groupe qui utilisait réellement le pouce robotique, et un groupe qui se voyait pourvu d’une version statique du pouce, simplement ajoutée à la main sans être utilisée comme un membre.
Il en résulte qu’en utilisant le troisième pouce comme un membre additionnel, « les gens modifiaient les mouvements naturels de leur main, et ont également signalé que le pouce robotisé leur donnait l’impression de faire partie de leur propre corps ». Mais le changement n’était apparemment pas que psychologique. Il s’est également reflété dans l’activité cérébrale.
Un changement léger dans l’activité cérébrale
L’équipe de neuroscientifiques a scanné par IRMf les participants, avant et après, l’usage quotidien du troisième pouce, en leur demandant de bouger leurs doigts individuellement à cette occasion. Les scientifiques ont alors pu constater de légers changements dans le cortex moteur.
Habituellement, l’activité cérébrale retranscrit une représentation différenciée de la main : chaque doigt induit un motif distinctif et repérable par rapport aux autres doigts. Après l’usage du troisième doigt, les chercheurs ont remarqué que les doigts adoptaient des motifs plus indistincts — les doigts provoquaient une activité cérébrale beaucoup plus similaire. Ce changement n’a eu lieu que dans la main utilisant le pouce robotique. Une semaine après, et l’abandon du troisième pouce, l’activité cérébrale était presque revenue à la normale, ce qui suggère un faible impact au long terme, tout du moins pour un usage court d’une telle prothèse additionnelle.
« L’évolution ne nous a pas préparés à utiliser une partie supplémentaire du corps, et nous avons découvert que, pour étendre nos capacités de manière nouvelle et inattendue, le cerveau devra adapter la représentation du corps biologique », expliquent les neuroscientifiques.
Ce type d’inventions pourrait avoir une vocation médicale intéressante pour les personnes qui ont perdu l’usage de certains membres. En revanche, pour les autres situations qui ne relèveraient que du simple ajout d’un membre robotique, la question de l’utilité réelle perdure. Car il n’est pas certain que de pouvoir éplucher une banane à une seule main change réellement le quotidien. Reste donc à savoir, aussi, comment ces technologies vont évoluer dans la décennie.
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