Il a fallu 4 jours entre son atterrissage et l’arrivée des premières photos. Pourquoi le rover chinois Zhurong a-t-il mis tant de temps à partager ses clichés de Mars ? La réponse tient à des contraintes techniques, mais aussi à la manière dont la Chine communique.

C’est peut-être l’habitude du rythme effréné de la communication spatiale américaine, mais pour les passionnés, l’attente fut longue entre l’arrivée annoncée de Zhurong sur Mars le 15 mai et les premières images. Quatre jours avant de découvrir le moindre petit pixel de la planète rouge vue pour la première fois par un rover qui n’est pas estampillé « USA ».

La Chine avait bien annoncé que tout allait bien et que son engin était arrivé à bon port, et il n’y avait aucune raison sérieuse d’en douter. Mais comme le veut la formule, une image vaut mille mots, et elle manquait.

Pourtant, ce délai inhabituel — selon les critères établis en grande partie par la Nasa — est explicable par des contraintes purement techniques. Pour ce qui est du rover lui-même, il dispose de deux antennes. La première, parabolique en bande X, l’autorise à communiquer directement avec la Terre, mais le débit est très lent, à peine 16 bits par seconde. C’est suffisant pour transmettre des données chiffrées comme des coordonnées, des informations pour dire qu’il est en bon état, mais pas d’image, même en basse résolution. La deuxième antenne fonctionne en ultra haute fréquence (UHF), le même type de technologie qui est utilisé pour les liaisons satellitaires, et qui autorise un débit beaucoup plus rapide. Problème, avec ces ondes, impossible de relier directement la Terre, il faut passer par un orbiteur.

Un seul orbiteur chinois, pas suffisant !

C’est ainsi que fonctionne Perseverance, mais avec une différence majeure : le rover américain a quatre orbiteurs au-dessus de sa tête qui aident à transmettre rapidement les informations jusqu’à la Terre. La Chine, elle, est toute nouvelle sur Mars et Zhurong ne dispose que de Tianwen-1, la sonde qui l’a posée au sol et qui reste en orbite autour de Mars.

Une problématique résumée le 16 mai par l’internaute @Kaynouky, un étudiant français passionné d’espace qui suit l’affaire de près sur Twitter :

« Les Chinois auraient pu conserver leur orbiteur en meilleure position, précise Kaynouky à Numerama, mais cela aurait nécessité une manœuvre supplémentaire difficile, et ils voulaient certainement se concentrer avant tout sur le rover lui-même, quitte à perdre un peu de temps. »

Les différentes orbites parcourues par Tianwen 1 au cours de sa mission. // Source : Wikimedia/CC/Kaynouky

Les différentes orbites parcourues par Tianwen 1 au cours de sa mission.

Source : Wikimedia/CC/Kaynouky

Au-delà du souci technique, la communication plus lente de la part de la Chine n’est pas forcément étonnante aux yeux de celles et ceux qui suivent ces actualités de près : « Ils aiment les images bien lisses, assure Kaynouky, une communication maîtrisée de bout en bout. »

« Il ne faut pas oublier que la Chine est une dictature, tranche Philippe Coué, chercheur indépendant, auteur de Jing & Chen la ballade des taïkonautes de Shenzhou-11 consacré à la mission chinoise de 2016. À ce titre, le gouvernement a la mainmise sur toute la communication et veut tout contrôler. »

Les spacegeeks détectives sur Weibo

Cette volonté de domination totale se heurte pourtant à l’existence des réseaux sociaux. Alors qu’avec ce type d’attitude, on pourrait s’attendre à ce que les annonces n’arrivent que par de laconiques communiqués bien officiels, la réalité est beaucoup plus complexe. Il n’y a qu’à voir le milieu des « spacegeeks » s’agiter sur Twitter autour des lancements et des annonces. Pour les amateurs en recherche d’information, le plus simple est de suivre des comptes comme celui de @Kaynouky, ou encore le vidéaste @ClosertoSpace, ou pour les anglophones @Cosmic_Penguin. Tous relaient leurs trouvailles sur les actualités du programme spatial chinois bien avant les annonces officielles.

« Bonjour Mars ! » // Source : CNSA

« Bonjour Mars ! »

Source : CNSA

« C’est très compliqué d’avoir des informations, révèle Kaynouky. On suit certains comptes Weibo (l’équivalent de Twitter en Chine) de journalistes sur place, ou des discussions sur l’application WeChat où se retrouvent plusieurs organisations du spatial chinois. » Sur ces comptes, pas forcément d’annonces officielles, mais des indices. Par exemple, la police locale qui annonce des fermetures de routes à proximité du pas de tir, ce qui pourrait signifier un lancement imminent. Ou encore un ingénieur anonyme qui poste un smiley encourageant, la mission a-t-elle été accomplie ? C’est un véritable travail de détective, qui reste aujourd’hui nécessaire pour suivre au plus près les actualités.

Contrairement à son homologue américain, l’agence spatiale chinoise (CNSA) n’a pas forcément vocation à communiquer. Elle laisse cette tâche aux agences de presse officielles comme Xinhua, qui produit un communiqué souvent assez pauvre en information. Communiqué repris ensuite mot pour mot par les autres médias chinois, avant que l’information ne circule jusqu’aux canaux occidentaux. Les médias réalisent parfois eux-mêmes des infographies, ou retouchent et embellissent des photos, qui sont ensuite reprises par les agences de presse ou la CNSA, si bien que pour le spectateur moyen, il est difficile de savoir de qui vient l’information au départ.

«Ils sont dans l’écriture d’un nouveau récit national »

Cet aspect un peu fouillis et austère contraste avec la mise en scène presque enfantine de Zhurong via Weibo. « Il parle à la première personne, il dit que Mars est joli, raconte Kaynouky. C’est assez étonnant ! »

«Ils ne savent pas communiquer, résume Philippe Coué. Il faut dire qu’il n’y a pas autant d’expérience que les Américains dans le domaine. Les dépêches officielles font parfois une vingtaine de lignes, mais avec juste une ou deux vraiment importantes. Et c’est difficile à décoder pour le lecteur non averti. »

Le manque d’expérience est couplé à une certaine prudence. Le programme spatial chinois récent a connu quelques échecs, comme le second vol de la Longue Marche 5 en 2017. En 2020, deux lancements ont également mal fini. Ce sont de mauvaises expériences qui font tache, alors que la Chine reste en manque de crédibilité dans le secteur spatial malgré ses succès retentissants sur la Lune, puis sur Mars désormais. On est à mille lieues de la culture de l’échec particulièrement mise en lumière par SpaceX qui filme tout, y compris ses tests les plus incertains !

Pourtant, d’après Kaynouky, la tendance pourrait être à l’amélioration : «Ils maîtrisent mieux leur technologie et sont plus sûrs d’eux. Ils pourraient donc faire davantage de directs pour leurs lancements. Même si c’est toujours assez imprévisible ! » Pour Philippe Coué, la Chine a tout intérêt à se développer de ce côté-là : «Ils sont dans l’écriture d’un nouveau récit national. Leur slogan diffusé partout pendant ces missions était ‘courir, rattraper, dépasser’. Ils sont dans une logique de compétition où ils cherchent à montrer leur domination. »

Concrètement, cela signifie qu’il faut s’attendre à davantage de photos de Zhurong dans les semaines à venir, mais aussi à de grandes avancées dans le spatial chinois. En lumière et dans l’ombre.

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