Quelques degrés de plus ou de moins, est-ce que ça fait une vraie différence ? Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder la température moyenne de la dernière ère glaciaire. À l’époque, la Terre avait un tout autre visage — des zones de trois grands continents étaient recouvertes de glace. Pourtant il ne faisait, en moyenne, que six petits degrés de moins. Aujourd’hui, c’est la tendance inverse qui préoccupe : le climat se réchauffe. Mais quelques degrés de plus poseront tout autant de problèmes à l’humanité qui s’apprête à voir l’écosystème global totalement bouleversé si elle n’agit pas.
Face à cette crise, la France, comme beaucoup d’autres pays (les États-Unis, les pays de l’UE, la Chine etc.), a annoncé qu’elle allait passer au zéro carbone. Mais d’où vient cet objectif et qu’est-ce que la France doit faire pour le tenir ?
Pourquoi le zéro carbone en 2050 est-il nécessaire ?
Le gros problème que pose le dioxyde de carbone est qu’il reste très longtemps dans l’atmosphère. Même la partie qui est absorbée le plus vite ne l’est qu’au bout de 100 ans. Et un cinquième du CO2 met 10 000 ans à être réabsorbé. L’atmosphère fonctionne en fait comme une sorte de baignoire : le CO2 émis aujourd’hui rejoint le CO2 qui a été dégagé les décennies précédentes. Et, malheureusement, la baignoire est quasi pleine. La quantité de CO2 qu’elle contient va d’ores et déjà entraîner un réchauffement du climat. Si nous parvenons au zéro carbone d’ici 2050, ce réchauffement pourrait être maintenu autour de 1,5 °C (ce qui posera déjà pas mal de problèmes).
En revanche, si nous émettons davantage de CO2, le réchauffement sera plus marqué et risque d’entraîner des bouleversements dangereux qui peuvent faire boule de neige. Par exemple, plus la température moyenne augmente, plus les forêts deviennent sèches l’été. Le nombre d’incendies de forêts se multiplient alors, ce qui libère tout le CO2 que ces arbres stockaient. Le CO2 libéré augmente ensuite la quantité de gaz à effet de serre ce qui… accroît encore davantage le réchauffement de la planète.
Zéro carbone, c’est vraiment zéro ?
Pas tout à fait… mais presque.
Il ne sera pas possible de supprimer d’ici 2050 la totalité des émissions de CO2. Certains secteurs ne pourront pas les stopper intégralement. C’est notamment le cas de l’agriculture : les vaches ne peuvent pas s’arrêter de péter ni de roter et d’émettre ce faisant du méthane, qui est un gaz à effet de serre 80 fois plus puissant que le CO2. Il faudra cependant s’approcher très (très) près du zéro carbone. Pourquoi ? Car les quantités restantes devront toutes être compensées et que l’on ne dispose pas d’une foule de moyens pour le faire.
Planter des arbres permet de compenser des émissions de CO2 mais seulement à petite échelle : les surfaces disponibles ne sont pas illimitées, la pousse des arbres prends du temps, et selon la manière dont la reforestation est faite, le bilan de captation carbone est parfois faible. Et les technologies permettant d’aspirer le CO2 de l’atmosphère ne fonctionnent pas très bien. Il faut investir dedans, bien sûr (si on parvient à les améliorer, elles pourraient nous être extrêmement utiles). Mais nous ne pouvons pas, pour l’heure, nous reposer sur elles. Heureusement, explique à Numerama Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat, « il y a finalement peu de processus industriels où il n’est vraiment pas possible de sortir des énergies fossiles. La plupart de ceux qui utilisent ce type de combustibles peuvent en réalité aussi fonctionner avec des énergies décarbonées. »
La France a t-elle réduit ses émissions de gaz à effet de serre ?
La France a commencé à réduire ses émissions de CO2 ces dernières années. En 2019, ses émissions territoriales avaient baissé de quasi 20 % par rapport à 1990. « L’État a mis en place des normes et des aides pour améliorer l’isolation énergétique des habitations neuves et anciennes », souligne Bertil de Fos, directeur général du cabinet de conseil en transition écologique Auxilia. C’est indispensable, car les logements mieux isolés ont besoin de 4 à 6 fois moins d’énergie pour être chauffés. La France a aussi mis en place des aides pour que le chauffage soit opéré par des système moins émetteurs : les cuve à fioul sont par exemple remplacées par des chaudières au gaz ou par des pompes à chaleur.
L’industrie française a, quant à elle, significativement réduit ses émissions : – 41 % depuis 1990, selon le Haut Conseil pour le Climat. La France se distingue enfin par son électricité peu carbonée. C’est notamment lié au fait qu’une partie importante est d’origine nucléaire. La part des énergies renouvelables dans la production d’électricité commence cependant à peser en France avec un parc hydroélectrique (barrage, etc.) historiquement bien développé, et des infrastructures éoliennes et solaires qui fleurissent ces dernières années.
En matière d’énergie, la France a d’ailleurs prévu d’investir beaucoup dans l’hydrogène vert. Ce n’est pas idiot car un des principaux défis posés par les énergies renouvelables est leur intermittence : le soleil ne brille pas la nuit, le vent ne souffle pas tout le temps. « Le développement de dispositifs de stockage saisonnier est indispensable dans les scénarios où la production solaire et éolienne devient prépondérante » nous expliquent les équipes d’Enedis, la filiale EDF en charge du réseau électrique. Les batteries et l’hydrogène vert pourraient constituer des solutions — si l’on parvient à améliorer l’efficacité des premières et baisser le coût du deuxième. « Ce qui est sûr, c’est que le stockage est un des plus importants défis à relever dans le domaine de l’énergie, et plus généralement du climat. Les solutions restent trop onéreuses à l’heure actuelle, mais si l’on parvient à faire baisser leur coût, cela pourrait résoudre des problèmes majeurs », assure Jean-Sébastien Degouve, président d’Opéra Energie.
Ce que la France doit faire pour atteindre le zéro carbone
La réduction des émissions de CO2 est engagée en France. Hélas, la vitesse à laquelle elles se réduisent est, pour l’heure, bien trop basse. Dans les transports, les émissions carbone ne se réduisent pour ainsi dire pas. Or c’est le secteur qui en émet le plus : 31 %. « La France prévoit de stopper la vente de voitures thermiques en 2040. Il faut se fixer une échéance plus ambitieuse. Le Royaume-Uni par exemple cible 2030. Cela prouve que nous pouvons faire mieux dans ce domaine », explique la présidente du Haut Conseil pour le Climat à Numerama.
Le transport de produits par la route doit également être décarboné. Peut-être en développant davantage le transport ferroviaire (le fret). « Et il faut que nous changions en profondeur nos modes de vies. Les SUV et les weekends à Marrakech, par exemple, ce sont des aberrations écologiques. Il faut marcher et faire du vélo, le plus souvent possible, même pour des trajets de 5 ou 10 km, et également développer le télétravail », détaille à Numerama Bertil de Fos, directeur général du cabinet de conseil en transition écologique Auxilia. Quoi que suggère le gouvernement, l’avion vert est en effet très loin d’être à portée de main. Pour l’heure, ces appareils émettent des quantités phénoménales de gaz à effet de serre.
Dans l’agriculture également, il reste beaucoup à faire. L’Etat n’avait pas fixé d’objectifs très ambitieux à ce secteur. Il génère pourtant beaucoup de gaz à effet de serre (19% des émissions territoriales de la France). C’est notamment lié aux élevages de bovins qui émettent beaucoup de méthane. « Pour réduire les émissions dans ce domaine, il faut faire évoluer notre assiette. Cela ne veut pas forcément dire plus de viande du tout, mais en plus petite quantité, de meilleure qualité, produite dans de meilleures conditions », explique Bertil de Fos.
La France doit également s’attaquer à l’empreinte carbone des produits qu’elle importe, plus élevée que la moyenne des pays de l’UE, en produisant en France ou en fixant des normes contraignantes (taxe carbone etc.) dans ce domaine. Elle peut également utiliser le du poids de ses commandes d’énergie comme argument pour inciter les pays à qui elles en achètent à mieux contrôler leurs infrastructures dans ce domaine.
« Les progrès dans l’imagerie satellite ont révélé que les fuites de méthane étaient bien plus fréquentes que prévu. Il faut les éviter à tout prix, car ce gaz à effet de serre entraîne un réchauffement très important. Ces fuites sont souvent dues à de mauvaises pratiques de maintenance de certains pays qui exportent de l’énergie, et ces pratiques peuvent facilement être corrigées », explique Antoine Halff, analyste en chef et cofondateur de Kayrros, un cabinet spécialisé dans l’analyse de données dans le secteur de l’énergie.
Même si la France a une électricité peu carbonée, elle a encore beaucoup de marge de manœuvre dans le domaine. « L’État doit développer davantage le solaire et l’éolien sur son territoire », explique Bertil de Fos, qui recommande de mieux redistribuer les revenus de l’énergie produite aux habitants afin de lever les réticences sur ces projets. Dans le solaire par exemple, on estime qu’il serait possible d’installer 775 GW de plus dans la moitié sud du pays sur des sols et des parkings. C’est 100 fois plus que ce qui existe en solaire aujourd’hui en France. Dans l’éolien, les perspectives sont également immenses, notamment dans l’éolien offshore, c’est-à-dire les éoliennes qui sont installées au large des côtes. Grâce à ses 20 000 km de côtes, le pays dispose en effet du deuxième plus grand gisement éolien en mer d’Europe, après la Grande-Bretagne. « L’éolien en mer, cela coûte cher mais il y a un potentiel de production très intéressant », nous confirme Jean-Sébastien Degouve, président d’Opéra Energie
La France va devoir aussi préserver davantage ses forêts. « Elles stockent moins de carbone que ce que l’on pensait car elles sont fragilisées par les aléas climatiques. Comme il y aura de plus en plus d’aléas, il va falloir se montrer très vigilants dans ce domaine », souligne Corinne Le Quéré. On notera d’ailleurs que les actions à entreprendre relève finalement peu de la sphère individuelle. Cela ne signifie pas que les actions de chacune et de chacun sont inutiles. Non seulement, elles ont un impact, mais elles envoient un signal important aux politiques et aux entreprises, qui réalisent ainsi qu’ils doivent revoir leurs programmes s’ils veulent nous conserver comme électeurs ou clients.
Les citoyennes et citoyens ont cependant peu de marge de manoeuvre à l’échelle individuelle : la majorité des émissions de gaz à effet de serre sont générées lors de processus sur lesquels ils n’ont pas directement la main (industrie, agriculture, production d’électricité, etc.). Le fait que les émissions de CO2 aient si peu baissé pendant les périodes de confinement, alors qu’une majorité de la population était cloitrée chez elle le montre bien : même si nous ne prenons pas la voiture, et consommons moins, nous avons tout de même besoin de nous nourrir, de nous chauffer, etc. Si ces industries utilisent des énergies fossiles et émettent des gaz à effet de serre, il nous est difficile de le stopper à notre échelle.
C’est à minima , à l’échelle nationale, que les changement nécessaires peuvent être opérés. Et pour l’heure, la France est vraiment à la traine. L’Etat s’est fixé une feuille de route avec 22 orientations stratégiques pour atteindre le zéro carbone en 2050. Et pour l’heure, seule une des 22 orientations est en bonne voie d’être atteinte. « Douze risquent de ne pas l’être et dans six domaines, de premières actions n’ont même pas encore été prises » nous explique la présidente du Haut Conseil pour le Climat, précisant que les trois des 22 orientations restantes n’ont pas pu être évaluées. La seule bonne nouvelle ici est que la feuille de route est cohérente avec l’objectif zéro carbone en 2050 du pays. En somme, la France a posé le bon diagnostic. Lui reste désormais à appliquer les solutions qu’elle a identifiées.
En dehors de la France, quels pays se fixent cet objectif zéro carbone ?
La France est loin d’être le seul pays qui vise le zéro carbone dans les décennies à venir. Toute l’Union Européenne a également pris cet engagement. Et l’UE a montré qu’elle avait conscience du retard qu’elle avait dans ce domaine : elle a dévoilé le 14 juillet 2021, un nouveau projet climat plutôt ambitieux pour se mettre sur la bonne trajectoire. Elle souhaite notamment avancer la fin des voitures thermiques neuves à 2035, doper les énergies renouvelables et mettre en place diverses taxations afin de freiner l’usage des énergies fossiles (taxe kérosène, taxe carbone, etc.).
Depuis l’élection de Joe Biden, les États-Unis sont également revenus dans l’accord de Paris et vise de nouveau le zéro carbone en 2050. Un revirement important car le pays est le 2e plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète. Plusieurs autres pays (Japon, Corée du sud) sont engagés sur la voie de la neutralité carbone à échéance de 2050. À noter que la Chine le vise aussi même si sa position est plus ambiguë. Le pays ne veut pas risquer de freiner son développement économique mais il est malgré tout très actif sur les énergies vertes. « C’est le pays où s’ouvrent le plus de centrales à charbon mais c’est aussi le pays où se crée le plus de sites de production d’énergies renouvelables », confie le cofondateur du cabinet de transition écologique Auxilia.
Si le zéro carbone n’est pas atteint, quelles conséquences cela aura en France ?
Le climat tempéré de la France peut donner à tort l’impression qu’une hausse de la température ne poserait pas de gros problèmes. C’est hélas totalement faux, le changement climatique aura des conséquences graves en France, comme ailleurs. En avril dernier, l’agence européenne pour l’environnement EEA expliquait à Numerama que si la hausse des températures restait sous le seul stratégique des 2°C d’ici 2050, le niveau de la mer monterait de 20 à 40 cm. Dans le pire scénario (+ 3°C d’ici le milieu du siècle), leurs simulations prévoient en revanche une hausse du niveau de la mer le long de nos côtes qui serait comprise entre 60 cm et un mètre.
Des inondations qui ne se produisaient qu’une fois par siècle pourraient devenir fréquentes dans certaines zones du pays. Même dans le scénario le plus optimiste, la ville de Brest pourrait ainsi en subir une à deux par an, et celle de Dieppe, deux à cinq par an, d’ici 2100 Des événements dramatiques pour les personnes qui vivent dans les zones exposées. Ces inondations rendront par ailleurs certaines infrastructures stratégiques inutilisables le temps qu’elles soient nettoyées et réparées.
« Dans le courant de ce siècle, l’entrée du Tunnel sous la Manche, le port du Havre, le chantier naval de Saint-Nazaire, des parties entières de l’île d’Oléron, du Languedoc-Roussillon seront régulièrement sous les eaux, à tel point que les activités économiques, touristiques ou le simple fait d’avoir des maisons ne sera plus possible », avertissait Pascal Canfin, président de la commission environnement du Parlement européen, en 2020.
La hausse des températures va également faire se multiplier les vagues de chaleur et les feux de forêts en France. Dans le scénario le plus optimiste, le risque d’incendie devrait augmenter de 20 à 30 % dans le Sud de la France et sur la côte Atlantique, selon l’Agence Européenne de l’Environnement. Si le réchauffement atteint 3°C à l’horizon des années 2050, la menace de feux de forêt augmentera en revanche de plus de 40 % dans presque tout le pays. Et il ne s’agit ici que des impacts directs sur le territoire français. Nous ne vivons pas en autarcie. Certains des pays qui nous entourent, et avec lesquels nous commerçons, seront eux aussi de plus en plus touchés par le changement climatique. Cela aura nécessairement un impact sur les ressources que nous pourrons importer à l’avenir.
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