« Un signe de vie détecté sur Encelade ? », « Encelade abriterait-elle la vie ? », « Du méthane d’origine biologique sur Encelade ? ». Le satellite de Saturne suscite un certain intérêt médiatique, après la parution d’une étude le 7 juin 2021 dans Nature Astronomy. Elle a été relayée le 6 juillet dans un communiqué de l’université de l’Arizona, titré « Du méthane dans les panaches d’Encelade la lune de Saturne : de possibles signes de vie ? ». En parcourant le texte, on peut néanmoins lire que les auteurs ne « [concluent] pas que la vie existe dans l’océan d’Encelade. »
Mais alors, quelle information apporte cette nouvelle étude ? L’existence du méthane sur cette lune est connue depuis quelques années, grâce à la mission Cassini-Huygens, comme l’explique à Numerama Gabriel Tobie, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des lunes de Saturne et Jupiter : « C’était une grande découverte de la mission Cassini-Huygens, qui évoluait autour de Saturne de 2004 à 2017 : on a observé des jets de matière au niveau du pôle sud d’Encelade. Grâce à ces jets de matière, on pouvait pour la première fois analyser directement du matériau venant de l’astre, sans avoir besoin de s’y poser. »
La sonde spatiale a pu passer à travers ces jets, afin d’analyser leur composition. « Tout ce l’on détectait à l’intérieur de ces jets nous suggérait une activité très profonde, potentiellement associée à une activité hydrothermale au fond de l’océan d’Encelade », poursuit le spécialiste.
Le méthane puis l’hydrogène, deux détections clés
Cette interprétation d’une activité hydrothermale sur l’astre n’est donc pas nouvelle. Et surtout, elle a été confirmée par la détection de deux éléments chimiques : le méthane (en 2006) et l’hydrogène (en 2016). « Nous avons eu la confirmation qu’il y avait une production d’hydrogène actuellement, ce qui suggère le lien avec une activité hydrothermale. Cette eau relativement chaude circule dans des roches, ce qui entraîne une altération de ces roches et peut produire de l’hydrogène ou du méthane », complète Gabriel Tobie.
La détection d’hydrogène était une découverte importante, car la molécule est connue pour sa volatilité. Cela veut dire que l’hydrogène ne pourrait pas avoir été produit il y a des milliards d’années et être relâché actuellement. « Il n’y a aucun moyen de retenir de l’hydrogène à l’intérieur d’Encelade. Si on l’observe maintenant, cela veut dire qu’il est produit maintenant », confirme le scientifique.
C’est dans ce contexte que la nouvelle étude parue dans Nature Astronomy s’inscrit. Ici, les auteurs tentent d’interpréter le rapport de l’hydrogène sur le méthane. « Dans les systèmes hydrothermaux terrestres, on sait qu’on a également de la production d’hydrogène par les mêmes processus (circulation de fluide avec des roches), et de la production de méthane. Or, sur Terre le méthane est souvent associé à une activité biologique. De là à dire qu’on observe du méthane sur Encelade, et donc qu’il y aurait une activité biologique… cela reste spéculatif », prévient Gabriel Tobie.
L’étude tente de quantifier la probabilité que ce qui est observé sur Encelade puisse être relié à une activité biologique. Ses auteurs se fondent dès lors sur des analogues terrestres. Comme l’indique notre interlocuteur, « on peut se demander si les analogues terrestres sont vraiment représentatifs de ce qui se produit dans Encelade. On ne le sait pas. » En extrapolant ce qu’on connaît sur Terre au cas d’Encelade, cette étude qui repose sur une modélisation conclut que le lien le plus probable serait une activité biologique, plutôt qu’une activité abiotique (sans intervention biologique).
« On est sûrs qu’Encelade est habitable — ce qui ne veut pas dire habitée »
L’idée qu’Encelade soit un environnement propice au développement de la vie n’est donc pas nouvelle, puisque déjà suggérée par la découverte de la présence d’hydrogène et de méthane. « S’il y a un environnement dans le système solaire où l’on pourrait avoir une activité biologique, Encelade fait partie des quelques cibles potentielles. On est sûrs qu’Encelade est habitable — ce qui ne veut pas dire habitée. La question demeure : est-ce que la vie a été capable d’émerger dans cet environnement habitable ? On aura beau faire tous les modèles qu’on veut, on ne le saura que le jour où on ira explorer cette petite lune », estime Gabriel Tobie.
Pour l’instant, aucun projet d’exploration de ce type n’est décidé. Si une mission d’exploration d’Encelade était validée pour rechercher une trace possible de vie, à quoi devrait-elle s’intéresser ? Plusieurs pistes sont à envisager.
- La mission pourrait étudier la composition isotopique des matériaux d’Encelade. « Sur Terre, on sait que le vivant a tendance à privilégier l’isotope 13 du carbone. En général, quand on mesure le rapport carbone 13 sur carbone 12, on peut voir s’il y a une signature du vivant. On peut aussi voir si la vie a participé à fractionner ces réservoirs isotopiques. »
- Elle pourrait aussi détecter une propriété des molécules : la chiralité (le fait de ne pas être superposable à son image dans un miroir). Petite comparaison pour comprendre : « Les mains sont symétriques, mais elles ont un sens. Le vivant sur Terre n’a choisi que la chiralité gauche, un peu comme s’il avait tout fabriqué avec des mains gauches. » On pourrait imaginer trouver sur Encelade de la matière organique, avec des molécules ayant une chiralité privilégiée.
Et ensuite, si ces éléments étaient réunis ? Il resterait encore à trouver un micro-organisme pour confirmer que la vie existe bien sur Encelade. « Ce sera probablement impossible de le faire en in situ [sur place] et cela impliquera un retour d’échantillon. L’avantage d’Encelade, c’est qu’on n’a pas besoin de se poser en surface, on peut collecter des grains au passage », note Gabriel Tobie. Au mieux, il faudrait une quinzaine d’années pour y parvenir, dont cinq à sept ans de voyage vers Encelade (Cassini-Huygens en avait mis sept). « Et même si l’on décidait demain d’envoyer une mission vers Encelade, il faudrait cinq à dix ans pour réaliser cette mission. »
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