On a parfois tendance à oublier que nos jeux vidéo actuels sont des miracles mathématiques et physiques extrêmement complexes. Une récente avancée qui s’intéresse tout bêtement à la manière dont un objet flotte dans un environnement 3D en est la preuve.

Les simulations 3D ont beau s’être considérablement améliorées ces dernières années, certains aspects de notre monde physique restent terriblement difficiles à recréer numériquement. L’interaction entre des objets en 3D et des liquides fait partie de ces défis techniques complexes.

Il est extrêmement difficile dans un environnement 3D de recréer fidèlement la tension superficielle de l’eau. Ce phénomène, qui explique pourquoi certains objets plus denses que l’eau ne coulent pas lorsqu’ils sont posés sur l’eau, a longtemps été complexe à recréer en 3D, mais une nouvelle publication scientifique va peut-être faire avancer les choses.

C’est quoi, la tension superficielle ?

Cette étude (qui paraîtra en aout 2021 dans la revue ACM Transactions on Graphics) issue de la collaboration entre des universités chinoises et américaines montre qu’il est possible de recréer ce phénomène physique avec précision dans une simulation. Pour bien comprendre pourquoi cela représente une prouesse, il faut d’abord s’intéresser au phénomène physique qui crée cette tension superficielle.

Dans un verre rempli d’eau, les molécules qui composent le liquide vont se lier entre elles. C’est ce qu’on appelle la cohésion de la matière. Au milieu du verre d’eau, chaque molécule peut se lier avec ses voisines dans toutes les directions (celles placées en dessous, au-dessus, à côté). À la surface en revanche, les molécules d’eau ne peuvent se lier entre elles que de manière horizontale puisqu’aucune molécule n’est présente au-dessus. Ces molécules de surface vont donc se lier entre elles avec une force supérieure à celle d’en dessous et vont créer une espèce de « peau » solide en haut du verre.

La légère « peau » de l'eau visible sur la photo de gauche permet à l'époingle à nourrice de ne pas couler malgré le fait que sa densité soit supérieure à celle de l'eau  // Source : Photo Corentin Béchade pour Numerama

La légère « peau » de l'eau visible sur la photo de gauche permet à l'époingle à nourrice de ne pas couler malgré le fait que sa densité soit supérieure à celle de l'eau

Source : Photo Corentin Béchade pour Numerama

C’est cette peau qui va permettre à certains objets pourtant plus dense que l’eau de flotter en haut du verre. Dès qu’une pression supplémentaire est appliquée par contre, l’objet coule.

Pourquoi c’est compliqué à recréer en 3D ?

Ce phénomène est complexe à recréer en 3D, car il est mathématiquement très difficile de « simuler précisément les interactions entre les trois sous-systèmes », explique l’étude. Les trois sous-systèmes étant l’objet physique, la surface de l’eau et le reste de l’eau. Simuler de l’eau ayant différentes caractéristiques et dont la tension varie selon qu’elle est en surface ou en profondeur est un défi technique pour un ordinateur. La machine considère par défaut l’eau comme un liquide homogène.

C’est en recréant numériquement cette peau que les spécialistes ont réussi à recréer la tension superficielle de l’eau dans un environnement 3D. Plutôt que de simplement modéliser l’eau comme une surface homogène, les chercheurs et chercheuses ont ajouté en surface une membrane supplémentaire plus dense qui va interagir plus précisément avec l’objet physique qui y est posé.

En ajoutant cette membrane, les 3 sous-systèmes vont interagir entre eux de manière mathématiquement compréhensible par une machine, il devient ainsi possible de recréer la tension superficielle de l’eau et de faire naitre des environnements encore plus réalistes. Dans la vidéo qui accompagne l’étude, les simulations 3D sont époustouflantes de précision.

En haut à gauche l'image réel, en plein écran la « simulation » 3D // Source :  Center on Frontiers of Computing Studies, PKU - Youtube

En haut à gauche l'image réel, en plein écran la « simulation » 3D

Source : Center on Frontiers of Computing Studies, PKU - Youtube

Selon la densité des objets posés sur l’eau, cette dernière va se déformer différemment. La tendance des objets flottants à se rapprocher les uns des autres (surnommé effet Cheerios en rapport aux céréales qui se collent les unes aux autres dans un verre de lait) est aussi reproductible. En demandant à une machine de faire un calcul simple entre tension de l’eau en surface et densité de l’objet, on arrive à un résultat proche de la réalité.

En quoi ça peut améliorer nos jeux ?

La méthode n’est pas parfaite et ne réussit pas à reproduire fidèlement le comportement des objets hydrophiles (qui absorbe l’eau, comme avec une éponge) par exemple. Cette découverte représente tout de même une avancée intéressante du point de vue théorique.

La richesse et la précision de nos jeux vidéos pourraient ainsi être améliorées avec des objets flottants qui réagiraient plus finement à leurs environnements et qui pourraient par exemple couler selon certaines conditions. Attraper un objet flottant qui soudainement se mettrait à couler à cause des mouvements de l’eau rajouterait une couche de réalisme à nos jeux.

Les batailles navales pourraient ainsi être encore plus immersives et réalistes. Les navires graviteraient lentement l’un vers l’autre en raison du fameux effet Cheerios. Dans les jeux de simulation comme dans les jeux d’aventures, cela rapprocherait un peu plus la navigation numérique de l’expérience « réelle ».

« Nous pensons que cette méthode est la première étape vers la construction de simulateurs numériques capable de modéliser plus précisément les interactions complexes solide-fluide avec une forte tension superficielle », décrit l’étude. Une avancée peut-être minime dans la pratique, mais qui rappelle à quel point l’immersion et le réalisme de nos jeux sont le fruit de milliers de microcalculs complexes. Créer un environnement 3D crédible est un défi bien plus difficile qu’on ne pourrait le penser.

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