Surnommée « le sang des glaciers », les micro-algues qui peuplent les hautes altitudes et colorent la neige dans des nuances d’ocre et de rouge seraient des marqueurs du changement climatique.

Tous les ans depuis 2017, Éric Maréchal, directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire de physiologie cellulaire et végétale, se rend au Jardin du Lautaret. Dans ce centre de recherche perché à 2100 m entre le Col de Cerces et le Parc des Écrins, il étudie une algue microscopique qui a la particularité de colorer la neige en rouge.

À la tête d’un consortium appelé Alpalga, composé de chercheurs et chercheuses du CNRS, de l’INRAE, de Météo-France et de l’Université Grenobles Alpes, Éric Maréchal propose une approche systémique de la montagne, expliquant comment chaque micro-écosystème va en influencer un autre. Le premier rapport de recherche de l’équipe est paru le 7 juin. Éric Maréchal a détaillé à Numerama leurs observations.

D’où viennent ces neiges colorées de rouge ?

C’est la grande question que nous nous posons. Tous les ans, nous voyons se développer des neiges rouges dans les névés – ces accumulations de neige de fin de printemps qui se tassent et se conservent dans les endroits les plus frais. C’est vers fin juin-début juillet, que l’on observe parfois une pullulation d’algues qui va colorer la neige.

Cette dernière constitue un milieu très spécifique, comme l’eau de mer. Quand on prend de l’eau de mer dans ses mains, on sait que même si on ne voit rien, l’eau est pleine de micro-algues et de phytoplanctons. La neige est comme un océan, mais un océan transitoire, qui apparaît et disparaît, et ce micro-écosystème évolue avec lui. Les algues qui en font partie ne peuvent se développer que dans la neige, et quand elle n’est pas là, dans une autre étape de leur vie, elles restent sûrement dormantes dans le sol.

Comment s’organise ce micro-écosystème d’algues ?

Ces algues sont des êtres unicellulaires, qui se nourrissent du CO² dans l’atmosphère. Ce sont des producteurs primaires, le point d’entrée dans la vie : tout le carbone vivant qui nous constitue et dont nous nous nourrissons provient de producteurs primaires.

Elles peuvent évoluer et se déplacer dans l’air, comme le pollen. Nous pourrions croire que ce sont toutes les mêmes. Mais nous avons analysé le sol entre 1000 m et 3000 m d’altitude, tous les 200 m, et avons découvert qu’il y avait différents types d’algues en fonction de l’altitude. Certaines algues sont cosmopolites, tandis que d’autres ne sont présentes qu’à basse ou haute altitude. Leur répartition est influencée par les conditions très spécifiques qui changent rapidement en montagne. Les randonneurs le savent : dès que l’on monte de 200 m, il y a moins d’oxygène, et plus de lumière. Cela change également la composition des sols.

© Jean-Gabriel Valay/jardin du Lautaret/UGA/CNRS

© Jean-Gabriel Valay/jardin du Lautaret/UGA/CNRS

Vous vous êtes concentré sur les algues Chlorophyta dans votre étude. Pourquoi ?

Les Chlorophyta, Algues Vertes en botanique, sont l’un des groupes les plus divers et les plus importants de la biosphère, qui a conquis tout le milieu terrien et aérien. Mais c’est aussi l’un des moins bien étudiés, alors que sa diversité est impressionnante. Quand on regarde ce groupe, on réalise qu’il comporte des milliers d’espèces différentes, et en termes évolutifs, nous sommes moins éloignés de l’ornithorynque que peuvent l’être deux espèces de Chlorophyta.

Pourquoi ces algues vertes deviennent-elles rouges ?

Comme nous, lorsque nous sommes au soleil, elles brûlent, même si elles sont dans une neige à 0°. Pour se protéger, elles appliquent leur propre crème solaire, des molécule de type Caroténoïde (comme dans la carotte) qui lui donnent cette couleur rouge.

Comment le réchauffement climatique affecte-t-il ce micro-écosystème ?

On pense que le CO² de l’atmosphère a un effet sur les organismes photosynthétiques. On ne sait pas exactement ce qui provoque la pullulation des algues des neiges, mais nous avons des indices qui laissent penser que ce phénomène augmente année après année, avec le réchauffement de l’atmosphère. On pense que les algues sont des marqueurs du réchauffement climatique.

Mais elles en sont aussi actrices : comme elles se mettent à pulluler, elles colorent la neige en rouge, et comme vous en avez fait l’expérience, un vêtement blanc va réfléchir la chaleur, alors qu’un vêtement rouge va la conserver. La neige va donc se réchauffer, ce qui va accélérer le phénomène de fonte des glaces.

Est-il possible de freiner ce phénomène ?

Nous ne sommes pas là pour modifier la nature, mais pour la comprendre et accompagner les effets du changement climatique. L’humanité a échoué pour l’instant à trouver une solution à ce phénomène qui affecte tout l’environnement. Il ne peut y avoir qu’un effort global pour diminuer l’action humaine et baisser la température, car les actions locales et chirurgicales ne servent à rien. Nous avons tenté des actions de préservation de l’environnement, mais n’avons jamais réussi à préserver quoi que ce soit.

Il faut comprendre ce qu’il se passe : le monde d’avant va disparaître, le monde d’après va apparaître. Nous ne connaissons pas encore la résilience des écosystèmes, et ne savons pas si les espèces que nous conservons en laboratoire seront les dernières. Il est triste de voir un monde s’éteindre, mais il faut faire confiance à la vie, et voir comment les écosystèmes vont survivre et s’adapter au changement. Notre objectif est de comprendre la dynamique de ce changement, et proposer une compréhension et une anticipation de ce qu’il va se passer en montagne.

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