C’est, pour Wally Funk, une revanche sur l’histoire. Le 20 juillet 2021, cette Américaine de 82 ans s’envolera dans l’espace à l’occasion du tout premier vol habité organisé par Blue Origin, une entreprise lancée en 2000 par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon. Elle deviendra alors, à l’issue de ce petit tour extra-atmosphérique, la personne la plus âgée à recevoir ses ailes d’astronaute.
Il s’agit d’une revanche, car Wally Funk aurait dû depuis bien longtemps se rendre dans l’espace, mais les circonstances à l’époque où son vol était envisagé l’ont finalement privée de cette opportunité exceptionnelle. En effet, Wally Funk a participé à un programme de recrutement officieux qui devait permettre de sélectionner un groupe de femmes capables de participer à une telle aventure.
Le rêve manqué de Mercury 13
Ce groupe a été surnommé ultérieurement Mercury 13, car le processus a écarté toutes les candidates sauf treize d’entre elles — dont Wally Funk, qui était la benjamine. Quant à Mercury, il faisait écho à Mercury Seven, qui était cette fois un groupe officiel d’astronautes formé par la Nasa, mais avec cette fois que des hommes, dont Alan Shepard et John Glenn, deux pionniers de l’aventure spatiale américaine.
Si Mercury Seven était un programme officiel de la Nasa, Mercury 13 ne l’était pas. Il s’agissait en fait d’une initiative d’un médecin mandaté par l’agence spatiale américaine pour concevoir les examens médicaux et physiques pour choisir les membres de Mercury Seven. Ce docteur, William Randolph Lovelace, a alors eu l’idée de challenger une aviatrice, Jerrie Cobb, à passer les mêmes épreuves.
Les tests sont durs : comme le rappelle le site de la Nasa, on leur injecte notamment de l’eau glacée dans les oreilles pour déclencher un vertige, avant de leur glisser un tube en caoutchouc à travers la gorge pour tester son acidité gastrique. Elles ont aussi dû se soumettre à de nombreuses radiographies, mais aussi des examens oculaires d’une durée de quatre heures, et à des tests de résistance.
Les résultats apparaissent très satisfaisants: selon Astronomy, parmi les femmes retenues, certaines parviennent à obtenir de meilleurs résultats que les membres de Mercury Seven. D’ailleurs, Wally Funk dira plus tard, en 2019, dans une interview à Huck Mag, avoir « battu le record pour tous les gars et toutes les filles », en restant dans une cuve d’eau pendant 10 heures et 35 minutes.
Des raisons politiques et administratives
Alors que d’autres évaluations étaient prévues, l’initiative s’arrête brusquement au début des années 60, pour des raisons politiques et administratives. Il s’avère qu’à cette époque, les femmes n’avaient pas accès à la formation au pilotage militaire. Elles ne pouvaient pas devenir pilote de chasse et acquérir assez d’expérience pour devenir pilote d’essai et, donc, poursuivre avec la Nasa.
C’est pour cette raison que les membres de Mercury 13 ne sont jamais allés dans l’espace, à la différence de Mercury Seven. Ce n’est pas faute pourtant d’avoir essayé de plaider leur cause à Washington, à l’image de Jerrie Cobb, qui a témoigné devant une commission de parlementaires. Mais du fait de règles excluant les femmes des programmes militaires, impossible d’aller plus loin.
Cette mise à l’écart a longtemps été vécue comme une injustice — et l’est toujours, à commencer par Wally Funk : « C’était tellement politique. C’était terrible. Le vice-président Johnson a dit ‘arrêtez ça maintenant’, et je n’y croyais pas… », a-t-elle encore confié. Cela, alors que plus d’un millier femmes ont servi dans le Women Airforce Service Pilots lors de la Seconde guerre mondiale… mais en tant que civiles.
La rigidité de la Nasa a été critiquée. Quelques mois plus tard, écrit Huck, plusieurs personnalités de la NASA (avec l’aide du vice-président Lyndon Johnson) ont témoigné contre l’idée de femmes astronautes, affirmant qu’elle était « contraire à l’ordre naturel ». Le site de la Nasa confirme d’ailleurs que certains de ses membres, dont John Glenn, s’y sont aussi opposés.
Faute, donc, d’une demande officielle de la Nasa pour poursuivre ce programme officieux, la Navy ne pouvait pas autoriser l’utilisation de ses installations pour mettre à l’épreuve les membres de Mercury 13. Il faudra en fait attendre une dizaine d’années et 1973 pour que ce cadre évolue afin d’autoriser les femmes à s’entraîner. Et encore dix ans, en 1983, pour voir la première femme américaine, Sally Ride, à aller dans l’espace.
La frilosité américaine sur la participation de femmes à certains programmes militaires a sans nul doute eu un effet négatif dans la course à l’espace entre Washington et Moscou. Alors qu’au début des années 60, le programme Mercury 13 se trouve dans une impasse, l’URSS envoie Valentina Terechkova dans l’espace, faisant d’elle la première femme astronaute. Nous sommes alors en… 1963.
La mission de Valentina Terechkova était évidemment très politique, puisque l’Union soviétique ne renverra pas d’autre femme dans l’espace avant le début des années 80, avec Svetlana Savitskaïa et un vol en 1982 (juste avant Sally Ride, donc). L’URSS avait déjà triomphé des Américains avec Youri Gagarine, en 1961, avant de se faire rattraper puis dépasser avec le fameux programme Apollo.
Pour Wally Funk, ce vol est en quelque sorte l’occasion de réparer cette injustice, même si elle volera dans le cadre d’une mission privée, et non pas dans le cadre d’un programme officiel de la Nasa, et même si ce n’est que pour quelques minutes de micropesanteur. Et à travers elle, c’est aussi une revanche pour Mercury 13, dont elle est l’une des toutes dernières survivantes.
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