La production de « viande végétale » est un triple défi sur le plan scientifique. Il faut parvenir à imiter l’apparence, la texture et surtout la saveur de la viande, explique dans The Conversation Mariana Lamas, chercheuse adjointe au Centre for Culinary Innovation du Northern Alberta Institute of Technology.

En 2019, Burger King a proposé à ses clients le « Rebel Whopper », un burger végétal. Face à leur manque d’enthousiasme, la société américaine les a mis au défi de faire la différence avec un burger classique, à base de viande.

La branche suédoise de Burger King a créé à cet effet un menu spécial : en le choisissant, les clients avaient une chance sur deux de se voir servir le burger végétal. À eux de deviner ensuite quel sandwich ils avaient dégusté. Pour vérifier s’ils ne s’étaient pas trompés, ils pouvaient utiliser une application afin de scanner un code-barre présent sur l’emballage de leur repas. Résultat : 44 % des consommateurs qui se sont prêtés au jeu ont perdu, incapables de faire la différence entre steak à base de viande et préparation végétale.

Si à l’origine, les produits comme le tofu ou le seitan avaient vocation à remplacer la viande sans en adopter les caractéristiques, plus récemment sont apparus sur le marché des produits visant à l’imiter le plus parfaitement possible, tant au niveau du goût que de la texture ou de l’odeur. Burgers, viande hachée, saucisses, nuggets ou encore fruits de mer à base de plantes sont désormais disponibles dans les rayons des magasins ou sur les menus des restaurants. Les promoteurs de ces « viandes végétales » ambitionnent rien moins que nous inviter à repenser notre définition de la viande.

Parvenir à atteindre les standards nécessaires pour satisfaire les sens des consommateurs n’est cependant pas une mince affaire. La société « Beyond Meat » (littéralement « Au-delà de la viande ») a mis plus de six ans pour parvenir à mettre au point son « Beyond Burger », et depuis sa mise sur le marché en 2015, sa formulation a déjà changé trois fois. Concevoir la viande végétale parfaite revient à procéder par essais et erreurs, et nécessite les efforts d’équipes de scientifiques multidisciplinaires.

Qu’est-ce que la réaction de Maillard ?

Les scientifiques qui souhaitent développer une viande végétale de bonne tenue doivent relever un triple défi. Il s’agit en effet de mettre au point une viande « convaincant » à la fois au niveau de l’apparence, de la texture et de la saveur, trois caractéristiques qui font l’essence d’une viande.

Lorsque nous cuisons une pièce de viande, sa texture change, car la température de la poêle ou du grill affecte la structure des protéines qui la composent. Selon que ces dernières se brisent, coagulent ou se contractent, la viande s’attendrit ou se raffermit.

L’arôme caractéristique de la viande, ainsi que le goût savoureux qui se développe à la cuisson, sont dus à la réaction de Maillard, décrite en 1911 par le chimiste et médecin lorrain Louis-Camille Maillard. Comprendre ce processus permet aux équipes chargées de la recherche et développement des viandes végétales de les améliorer.

La réaction de Maillard est à l’origine du goût caractéristique de la viande cuite. // Source : Pexels/Алекке Блажин (photo recadrée)

La réaction de Maillard est à l’origine du goût caractéristique de la viande cuite.

Source : Pexels/Алекке Блажин (photo recadrée)

Les ingrédients utilisés pour fabriquer la viande végétale influencent bien entendu son apparence, sa texture et sa saveur. Selon la viande animale que l’on cherche à imiter, on pourra utiliser des protéines de soja, de blé, de pois ou de fève, ainsi que des amidons, des farines, des hydrocolloïdes (glucides non digestibles utilisés comme épaississants, stabilisants et émulsifiants, ou comme agents de rétention d’eau et de gélification) et des huiles qui permettront d’obtenir un degré de similarité plus ou moins satisfaisant.

Enfin, la méthode de fabrication influence également les caractéristiques du produit fini. L’« extrusion en milieu humide » (« High-moisture extrusion ») et les technologies basées sur l’emploi de cellules de cisaillement (« shear-cell technologies ») sont deux procédés couramment utilisés pour obtenir, à partir de protéines de végétaux, des structures en couches fibreuses qui imitent l’apparence et la texture de la viande. L’extrusion en milieu humide, qui permet d’obtenir une sensation de mastication proche de la viande, est la technique la plus répandue, mais le traitement par cellule de cisaillement, plus économe en énergie, a une empreinte carbone moindre.

Imiter la couleur et la texture

Les scientifiques qui travaillent sur ces questions ont mis au point des préparations capables d’imiter la couleur de la viande avant, pendant et après la cuisson. Pour imiter la couleur rouge du bœuf frais ou saignant, ils utilisent notamment de l’extrait de betterave, de la poudre de grenade et de la leghémoglobine de soja.

La texture des protéines animales est plus difficile à reproduire avec des ingrédients d’origine végétale, car les plantes n’ont pas de tissu musculaire : leurs cellules sont rigides et indéformables, alors que les muscles sont élastiques et flexibles. Pour cette raison, les végétaux ne rendent pas la même sensation que la viande lors de la mastication ; en bouche, les burgers végétariens sont souvent friables et pâteux.

Bien choisir la (ou les) protéine(s) de plante(s) mise(nt) en œuvre lors de la fabrication de la viande végétale est crucial. Il s’agit en effet de l’ingrédient clé de la préparation, non seulement essentiel à sa structure, mais aussi très important pour définir l’identité du produit fini, qui va le différencier des autres. La formulation peut contenir une seule sorte de protéine végétale, ou un mélange de diverses sortes.

Les protéines de soja restent celles qui permettent d’obtenir le goût et la texture les plus proches de la viande. Utilisée depuis des décennies, elle a fait l’objet de nombreuses recherches, et les processus utilisés pour sa texturation ont été progressivement amélioré.

Les protéines de pois, rendues populaires par la société Beyond Meat, est le segment du marché de la viande végétale qui connaît actuellement la plus forte croissance, en raison de sa teneur en acide aminés, particulièrement complète.

Il existe en effet neuf acides aminés « essentiels », autrement dit qui ne peuvent être fabriqués par notre corps et doivent donc être apportés par notre alimentation. Les régimes basés sur des produits animaux les contiennent, et sont donc considérés comme complets. Ce n’est pas le cas de la plupart des produits végétaux, dans lesquels certains de ces acides aminés essentiels manquent. En revanche, tous les neuf sont bien présents dans les protéines de pois. Les protéines de pois sont en outre dépourvues d’allergènes.

Riz, fèves, pois chiches, lentilles, haricot mungo… D’autres protéines d’origine végétale suscitent l’intérêt des scientifiques, et de nouveaux produits les incorporant devraient arriver sur le marché à l’avenir.

Le gras joue un rôle majeur dans la saveur

Les sociétés ne sont pas tenues de divulguer les ingrédients qu’elles ajoutent à leurs préparations pour leur donner de la saveur – elles ont juste obligation d’indiquer s’ils sont d’origine naturelle ou artificielle. Il est donc difficile de savoir précisément ce qui donne aux burgers végétaux cette saveur évoquant celle de la viande.

Le gras est un acteur majeur de la saveur et des sensations lors de la dégustation. Il est responsable de la richesse en bouche, de la « jutosité » (la capacité d’un aliment à libérer les sucs en début de mastication) et de la libération des saveurs. Il active également certaines régions du cerveau impliquées dans le traitement des goûts, des arômes et dans le mécanisme de la récompense.

Jusqu’ici, le standard industriel était d’utiliser l’huile de noix de coco pour remplacer le gras d’origine animal. Le problème est que cette huile est liquide à des températures bien inférieures à celle dudit gras. Résultat : en bouche, l’impression de mâcher un produit riche et juteux est bien présente en début de mastication, mais elle disparaît rapidement. Certains fabricants de préparations à base de plantes recourent donc plutôt à des combinaisons de diverses huiles végétales, comme les huiles de colza et de tournesol, pour augmenter la température de fusion (température à laquelle un solide devient liquide) et ainsi prolonger la jutosité.

De nouveaux substituts aux graisses animales basés sur des émulsions d’huile de tournesol et d’eau ou des graisses animales « cultivées » (des cellules graisseuses cultivées en laboratoire) sont actuellement en cours de développement pour résoudre ce problème. Toutefois, il est clair que certains de ces produits ne conviendront pas aux régimes végétariens ou végétaliens.

Il arrive qu’une formulation végétale semble fonctionner en théorie, qu’elle contienne tous les ingrédients requis et possède le même profil nutritionnel que la viande, mais que dans les faits, son goût ne soit pas agréable, ou encore que sa texture ou les sensations à la mastication soient imparfaites. C’est par exemple le cas des protéines de pomme de terre, qui permettent d’obtenir de formidables textures, mais sont très amères. Tout l’enjeu pour les scientifiques qui travaillent sur ces problématiques est de trouver un équilibre entre contenu protéique, texture et saveur.

Encore une grande marge de progression

Les scientifiques n’en sont qu’aux débuts de l’exploration du potentiel des viandes végétales. Il reste encore une importante marge de progression, qu’il s’agisse d’explorer de nouvelles pistes ou d’améliorer l’existant.

Les ingrédients à base de protéines de plantes actuellement disponibles dans le commerce ne représentent en effet que 2 % des quelque 150 espèces de plantes qui nous procurent les protéines végétales que nous consommons habituellement.

Des recherches sont en cours afin d’améliorer les teneurs en protéines de certaines cultures, que ce soit par sélection ou par ingéniérie végétale, afin de pouvoir envisager de futurs développements et améliorations des isolats protéiques d’origine végétale, et donc à terme améliorer également les viandes végétales.

Des technologies employées dans les processus de transformation sont aussi en cours de développement. Ces dernières années, l’impression 3D et la viande cultivée ont émergé, puis ont été adoptées et améliorées. De nouveaux produits basés sur des préparations végétales devraient donc prochainement se frayer un chemin jusqu’à nos rayons, et l’on peut s’attendre à ce que certains ressemblent désormais à des pièces de viande entières, à l’image de ces steaks végétaux produits par impression 3D.The Conversation

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Mariana Lamas, Research Associate, Centre for Culinary Innovation, Northern Alberta Institute of Technology

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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