Le principe d’« écocide » est un sujet régulièrement mis en avant dans les luttes écologiques — qu’il s’agisse de changement climatique ou de pollution. La notion renvoie à la destruction ou l’endommagement irrémédiable d’un écosystème, à cause de la surexploitation de celui-ci par exemple. L’idée d’écocide vise à faire de ces actions un crime.
Dans le monde, ce concept est rarement reconnu juridiquement. En France, cela faisait partie des propositions de la Convention citoyenne sur le climat. L’idée n’a finalement pas été pleinement adoptée, puisque le gouvernement s’en est seulement inspiré, en créant un délit d’atteinte environnementale, et non un véritable crime d’écocide, ce qui lui a valu les foudres de l’opposition.
À l’échelle internationale, il s’agit également d’une bataille politique et juridique, dont une nouvelle étape vient peut-être d’être franchie. Mardi 22 juin 2021, un panel de juristes a publié une proposition de loi à destination de la Cour pénale internationale (CPI). Ce texte contient la toute première définition légale potentiellement universelle et internationale du crime d’écocide.
La définition de l’écocide
Dans le document, les juristes constatent de prime abord que malgré des progrès « significatifs » depuis quelques années, les « insuffisances de la gouvernance environnementale mondiale actuelle sont largement reconnues ». Des lois nationales et internationales déjà en place visent certes à protéger les systèmes naturels, mais elles « sont inadéquates » et « il faut en faire plus ». Fin 2020, après avoir été notamment approchée par la sénatrice suédoise Rebecka Le Moine, la fondation Stop Ecocide a décidé de réunir un panel d’experts et d’expertes en droit afin de développer une définition effective du crime d’écocide. Le panel en est arrivé à un consensus six mois plus tard, en juin 2021.
Dans le premier paragraphe du texte, la proposition définit l’écocide ainsi : « les actes illicites ou injustifiés, commis en sachant qu’il y a une forte probabilité que des dommages graves et étendus ou à long terme soient causés à l’environnement par ces actes ».
Dans le second paragraphe, les termes sont juridiquement précisés :
- « Injustifié » signifie avec une insouciance irréfléchie pour des dommages qui seraient clairement excessifs par rapport aux bénéfices sociaux et économiques escomptés ;
- « Grave » signifie des dommages qui impliquent des changements défavorables très sérieux, des perturbations ou des dommages à tout élément de l’environnement, y compris des impacts graves sur la vie humaine ou les ressources naturelles, culturelles ou économiques ;
- « Étendu » signifie que les dommages s’étendent au-delà d’une zone géographique limitée, traversent les frontières des États, ou sont subis par un écosystème ou une espèce entière ou un grand nombre d’êtres humains ;
- « Long terme » signifie des dommages qui sont irréversibles ou qui ne peuvent être réparés par une récupération naturelle dans un délai raisonnable ;
- « Environnement » désigne la Terre, sa biosphère, sa cryosphère, sa lithosphère, son hydrosphère et son atmosphère, ainsi que l’espace extra-atmosphérique.
Un amendement au Statut de Rome
Cette définition légale est proposée en tant qu’amendement au Statut de Rome, à savoir le traité international qui a créé la Cour pénale internationale et qui définit notamment l’étendue de ses compétences. Si l’écocide venait à être adopté par la CPI, alors il représenterait le cinquième crime sur lequel la cour peut exercer un pouvoir juridictionnel, au même titre que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ainsi que les crimes d’agression.
Le panel ajoute que, pour insérer un tel amendement, il faudrait par ailleurs amender le préambule (qui liste les différentes motivations de la CPI) en y ajoutant la mention suivante : « Soucieux que l’environnement est quotidiennement menacé par une destruction et une détérioration sévères, mettant gravement en danger les systèmes naturels et humains dans le monde entier (…)».
Reste à savoir si les États vont maintenant se saisir de cette proposition pour l’intégrer véritablement dans le droit international — et quand. Ce document arrive dans une période charnière, à peine quelques semaines après un cas juridique historique : aux Pays-Bas, un tribunal a tenu Royal Dutch Shell comme responsable de sa propre contribution au changement climatique. La décision de justice estime que l’entreprise doit réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 45 % pour ne pas faire défaut aux objectifs de l’Accord de Paris.
L’aboutissement d’une proposition de définition légale est en tout cas un « moment historique » d’après Jojo Mehta, directrice exécutive de Stop Ecocide. La définition est « bien située entre ce qui doit être fait concrètement pour protéger les écosystèmes et ce qui sera acceptable pour les États ». Jojo Mehta ajoute qu’« elle est concise, elle repose sur des précédents juridiques solides et elle s’intègre bien dans les lois existantes ». Pour la directrice exécutive, il est clair que « les gouvernements la prendront au sérieux, et elle offre un outil juridique exploitable correspondant à un besoin réel et urgent dans le monde ».
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