Imaginez descendre d’un avion, en provenance d’un pays lointain, et être aussitôt accueilli par un rang de maîtres-chiens accompagnés de leurs binômes à truffe. Sauf qu’ils ne seraient pas là pour vérifier l’absence de drogues dans vos poches, mais pour s’assurer que vous n’êtes pas infecté par le Sars-CoV-2. L’idée a de quoi surprendre. Elle n’est pourtant ni irréaliste, ni complètement nouvelle.
Depuis déjà plusieurs années, des chercheurs, vétérinaires, biologistes ou éthologues planchent sur l’olfaction canine dans le dépistage de maladies aiguës ou chroniques telles que certaines parasitoses comme la malaria, certains cancers (prostate, poumon, mélanome, etc.) ou des affections métaboliques comme le diabète, etc.
Les chiens peuvent apprendre à sentir les maladies
Le Dr Gil Manuel, vétérinaire à Basse Terre et membre du collectif Les Zétérinaires, explique « ces recherches se basent sur le fait que tout humain affecté par une maladie émet, notamment par la sueur, des composés organiques volatils spécifiques (des molécules « traces » de la maladie) dont l’odeur est détectable par un chien dressé à cet effet ». En d’autres termes, le métabolisme cellulaire d’un virus, d’un parasite, d’une bactérie, d’une cellule tumorale, des changements hormonaux, ou encore des variations anormales du taux de sucre dans le sang entraînent des modifications de l’odeur corporelle que le chien peut détecter. Sa capacité olfactive est, en effet, 1 million de fois plus fine que celle de l’humain – avec 250 millions de cellules olfactives contre seulement cinq millions chez l’humain.
En mars 2020, une réunion à propos des chiens de détection olfactive des cancers du côlon a regroupé le Pr Riad Sarkis (Université St Joseph de Beyrouth), Clothilde Julien (coordinatrice du projet Nosaïs) et le Pr Dominique Grandjean (EnvA). Un point qui a débouché sur la question :« Et si les chiens étaient capables de détecter les porteurs du virus SARS-CoV-2 ? ». La décision d’essayer est prise dans la foulée. « Nous avons à cœur de montrer l’utilité du chien dans la société. Notre objectif est, à terme, de créer un centre de détection médicale par les chiens, d’intégrer le chien dans le système médical et de montrer son utilité au sein de la société », nous explique Clothilde Julien.
Un snif canin pour repérer les malades du Covid
Le choix d’utiliser des chiens plutôt que d’autres animaux est assez logique. D’abord, l’odorat du chien est, nous l’avons dit extrêmement performant – plus que celui du chat ou du rat par exemple. Ensuite, contrairement aux félins et aux rongeurs, le chien n’est pas sensible au Covid-19. « Nous ne savons pas encore s’il peut être porteur sain », tempère néanmoins Clothilde Julien. Les chiens sont par ailleurs plus faciles à dresser. Interrogé sur l’impact de l’activité sur le bien-être de l’animal, Gil Manuel se veut rassurant : « C’est un jeu pour le chien. Il s’éclate ! C’est un peu comme quand on lui lance la balle et qu’il n’arrive pas à s’arrêter. Il y a une vraie fusion entre le maitre et son chien. »
Il a fallu un an — le temps d’évaluer la faisabilité du projet, de recueillir des fonds, de définir des protocoles et de dresser les chiens — pour que l’équipe du professeur Grandjean puisse tester l’efficacité de son projet en comparant deux méthodes de dépistage de la COVID-19 : test RT-PCR sur prélèvement nasopharyngé (test de référence) et test olfactif canin. L’étude a été menée sous tutelle du ministère de l’agriculture, et de l’AP-HP (avec le soutien de la Région Ile-de-France et de l’agence régionale de santé Ile-de-France) du 16 mars 2021 au 09 avril 2021. Elle apporte des résultats pour le moins satisfaisants : la sensibilité du test olfactif canin est de 97 %. À titre de comparaison, celle des tests RT-PCR est de 71 à 98 %.
« Le chien loupe très rarement un positif sauf s’il est fatigué — et dans ce cas, c’est la faute du maître qui n’a pas repéré cette fatigue », explique Clotilde Julien. Et de souligner : « Un test PCR négatif est parfois marqué par le chien car le chien détecte le Covid pendant l’incubation mais aussi après l’infection lorsque la PCR est négativée. » Outre sa plus grande fiabilité, le test olfactif a également l’avantage de ne pas être invasif, et de fournir un résultat immédiat. On pourrait alors envisager des applications concrètes dans tous les lieux de rassemblements importants : écoles, gares, aéroports, évènements culturels et sportifs, etc.
Une difficile application aux conditions réelles
Reste qu’avant de s’enthousiasmer totalement, il faut comprendre les limites de cette étude et ses inconnues. Pour le test olfactif, des échantillons de sueur axillaire ont été recueillis via des compresses posées deux minutes sous les aisselles des participants à l’étude. Elles ont ensuite été enfermées dans des bocaux puis placées dans des « cônes d’olfaction » disposés en ligne afin que chaque chien puisse venir pratiquer une analyse olfactive. Les chercheurs ont ensuite fait renifler chaque cône par au moins deux chiens différents qui n’ont pas été en contact avec les volontaires.
« Le dépistage sur compresse n’est pas pertinent pour un dépistage massif » souligne Clothilde Julien, alors que le gouvernement presse l’équipe à effectuer rapidement des tests sur les passagers de l’Eurostar. L’idéal serait de les dresser au « plume scenting » pour leur apprendre à marquer les personnes infectées par le Covid-19 directement dans une foule. Et ça, c’est beaucoup plus compliqué explique Gil Manuel : « En milieu réel, par exemple dans un aéroport, les chiens peuvent être perturbés par le monde, le bruit, l’effervescence, les autres odeurs. Et, l’odeur des composés organiques volatils n’est pas la même selon l’emplacement des glandes sudoripares qui les sécrètent. »
Autre difficulté : certaines personnes ont peur des chiens. « Cette crainte met les chiens eux-mêmes mal à l’aise. C’est pourquoi on choisira plutôt des chiens « mignons » comme des cockers plutôt que des malinois ou des bergers allemands », explique Clothilde Julien. Mais cela ne sera peut-être pas suffisant pour guérir les plus cynophobiques.
La coordinatrice évoque un dernier frein : « Il faudra aussi dresser beaucoup de chiens alors que seulement 9 avaient été mobilisés pour l’étude. » Même si l’on peut former des chiens de n’importe quelle race à cette détection, il faut tout de même même sept à huit semaines pour réaliser cet apprentissage — et le valider avec un test à la fin. Cela pourrait même être plus pour le « plume scenting« . Gil Manuel explique d’autre part que, selon les corps de métiers (pompiers, gendarmes, douaniers, vétérinaires…), les méthodes de dressage des chiens sont différentes ce qui n’ira pas sans poser de problème si l’on réunit différents binômes maîtres et chien, issues de différentes professions. Si ces travaux sur les tests olfactifs canins dans le dépistage massif du Covid-19 sont très prometteurs, il est donc illusoire d’espérer les voir mis en application dès cet été.
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