« J’étais en soirée et je parlais avec une amie. Et je ne sais plus par quel chemin, nous en sommes arrivés au sujet des vaccins », se souvient Simon*. « Je lui ai juste dit que j’avais eu ma première dose. Elle m’a immédiatement dit que j’étais fou. Pour ne pas gâcher l’ambiance, je n’ai pas insisté », nous relate-t-il.
Comme Simon, de nombreux Français et Françaises ont été face à ce type de situations gênantes ces dernières semaines. La vaccination contre le coronavirus SARS-CoV-2 est aujourd’hui la principale porte de sortie pour freiner la pandémie, tout particulièrement en présence du variant préoccupant Delta, contre lequel un schéma vaccinal complet à 2 doses est efficace pour éviter les formes graves et encore une majeure partie des infections. Malgré tout, l’avancée de la campagne peut rencontrer un « plafond de verre », une part de la population restant sceptique.
Une part de cette population est influencée par la communication « antivax » très active de militants qui propagent de fausses informations sur la vaccination. Une autre part puise son scepticisme plus simplement dans des craintes, estimant manquer de recul, ou ne pas y voir encore clair dans les informations. C’est alors que, dans une conversation anodine, une personne vaccinée peut se retrouver face à des arguments non fondés scientifiquement concernant les vaccins contre le coronavirus. Cela peut être un collègue, un ami ou une amie, un proche dans le cercle familial — parfois même l’époux ou l’épouse.
Dans une série de témoignages, nos lecteurs et lectrices racontent à Numerama comment leurs relations humaines sont mises à rude épreuve par ces discussions .
« Pris de court »
« Un couple d’amis assez proche est très sceptique, et je ne m’y attendais pas », déplore Emeline. Pourtant, elle en est certaine : ils ne sont pas « anti-vaccins », habituellement. Leurs arguments sont spécifiques à cette pandémie. Emeline se rappelle les avoir entendu affirmer, pêle-mêle, qu’« on n’est pas à risque » ou qu’« on ne veut pas de la V1, c’est comme pour les produits Apple, il faut attendre l’évolution ». Cassandre s’est retrouvée face aux mêmes arguments de la part d’une amie d’enfance : « pas confiance dans le vaccin », « pas assez de recul », « préférence pour l’immunité naturelle ». Et cette amie fait régulièrement référence à Hold Up — un faux documentaire qui diffuse des idées reçues et des informations mensongères sur la pandémie.
On retrouve ce même désarroi chez Noémie, qui nous raconte avoir été « complètement prise de court » par une amie évoquant des idées défavorables aux vaccins, de manière inopinée, au cours d’une conversation. Cette amie lui avance des conceptions erronées, ou déconnectées de la réalité sanitaire, telles que « ces vaccins ont été développés trop rapidement, on ne connaît pas leurs effets à long terme » ou « le virus n’est pas si dangereux que ça, puis faut bien mourir de quelque chose ».
Cela va parfois au-delà d’une simple crainte ou de quelques idées reçues. Pierre a, de son côté, vu sa mère sombrer mois après mois dans forme de complotisme antivax, alors qu’elle n’avait jamais rejeté les vaccins avant la pandémie. Au début de la crise sanitaire, elle suivait de près Didier Raoult et ses affirmations précipitées en faveur de l’hydroxychloroquine, finalement inefficace. Elle a commencé à « s’énerver qu’on en donne pas à tout le monde ». Puis elle s’est mise à lire FranceSoir, blog connu pour sa désinformation, et à suivre des comptes Twitter diffusant de fausses informations sur la pandémie — qu’elle relaie sans jamais les vérifier.
« Cela me fait un peu mal »
« Je me rappelle qu’elle traitait tous ceux qui n’étaient pas d’accord de vendus du Big Pharma, sauf moi, qui n’était qu’un ignorant. (…) Puis, sont venus les vaccins quelques mois plus tard. Dans la lignée de croire au complot Big Pharma, elle a d’abord trouvé que ‘ça allait trop vite’, ‘on a pas de recul’ », raconte-t-il. Pierre nous confie être très affecté par la logique dans laquelle il voit sa mère s’enfermer. « Cela me fait un peu mal », dit-il. Et son inquiétude ne va qu’en grandissant. « Le problème va plus loin, parce qu’elle envoie des articles/mails complotistes à ma grand-mère de 85 ans, qui n’a pas le fact-checking dans les veines. »
Même si les propos sceptiques ou antivax ne se basent pas sur la réalité scientifique (les essais cliniques se sont déroulés dans les règles, et les vaccins, déjà injectés auprès d’1,9 milliard de personnes sont sûrs et efficaces), il est parfois bien difficile de savoir comment réagir lorsqu’ils sont prononcés par des proches. Cette réaction peut avoir un impact sur la relation elle-même.
« La température de la relation a baissé »
« La température de la relation a vraiment baissé », nous confie Noémie. Cette dernière a cherché à rentrer dans le dialogue, en faisant appel à « des infos scientifiques » mais aussi à des situations humaines, comme une amie de sa mère ayant « perdu 5 personnes de sa famille proche » à cause de la maladie. Durant toute la discussion, elle a aussi essayé « de faire appel à son côté rationnel », mais s’est vite rendu compte que la démarche était vaine. « Avec le recul, j’ai compris que son raisonnement était basé sur la peur et l’affectif, mais pas du tout sur le rationnel », ajoute-t-elle.
Pour Emeline, « la relation ne s’est pas détériorée », tout simplement car elle ne souhaitait pas « entrer dans l’argumentation » avec ses amis, pour éviter tout conflit amical. Cassandre, en revanche, a vécu plus difficilement cette situation. Cette dernière a été atteinte du covid « de façon assez grave, avec plus de cinq mois à retrouver une respiration plus ou moins normale et à reprendre le poids que je faisais avant ». Elle pensait que cela « aurait pu déclencher une prise en conscience des dangers de cette maladie » chez ses proches. La position sceptique de son amie l’a donc particulièrement perturbée, voire blessée.
Dans les témoignages que nous avons reçus, il semblerait que plus la personne sceptique est proche, plus un scepticisme envers les vaccins est difficile à gérer. « Toute ma famille est anti-vax », regrette Mathieu. « J’ai essayé de manière très diplomatique de partager l’état de la science, mais rien n’y fait, alors je n’insiste pas plus que ça. » C’est le cas pour sa mère, son père, ses frères, sa belle-mère. Une configuration qui l’a tout bonnement poussé à s’éloigner de ce cercle familial. Il ne parvient pas pour autant à y échapper totalement. Même avec son épouse, la discussion est compliquée, car, sans être antivax, celle-ci est « plutôt contre » : « J’arrive péniblement à faire accepter à ma femme que je vais me faire vacciner bientôt. »
« Pourquoi ont-ils changé d’avis ? »
« Ma grand-mère ne veut pas se faire vacciner. Quand elle a compris que l’on continuerait à ne pas l’embrasser tant qu’elle ne serait pas vaccinée, elle a cédé », nous raconte Lucien. De son côté, Karim nous fait part de sa surprise de découvrir parfois des « revirements soudains » chez ses proches les plus sceptiques : « Ils se sont vaccinés alors que je les incitais à le faire et qu’ils refusaient catégoriquement alors même qu’ils avaient des comorbidités. Pourquoi ont-ils changé d’avis ? », s’interroge-t-il. D’autres témoignages relèvent ce mécanisme d’un changement de position du jour au lendemain.
Ce constat vient rappeler que le conflit n’est pas une réponse au scepticisme et aux inquiétudes, quand bien même la vaccination relève d’une urgence. Le temps et la transmission apaisée d’informations claires et fiables jouent un rôle décisif. Ce faisant, les personnes sceptiques envers les vaccins se rassurent, en voyant leurs proches être vaccinés, en écoutant les professionnels de santé en parler, en prenant finalement le temps de se documenter.
C’est d’ailleurs ainsi que Mathieu a pu s’extraire de son contexte familial antivax pour se forger une position basée sur la réalité scientifique des vaccins. « Ce qui m’a fait me poser des questions, c’est peut-être aussi certaines connaissances qui partageaient leurs avis ou des faits sur Twitter sans que ce soit des proches. » Alors, petit à petit, « en lisant les newsletters [complotistes] que me transférait ma mère, je trouvais des trucs louches dedans, et en vérifiant souvent je me suis rendu compte que c’était bel et bien des conneries. »
Il invite ainsi à non seulement fournir des contenus vulgarisés de qualité et facilement accessibles, mais aussi, côté public, à ne pas se contenter de la réponse la plus simple et facile, mais à « aller dans le fond des choses » quitte à « se rendre compte que la réponse est plus complexe ».
*Tous les prénoms ont été changés.
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