Richard Branson affirme avoir été dans l’espace avec Virgin Galactic. Blue Origin n’est pas d’accord. Cette dispute montre qu’il n’y a pas de démarcation nette entre l’espace et l’atmosphère et que les seuils actuels répondent à des considérations historiques, scientifiques et pratiques.

Richard Branson y tenait : voyager jusqu’à l’orée de l’espace avec le vaisseau VSS Unity conçu par son entreprise Virgin Galactic. Cela faisait des années que le milliardaire britannique espérait ce moment. La mission a été accomplie le 11 juillet 2021, avec le décollage de l’engin depuis les États-Unis, pour un vol d’un peu moins d’une heure et quelques minutes en micropesanteur.

Richard Branson est-il vraiment allé dans l’espace ?

Mais aussitôt l’exploit accompli, les critiques ont fleuri. D’abord, sur l’évènement lui-même : « Un gars riche a volé dans un avion-fusée. Passons à autre chose », a lâché par exemple sur Twitter l’écrivain Stephen King, suggérant qu’il y a vraiment d’autres préoccupations à avoir. Ensuite, sur la portée de la prouesse : oui, Richard Branson est allé très haut en altitude, mais est-il allé dans l’espace ?

Pour Blue Origin, la société spatiale de Jeff Bezos, la réponse est clairement non. Pourquoi ? Parce que l’altitude couramment acceptée à l’international pour marquer le début de l’espace est de 100 kilomètres. Or, le VSS Unity n’a jamais atteint cette hauteur : il a franchi d’abord le seuil des 80 km, puis est monté jusqu’à 90 km. Insuffisant, donc, pour prétendre être un véritable astronaute.

Une fois situé à plus de 80 km d'altitude, l'équipage du VSS Unity a pu profiter des joies de l'apensateur. // Source : Virgin Galactic

Une fois situé à plus de 80 km d'altitude, l'équipage du VSS Unity a pu profiter des joies de l'apensateur.

Source : Virgin Galactic

La pique lancée par Blue Origin ne vient pas de nulle part : Jeff Bezos nourrit aussi le projet de s’élever au firmament, dans un vol planifié le 20 juillet. Contrairement à Richard Branson, Jeff Bezos n’entend laisser aucune place à l’incertitude : la fusée qui sera utilisée doit dépasser les 100 km. En clair : Jeff Bezos n’aura pas été coiffé au poteau par Richard Branson, puisqu’il n’est pas vraiment allé  dans l’espace.

Qui a raison, alors ? Tout dépend en fait du référentiel dans lequel on se trouve. Dans la très grande majorité des cas, c’est l’altitude des 100 km qui est considérée. Comme le rappelle par exemple la Fédération aéronautique internationale (FAI), ce seuil est « la référence que la FAI utilise pour faire la différence entre exploit aéronautique et exploit astronautique ». En clair, tant qu’on ne vole pas au-dessus, on n’est pas astronaute.

C’est le point sur lequel insiste Blue Origin, en rappelant que son projet va tenir compte de cette démarcation : « Dès le départ, [notre vaisseau] a été conçu pour voler au-dessus de la ligne de Kármán, de sorte qu’aucun de nos astronautes n’a d’astérisque à côté de son nom. Pour 96 % de la population mondiale, l’espace commence à 100 km d’altitude, au niveau de la ligne de Kármán, reconnue internationalement. »

Une histoire de kilomètres et de miles

Pourquoi, alors, Virgin Galactic et Richard Branson se félicitent-ils si l’altitude n’était pas bonne ? Des raisons historiques expliquent pourquoi c’est un seuil moindre qui a été retenu. Comme les USA ont été l’un des premiers pays au monde à tenter d’aller dans l’espace, et à avoir les moyens de le faire, il s’est évidemment posé la question de savoir à partir de quelle hauteur c’était le cas.

C’est ce que raconte la Nasa : lorsque dans les années 50 s’est posée la question des véhicules qui iraient un jour dans l’espace, « les ingénieurs ont décidé de tracer une ligne arbitraire à l’altitude où la pression dynamique était inférieure à une livre par pied carré, car les surfaces de contrôle aérodynamiques traditionnelles seraient alors largement inutiles ».

La ligne a été établie à 50 miles (264 000 pieds ou un peu plus de 80 km), car, ajoute l’agence spatiale américaine, cette hauteur « marque à peu près la fin de la mésosphère. Cette définition a été codifiée dans les règlements des services militaires qui attribuaient une qualification aéronautique ‘d’astronaute’ aux pilotes de l’armée qui volaient au-dessus de 50 miles. »

Source : Blue Origin

La capsule New Shepard de Blue Origin, qui doit aller au-delà des 100 km d’altitude. // Source : Blue Origin

À cela s’ajoute un autre facteur : les États-Unis n’utilisent pas officiellement le système international d’unités. Outre-Atlantique, le système métrique est concurrencé par celui des unités impériales. Si cela n’avait pas été le cas, peut-être les USA auraient-ils plutôt opté pour une altitude ayant une valeur encore plus simple à retenir, en surélevant la limite à 100 km, au lieu de 80.

Il est important de noter que la ligne de Kármán tout comme la démarcation choisie par les USA sont arbitraires. Certes, elles s’appuient sur des phénomènes physiques mesurables (la densité de l’atmosphère chute à mesure que l’on s’élève dans le ciel et la mésosphère est une couche qui s’étend de 50 à 80 km d’altitude), mais elles sont aussi fondées sur des besoins pratiques pour les calculs.

En effet, il n’y a en fait pas de véritable démarcation entre l’espace et l’atmosphère et il n’y a aucune raison pour que celle-ci se trouve par coïncidence sur un chiffre rond. La limite pourrait très bien se trouver à 101,657 km ou 89,14 km. Ce qui est sûr, c’est qu’à mesure qu’on s’élève dans le ciel, l’atmosphère devient de plus en plus fine et qu’à un moment les forces aérodynamiques ne suffisent plus pour voler.

En outre, il est à noter que la structure de l’atmosphère n’est pas parfaitement uniforme en tout point du globe. L’épaisseur de certaines couches peut sensiblement varier d’un lieu à l’autre ce qui fait que, même s’il y avait une frontière exacte entre les deux environnements, sa position pourrait ne pas être homogène partout. Aussi une démarcation artificielle a été retenue, malgré ces limites.

Il s’avère que même en Amérique, cela a donné lieu à des différences d’appréciation entre la Nasa et l’armée de l’air. Au cours de la conquête spatiale, des pilotes ont volé justement à une altitude de 62 miles, soit environ 100 km. Or, « au sein de l’armée américaine, le terme astronaute est réservé aux personnes qui ont effectivement volé au-dessus d’une altitude de 50 miles », continue la NASA.

« Pour éliminer toute incohérence entre les pilotes militaires et civils volant avec le même véhicule », c’est le cap des 50 miles qui a été retenu, poursuit l’agence spatiale américaine. Quant à la contradiction avec la définition internationale, il n’est pas sûr qu’elle puisse être résolue simplement : l’acceptation d’une frontière plus haute fait courir le risque de devoir retirer leurs ailes d’astronautes à de nombreux pionniers.

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