Il y aurait cinq fois plus de matière noire que de matière ordinaire dans l’Univers. La matière noire relève pourtant encore d’un mystère : en l’absence de preuve directe et tangible par l’observation, son existence est postulée par les physiciens au travers de calculs mathématiques et de techniques indirectes, puisque c’est à partir de la matière visible que l’on peut chercher cette matière invisible.
Pour développer des outils visant à traquer la matière noire, et pour synthétiser ce qui a déjà été découvert, une équipe de recherche internationale — en partie adossée au Laboratoire de physique de l’École normale supérieure avec des scientifiques du CNRS — vient d’aboutir à la plus grande carte de la matière noire dressée à ce jour. Ces travaux conduits par des dizaines de chercheurs et de chercheuses ont été publiés fin mai 2021 dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society et relayés le 21 juin sur le site du CNRS.
Comment ces scientifiques ont-ils pu cartographier si largement une matière invisible ?
Cisaillement gravitationnel
Depuis les années 1990, les scientifiques ont une technique assez aboutie pour identifier la présence de matière noire : le cisaillement gravitationnel. Ce phénomène repose sur la déviation de la lumière en présence d’un champ gravitationnel. En clair, la matière noire est à l’origine d’un surplus de gravité dans les galaxies, et on présuppose que ce surplus est ce qui fait tenir ensemble une galaxie ou un amas de galaxies, la matière visible n’étant pas suffisante pour expliquer ce maintien. Sans cette masse supplémentaire, la galaxie se déchirerait.
Cette interaction gravitationnelle générée par la matière noire provoque une déformation des images que nous recevons des galaxies, car les rayons lumineux sont déviés lors de ce processus. À partir du traitement de ces images, en mesurant cet effet et en repérant les motifs cohérents, il est possible de cartographier la présence de matière noire.
Les observations réalisées jusqu’à maintenant avec cette technique « ne couvraient qu’une petite surface du ciel », précise le CNRS. C’est là qu’intervient cette nouvelle carte d’une ampleur inédite. À partir des observations faites au Chili par le programme Dark Energy Survey, les scientifiques ont pu compiler des images issues des spectres du visible et de l’infrarouge, provenant de plus de centaines millions de galaxies. En plus de cela, l’équipe de recherche a développé de « nouvelles méthodes statistiques nourries par les avancées de l’intelligence artificielle » pour générer une carte cohérente.
Résultat, la carte de la matière noire couvre un quart du ciel de l’hémisphère sud. « La majeure partie de la matière de l’Univers est constituée de matière noire. C’est une véritable prouesse que d’avoir pu cartographier l’Univers aux plus grandes échelles sur une grande partie du ciel », s’est réjoui Niall Jeffrey, coauteur de cette étude. Dans l’avenir, les ambitions pourront être encore plus grandes : grâce au futur télescope spatial Euclid auquel participe l’Agence spatiale européenne, ce sont des milliards de milliards de galaxies dont les images seront traitées, ce qui étendra considérablement la cartographie possible de la matière noire.
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