En février dernier, la Dre Kate Clancy, anthropologue médicale américaine, a publié un tweet où elle expliquait qu’avec une collègue, elles avaient remarqué que leurs règles étaient plus abondantes que d’habitude après avoir reçu leur première dose de vaccin Moderna contre le Covid. Ce tweet a reçu plus de 900 réponses de femmes témoignant de troubles de leur cycle après avoir reçu l’injection.
https://twitter.com/KateClancy/status/1364671490772320259
Des témoignages sans valeur scientifique
Corrélation ou causalité ? Impossible à déterminer en l’état. Après la lecture de témoignages sur le Twitter francophone, Numerama a lancé un appel à témoignages assez large (« Avis aux personnes menstruées et vaccinées : Vous avez constaté des modifications de votre cycle après la vaccination ? »), nous avons reçu 36 réponses circonstanciées de personnes menstruées ayant relevé des troubles de leur cycle.
- 3 d’entre elles témoignent d’un syndrome prémenstruel accentué ;
- 5 de spotting (saignements vaginaux survenant en dehors de la période des règles) ;
- 11 de règles arrivées en avance ;
- 16 de retard de règles ;
- 8 de flux plus abondants ;
- 1 de règles plus longues ;
- 1 de règles plus courtes ;
Celles qui, parce que soignantes, ont reçu leur injection depuis suffisamment longtemps pour connaître plusieurs cycles de règles témoignent d’un retour à la normale par la suite.
Si ces témoignages sont troublants, ils n’ont en rien une valeur scientifique, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, l’échantillon est trop maigre. Ensuite, parce qu’il s’agit de constats à postériori (il aurait fallu suivre un large groupe de personnes menstruées avant et après la vaccination) et parce qu’il n’y a pas de groupe témoin (il aurait aussi fallu suivre un groupe de personnes menstruées non vaccinées).
Enfin parce qu’il s’agit de pur déclaratif à postériori : peut-être ces personnes ont été davantage vigilantes à leur cycle que d’habitude, peut-être se sont-elles juste posé la question en lisant l’appel à témoignages. En outre, nous ne savons pas le moment du cycle auxquelles ces personnes ont été vaccinées, ni si elles prennent une contraception hormonale et ne connaissons pas leurs antécédents.
Et puis, il faudrait des outils méthodologiques précis pour suivre de manière objective le cycle avec des dosages hormonaux sanguins et urinaires réguliers ainsi qu’une évaluation des flux qui se fait en envoyant des protections périodiques aux femmes qui doivent ensuite les renvoyer à des fins d’analyse.
« Suffisant pour flipper un peu »
Reste que les personnes menstruées s’interrogent : « J’ai été vaccinée (1ère dose de Moderna) le 11 mai, j’aurais dû avoir mes règles le 17, et elles sont arrivées le 23. Ce n’est pas délirant, mais suffisant pour flipper un peu. » témoigne Valérie, 40 ans.
Sandrine, 38 ans, médecin généraliste, s’est également alarmée : « J’ai été vaccinée très tôt fin janvier pour la première dose de Pfizer dans le cadre de la vaccination des soignants à risque de forme grave. Mes règles devaient arriver à peine 2-3 jours après le vaccin. Cela n’a pas été le cas : j’ai eu des spottings et ce qu’on pourrait appeler des méno-métrorragies (saignements hors règles) pendant plus d’un mois (en gros j’ai eu des petits saignements quotidiennement) », nous raconte-t-elle. « Je suis allée consulter mon gynéco qui a fait réaliser une échographie et un bilan biologique (nous craignions soit un début de préménopause, soit une grossesse extra-utérine, soit un souci avec mon stérilet, soit au pire un cancer de l’utérus). Tous les examens étaient normaux. Mon gynéco m’a prescrit un traitement par progestérone pendant deux semaines, et tout est rentré dans l’ordre. Et je n’ai pas eu de souci lors de l’injection de la deuxième dose. J’ai évoqué la possibilité d’une perturbation liée au vaccin, mais à l’époque mon gynéco n’avait pas connaissance de cette possibilité. Il faut dire qu’on apprend au fur et à mesure avec cette épidémie ! »
Barbara, 46 ans, a aussi été consulter : « Je n’ai pas eu de retard dans le cycle, mais depuis tout est plus exacerbé, mes seins grossissent et me font mal au point que je suis allée voir ma gynéco. Tout était normal, simplement une variation de la physiologie des glandes mammaires comme on en voit au cours du cycle. »
Un manque de prise en compte des troubles menstruels
Face à des témoignages, on peut se poser la question non pas d’une éventuelle gravité de ces potentiels effets indésirables chez les personnes menstruées nouvellement vaccinées, mais du fait que cela ne remonte pas dans les résultats des essais cliniques de phase 3.
Alexandre Regnault, avocat à la Cour et spécialisé dans les questions de santé et de bioéthique nous rappelle que « d’une manière générale, pendant des années, il y a eu une sous-représentation des femmes dans les essais cliniques. Cela a été très volontairement organisé par soucis de protéger la femme enceinte et l’enfant d’éventuels effets tératogènes. Aujourd’hui, c’est plus équilibré même s’il y a peut-être une sous-représentation du fait de la nécessité de prendre une contraception durant l’essai clinique. » Toutefois, vérification faite, les personnes menstruées étaient à nombre égal avec les hommes cisgenres dans les études, mais peut-être le fait qu’elles soient sous contraception a pu jouer.
« Peut-être que la question ne figurait pas dans la liste de celles posées aux participantes aux essais », avance le médecin légiste et radiologue Franck Clarot. « Les effets secondaires génito-sexuels chez les femmes sont pris beaucoup moins au sérieux que chez les hommes », déplore le médecin sexologue Gilbert Bou Jaoudé. En effet, comme le signale aussi le Pr Jean-Luc Squifflet, chef de service adjoint au sein du Service de gynécologie et andrologie aux Cliniques Universitaires Saint-Luc à Bruxelles : « L’effet d’un médicament sur le cycle menstruel n’est jamais étudié, sauf pour les traitements hormonaux en gynécologie ».
Il semble donc que la question de la modification du cycle menstruel ne fasse pas partie des effets indésirables recherchés pour un vaccin puisque, comme le rappelle le gynécologue, « les anomalies du cycle sont fréquentes, sans pour autant qu’il y ait de pathologie. » Et qu’importe le stress occasionné et le fait que ce qui semble primer sur le reste, pour une partie du corps médical, est que la personne reste… en mesure d’enfanter.
Pas de signal de pharmacovigilance
Après la phase 3 d’un essai clinique arrive la phase 4 — celle dans laquelle sont actuellement les vaccins contre le Covid commercialisés. Durant cette période, la pharmacovigilance permet d’affiner les effets indésirables des médicaments auprès d’une large population. « Il n’y a pas de signal pharmacovigilance concernant des troubles du cycle menstruel. » nous indique Mathieu Molimard, chef du service pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux.
Stéphane Korsia-Meffre, rédacteur médical, enseignant en Département universitaire de Médecine générale et vétérinaire confirme: « Ces perturbations du cycle ne sont pas un signal fort ou alors pas un signal suffisamment intense pour que cela ressorte dans les données de pharmacovigilance. » Les femmes, habituées à taire leurs désagréments menstruels, ont-elles pensé à le signaler ? Les ont-elles pensées suffisamment dignes d’intérêt ?
Pas de risque pour la fertilité et la santé
Que penser de tout cela aujourd’hui ? D’abord, que s’il existe des troubles du cycle menstruel liés à la vaccination, ils sont sans gravité, et que la vaccination n’a en aucun cas d’impact sur le fertilité : « C’est une fake news, que de dire que le vaccin rend stérile. Dans la mesure où un vaccin reproduit en moins fort et en bénin ce que peut faire un virus, la pandémie aurait rendu stérile une bonne partie des femmes qui l’ont contracté, or, ce n’est pas le cas », insiste Mathieu Molimard. « Cette rumeur vient d’une expérience où on a injecté des doses très importantes de vaccins à des rats — doses qui ne sont pas injectées aux humaines. »
De fait, en aucun cas, et dans la mesure où ces anomalies du cycle sont bénignes et passagères, ces témoignages ne doivent détourner les femmes de la vaccination contre le Covid-19.
Corrélation n’est pas causalité
Ensuite, nous ne pouvons pas parler de relation de causalité tant qu’une étude clinique sérieuse n’a pas été menée. « À mon avis, il sera difficile d’estimer sans une véritable étude prospective l’impact des vaccins contre le Covid sur le cycle menstruel » estime Gilbert Bou Jaoudé, « parce que d’une part, des personnes qui remarquent des changements dans leur cycle ne font pas forcément le lien avec vaccin et d’autre part, il y a tellement de facteurs qui peuvent modifier un cycle que ça sera difficile de rapporter au vaccin. »
Comme le rappelle Jean-Luc Squifflet, « beaucoup de choses peuvent influencer le cycle que ce soit l’état de santé (infection, dialyse, obésité, anorexie…) ou des éléments externes (choc émotionnel, stress…)» Tout ce qu’il est possible de faire aujourd’hui est d’avancer des hypothèses tout en restant rassurants. « Il pourrait y avoir une perturbation du cycle lorsque la réponse immunitaire a provoqué des effets indésirables importants avec de la fièvre, mimant ainsi une infection. » postule Jean-Luc Squifflet.
« On sait que tout état de stress au sens physiologique peut provoquer des perturbations du cycle menstruel ,» avance Gilbert Bou Jaoudé. « Or la vaccination pourrait provoquer un état de stress dans le corps lié à l’activation du système immunitaire. Ce n’est donc pas illogique d’entendre de telles plaintes (…) Il est possible que ces signaux justifient par la suite une étude et on pourra alors discuter des conséquences si les troubles du cycle se retrouvent documentés et si un lien causal entre le vaccin et les perturbations du cycle s’avère. »
Les conséquences ? Assurément pas un retrait du marché ni une suspension de la vaccination pour les personnes menstruées, mais davantage d’information et de transparence qui permettront de mettre à distance les conjectures farfelues des antivax basées sur des témoignages.
Si toutefois vous rencontrez des troubles du cycle après la vaccination, n’hésitez pas à les signaler sur le site de l’ANSM.
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